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Retour de fêtes
Retour de fêtes : les élèves affichent un air frais et dispos. Merci le bogue pour la journée de récupération supplémentaire On échange quelques mots sur les événements qui ont marqué les derniers jours : le naufrage de l’Erika est évoqué. Certains ont vu les dégâts sur les côtes. L’indignation et la tristesse se manifestent bien sûr, mais sur un mode mineur : » c’est la faute à la tempête ! Tout cela nous dépasse Non, c’est la faute de Total ! Mais ça aurait pu être une autre compagnie ! De toute façon » ils » sont les plus forts Et puis on est bien contents d’avoir du pétrole alors ça sert à rien de À la télé, ils ont dit que »
C’est vrai : à la télé, dans les journaux, l’événement est disséqué. On filme, on interviewe à tout va : les dirigeants de Total, les préfets maritimes, les ostréiculteurs, les ministres qui ne sont pas en vacances, tous ceux qui vivent de la mer, tous ceux qui n’en vivront plus, et tous ceux qui tout simplement l’aiment et se retrouvent avec leur seau et leur pelle en train de construire un énorme château de gadoue noire et gluante en se demandant ce que sont devenus leurs rêves d’enfant On ne demande rien aux oiseaux, mais leurs photos sont parlantes
Si ces images nous émeuvent, réveillent la solidarité chez beaucoup, elles nous renvoient quand même et surtout à l’impuissance. » Catastrophe écologique » nous dit-on : comme en 1967 pour le Torrey Canyon ou en 1978 pour l’Amoco Cadiz et pour les centaines » d’accidents pétroliers » qui souillent consciencieusement la planète depuis des décennies, et aujourd’hui les mêmes mots encore. Le mot catastrophe est défini dans le dictionnaire comme » un événement désastreux, calamiteux » : les effets sont fort justement évoqués ; rien en revanche sur les causes éventuelles qui prennent un caractère obscur et fatal. » Les mots font des choses « , et en l’occurrence ils font de l’amertume.
Il est pourtant un lieu qui pourrait proposer d’autres mots : l’école n’est pas la seule source de savoir mais sa démarche est essentielle : permettre de sortir du registre de l’opinion pour entrer dans la connaissance, contribuer à rendre le monde intelligible autant que faire se peut, et pas seulement à travers des objets didactisés, neutralisés, mis à distance dans le passé, ou dans des laboratoires
Le fatalisme manifesté par les élèves ne renvoie pas seulement au mode d’information privilégié par les médias, il renvoie aussi au silence de l’école, à son incapacité structurelle à prendre en compte la réalité trop immédiate. » Mieux relier les savoirs enseignés à la vie » : cette demande des élèves manifestée lors de la consultation sur les lycées, nous ne la prenons guère en compte – je veux dire sur le plan global, institutionnel ; cela reste à la libre initiative des enseignants dans leurs classes – faute d’un minimum de souplesse dans l’organisation du temps scolaire. On devrait pouvoir interrompre le déroulement habituel des cours lorsqu’un événement aux enjeux suffisamment forts survient et mettre en place, de façon rigoureuse et concertée, des recherches, des enquêtes, des travaux aux cours desquels les savoirs disciplinaires seraient convoqués, et revivifiés par la même occasion. La dialectique subtile unissant maîtres et valets dans les comédies du xviiie comme révélateurs des dysfonctionnements d’une société pourrait y trouver un sens renouvelé. Bien sûr, il ne s’agit pas de subordonner le temps scolaire à l’actualité, ce qui serait une aberration, mais de se doter d’une marge d’autonomie, de penser la programmation des savoirs en y laissant une place pour le non-programmé. L’idée n’est absolument pas neuve (je renvoie aux PAE et autres dix pour cent échoués sur les plages de la pédagogie – naufrage moins salissant que l’objet de notre propos -) mais cela ne l’invalide pas : ce n’est pas tant d’idées dont nous manquons que de la volonté de les mettre en pratique ! Les TPE futurs (Travaux personnels encadrés) rempliront peut-être ce rôle. Encore faudra-t-il être vigilant pour ne pas les cadrer de façon trop contraignante.
Marie-Christine Chycki