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Le contrôle du travail des enseignants contribue-t-il à la professionnalisation de leur métier ?

Le colloque a montré combien les réponses sont à rechercher dans la combinaison de trois facteurs, aucun des facteurs ne pouvant à lui seul produire une réponse adaptée :
– l’enseignant lui-même et la manière dont il s’engage dans l’action, conduit son propre développement, et développe des capacités à s’inscrire dans des démarches d’auto- et d’inter-évaluations professionnelles ;
– la place du contrôle et son interaction avec les autres dimensions de la professionnalisation : à quels savoirs les acteurs peuvent-ils se référer ?
– la plus ou moins grande capacité des politiques publiques à conduire les changements nécessaires et à faire confiance aux acteurs du système.

L’enseignant, un acteur mobilisé et responsabilisé ?

Léopold Paquay pense que, sous certaines conditions, le contrôle du travail enseignant peut contribuer à sa professionnalisation. Pour cela, les pouvoirs publics doivent être clairs sur les objectifs et les valeurs auxquelles ils se réfèrent, associer les enseignants et leur offrir un cadre sécurisant dans un processus élargi de développement professionnel. Cette manière d’inscrire la question du contrôle dans un travail coopératif qui croit en la capacité des acteurs à se responsabiliser et à s’autoévaluer est difficilement compatible avec un système bureaucratique qui pratiquerait un contrôle externe descendant. C’est pourquoi ces démarches verticales des pouvoirs publics doivent être complétées par une mobilisation horizontale des enseignants via le développement des réseaux d’apprentissage professionnel et de mutualisation des pratiques mettant en lien de plus en plus d’organisations apprenantes chères à Monica Gather Thurler.
Anne Barrère a montré comment les chefs d’établissement vivent de manière variable leur rôle de contrôleur du travail enseignant. Difficile pour eux d’y voir un « sale boulot » puisqu’il procède d’un élargissement de leurs prérogatives, certains chefs d’établissement échangeant du soutien contre du contrôle, en particulier ceux qui se déclarent centrés sur la réussite des élèves. Leur rôle est en évolution, mais bien des aspects restent à clarifier du côté de l’État employeur : entre un modèle bureaucratique et le new public management, ce dernier a du mal à poser clairement le rôle qui pourrait être dévolu demain aux chefs d’établissement en matière de contrôle du travail enseignant.

Quelle formalisation des savoirs de référence de la profession enseignante ?

Philippe Perrenoud pose le cadre très clairement : « Le contrôle est-il au dedans ou au dehors de la professionnalisation ? » Il nous invite à penser la professionnalisation comme un espace d’environ une dizaine de dimensions. Le contrôle étant une de ces dimensions, des questions se posent à tout système éducatif qui travaille l’amélioration des pratiques pédagogiques : faut-il maintenir le contrôle externe ? Faut-il le supprimer comme au Québec ou en Finlande ? Comment renforcer les compétences des enseignants en matière d’évaluation de leurs pratiques ? Comment renforcer la qualité du contrôle lorsqu’il est maintenu ? Comment impliquer les organisations professionnelles enseignantes dans cette réflexion sur le contrôle ?
Cette manière de problématiser la question du contrôle du travail enseignant dans une période où la publication des enquêtes sur l’efficacité des systèmes éducatifs et l’évolution des politiques publiques vers toujours plus de rationalisation questionnent l’efficacité des pratiques enseignantes, met en évidence, pour Philippe Perrenoud, la nécessité pour chaque système éducatif de stabiliser des savoirs de référence en la matière. Savoirs de référence sur lesquels les formateurs, les cadres et les enseignants pourraient appuyer leurs choix.

Des politiques publiques dans le long terme ?

Tous les systèmes éducatifs qui s’interrogent aujourd’hui sur l’efficacité des enseignants, des établissements, de leur système dans son ensemble, ne partent pas avec la même culture en matière de contrôle du travail enseignant, tant s’en faut. Agnès Van Zanten a rappelé les différentes modalités de contrôle dans un système éducatif de type bureaucratique : les concours, les programmes, les examens passés par les élèves, le rôle des organisations professionnelles, les modes de régulation plus ou moins concurrentiels ; le modèle postbureaucratique tente davantage d’établir une culture de l’évaluation et de la régulation par le biais des contrats, des conventions.
Walo Hutmacher, en décrivant le modèle finlandais, nous a fait entrer dans un univers culturel assez différent : pas d’inspecteurs, pas d’examens nationaux, une grande autonomie des écoles. Comment ce pays a-t-il pu garantir et réussir l’élévation du niveau d’études voulues il y a plus de quarante ans ? La loi scolaire principale tient en dix-neuf pages seulement : elle présente les buts et les principes. L’ingénierie de formation est dévolue aux autorités locales. La scolarité obligatoire se déroule sans sélection de 7 ans à 16 ans, pratiquement sans redoublement. Parce qu’il est normal d’y apprendre à son rythme, enseignants et élèves travaillent dans un climat pacifié sans le levier de la peur de l’échec. Le pouvoir scolaire est essentiellement porté par les collectivités locales qui sont les employeurs des enseignants. Ainsi, le recruteur, les parents sont des personnes proches identifiables avec lesquels les enseignants ont des relations de proximité. On est loin d’une bureaucratie anonyme. Seules les universités et les grandes écoles sont gérées de manière centralisée.
La formation des enseignants longtemps sous contrôle de l’État a été transférée aux universités en 1961. La Finlande a donc quarante ans de recul sur l’universitarisation de la formation des maitres et c’est un nouveau corps professoral qui s’est constitué. Ce n’est plus le futur employeur qui contrôle la formation, mais l’université jugée plus neutre et plus externe, où la recherche en éducation tient une grande place dans la formation des maitres. Les deux sources principales de contrôles sont les autoévaluations des enseignants et les évaluations des élèves.
Le modèle finlandais décrit par Walo Hutmacher illustre assez bien ce qu’écrivait Monica Gather Thurler en 1994 : « L’efficacité des établissements ne se mesure pas : elle se construit, se négocie, se pratique et se vit. »

Marie-Anne Leduby
Directrice de l’École des cadres de l’enseignement catholique