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Mettre des mots

L’école occupe une place centrale dans le développement du bienêtre psychologique des enfants traumatisés et endeuillés. Une recherche-action nous a permis d’évaluer positivement les retombées de la mise en place de groupes de parole dans les classes accueillant des élèves réfugiés.

Des groupes de parole

Le développement du bienêtre des élèves et la promotion de leur santé mentale sont favorisés par l’expression et l’élaboration des deuils, par la symbolisation des expériences traumatiques vécues ainsi que l’expression des émotions. Permettre à des élèves de tous âges de s’exprimer librement en leur proposant une écoute neutre et bienveillante, c’est donc leur donner l’opportunité d’avoir une parole vraie et authentique au sein même de leur école ainsi que l’opportunité de développer des relations interpersonnelles positives caractérisées par l’empathie, la connaissance de soi et de l’autre.

Les rencontres doivent être prévues dans l’horaire des classes. L’activité dans sa globalité ainsi que chaque rencontre sont encadrées par des rituels d’ouverture et de fermeture, afin de la distinguer des activités pédagogiques. Les discussions ont pour thème des sujets sensibles, tels le voyage, la migration, la différence, la famille, la foi, l’identité, la violence, la guerre, la vie ou la mort. Certaines conditions préalables favorisent le bon déroulement des séances et le respect des règles : une bonne gestion de classe, une absence de conflits majeurs au sein du groupe classe et une maitrise suffisante de la langue d’enseignement. Les principales règles à appliquer sont la liberté d’expression, le respect de la confidentialité et l’attitude de non-jugement des participants.

Dans une école primaire à Montréal

Des groupes de parole ont été menés dans quatre classes d’accueil d’une école, incluant des élèves de 8 à 12 ans provenant de divers pays. Au fil des rencontres, un nombre grandissant d’élèves prenait la parole. Au final, la majorité des enfants ont partagé leurs expériences et exprimé leurs émotions. Certains ont partagé les raisons qui ont amené leur famille à quitter leur pays : « Mes parents ont quitté l’Inde parce qu’ils étaient pauvres », « c’était pour la sécurité. Il y avait beaucoup de kidnappings. » Une autre élève explique que sa famille a choisi de quitter la Chine afin de pouvoir avoir un second enfant, en l’occurrence elle. Des élèves ont témoigné du choc vécu en arrivant au Canada : « C’était la première fois que je voyais des gens avec la peau blanche. Je ne pensais pas que ça existait. » Plusieurs jeunes ont parlé des membres de leur famille, des amis et même des animaux qu’ils ont dû laisser derrière eux : « Je suis venu avec ma mère. On ne sait pas où est mon père. » Un élève relate qu’un soir, au Nigeria, il est parti avec ses parents pour aller visiter son grand frère qui habitait dans une autre ville. « C’est la dernière fois que je l’ai vu », a-t-il confié, les yeux baignés de larmes.

À certaines occasions, des évènements potentiellement traumatiques ont été symbolisés et partagés dans l’espace de parole. Lors de la séance traitant de la violence, un élève avoue : « J’ai pas aimé me faire intimider, et j’ai pas aimé quand j’ai frappé le garçon après » ou encore « mon père a essayé de me tuer quand j’étais dans le ventre de ma mère. Il lui a donné du poison. » Le groupe de parole donne l’occasion aux enfants de mettre des mots sur leur vécu. Il arrive aussi que des enfants pleurent durant les rencontres. Pleurer est la première expression de l’émotion ressentie, qui est ensuite souvent symbolisée. C’est cette symbolisation qui permet la construction du sens et le développement du bienêtre. La posture privilégiée par les intervenants est de contenir ce qui est exprimé, d’accueillir et de valider ces émotions.

Les retombées

Lors du bilan, les enfants ont eu l’occasion de faire un retour sur leur expérience. Des retombées sont notées, tant sur le plan du bienêtre des élèves que du sentiment d’appartenance au groupe : « J’étais content, j’ai vu que j’étais pas tout seul à vivre ça », « avant, tout le monde était gêné, maintenant on fait confiance aux autres. » Les enseignants ont également noté des impacts positifs sur le climat de classe : « Maintenant, je connais mieux mes élèves », « ils sont plus à l’écoute des besoins des autres, il y a plus d’entraide. » Certains enfants ont osé s’exprimer sur des sujets difficiles et ce, après la fin des groupes de parole. Les élèves ont commencé à exprimer leur vécu et leurs émotions dans d’autres contextes et, dans certains cas, à demander de l’aide.

Au terme des activités, un bracelet symbolisant les liens tissés entre les participants était attaché au poignet de chacun. Des enfants l’ont conservé durant des mois. Est-ce en lien avec le développement d’un sentiment d’appartenance au groupe ou pour ce que l’activité a représenté pour eux ? Chose certaine, d’autres groupes de parole seront menés dans cette école durant les prochaines années.

Garine Papazian-Zohrabian
Université de Montréal
Vanessa Lemire
Agente de recherche, université de Montréal
Sabrina Desjardins
Psychologue, commission scolaire Marguerite-Bourgeoys
Marie-Christine Gagné
Psychoéducatrice, commission scolaire Marguerite-Bourgeoys

 

Ressources :

 

En provenance du Québec, des vidéos et guides conçus pour aider les enseignants à accompagner les élèves immigrants :

  • Et, afin d’encourager la réflexion et la discussion avant et après le visionnement de Bagages, un Guide d’accompagnement qui propose des pistes d’exploitation pédagogique, autant à l’intention des élèves que du personnel, pistes qui peuvent être adaptées au degré de la diversité ethnoculturelle de chaque école : https://cipcd.ca/wp-content/uploads/2018/04/Guide-accompagnement-Bagages.pdf

 

Bibliographie
Ana Rita Galiano, Serge Portalier, « Les groupes de parole de parents d’enfants déficients visuels : réflexion sur le dispositif et sur la place du psychologue », Pratiques Psychologiques, 2012. doi: http://dx.doi.org/10.1016/j.prps.2009.12.006

Garine Papazian-Zohrabian, « Les enfants traumatisés et endeuillés par la guerre », dans Christine Fawer Caputo et Martin Julier-Costes (dir.), La mort à l’école : annoncer, accueillir, accompagner, De Boeck Supérieur, 2015.