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L’université peut-elle vraiment former les enseignants ?

La question de la formation des enseignants à l’université, abordée à travers des contributions d’universitaires francophones de divers pays, est d’actualité. Pas évidente, surtout en France. Cette question n’est-elle pas au fond au cœur d’une réflexion que l’université se doit d’avoir sur elle même?
Ce livre est issu d’un symposium du Réseau International de Recherche en Education et en Formation (REF) de 2005 consacré à l’articulation entre l’universitarisation et la professionnalisation de la formation des enseignants.

Il est à ce titre constitué de chapitres écrits chacun par des professeurs en Sciences de l’éducation européens et canadiens. La question qui est posée dès l’introduction est claire : la forme de l’université est-elle compatible avec la formation professionnelle des enseignants ?

La première partie rappelle judicieusement les tensions historiques qui gèrent le rapport entre une formation professionnelle et une formation universitaire. L’exemple de la création des IUT dans les années 1970 en France est riche d’enseignement sur ces relations. Les IUT, s’ils font partie intégrante de l’université, sont néanmoins des structures très autonomes de l’Alma Mater, comme si ces formations à finalités professionnelles n’étaient pas tout à fait la même chose qu’un cursus universitaire classique. D’ailleurs, à l’heure de l’organisation en LMD de l’université française, les IUT sont toujours à part.

La deuxième partie traite de ce qui est sans doute la question clé de la formation des enseignants à l’université, c’est à dire la nature des savoirs en formation professionnelle à l’université. Et curieusement, c’est le rapport entre la discipline scolaire et la même discipline universitaire qui pose problème, entre autres sur la place de l’enseignant. Au fond, s’il l’on s’accorde à reconnaître qu’un futur enseignant doit avoir quelques notions de sociologie, d’histoire de l’éducation etc. savoirs que l’université peut lui amener, il est beaucoup moins évident que la propre discipline d’enseignement du futur professeur ait une place, et si oui laquelle, dans sa formation. L’exemple de l’université de Louvain prenant en charge la formation de ses propres enseignants illustre très bien ces questions.

En continuité de cet exemple, la partie suivante traite des stratégies pour accompagner le changement sur le modèle du référentiel de compétence, en posant toutefois la question de savoir s’il s’agit d’un réel outil ou plutôt d’un effet de langage, puis sur la recherche d’une cohérence dans les programmes de formation des enseignants, cohérence peu évidente selon les chercheurs qui ont étudié cette question, tant sur la diversité des acteurs que sur l’absence d’un consensus sur les savoirs pertinents de cette formation.

La dernière partie présente des dispositifs intégrateurs de formation professionnelle. Et c’est sur l’exemple d’une transformation radicale de la formation des ingénieurs à l’université de Louvain, basée sur une approche par problèmes et par projets que commence cette présentation. Cet exemple serait-il valable pour la formation des professeurs ? Quoiqu’il en soit, la suite démontre qu’un travail à l’interface entre l’université, les enseignants et leurs formateurs dans toute leurs diversités est une voie possible pour répondre à la demande de plus en plus présente d’une formation des enseignants.

Ce livre, comme les auteurs le disent eux mêmes, est une introduction à cette problématique de la formation universitaire des enseignants. On voit à sa lecture que le chantier est immense, et que c’est une question sur laquelle les chercheurs de l’université eux même s’interrogent. Une des pistes toutefois qui n’est pas évoquée dans cet ouvrage est peut être que le monde de l’enfant et de l’adolescent n’est pas celui de l’université. Car si les auteurs rappellent à juste titre qu’historiquement, l’université était la seule à délivrer les diplômes nécessaires pour exercer la médecine, pratiquer le droit, la théologie et l’enseignement via la « licencia docendi » au Moyen Age, la formation primaire et secondaire n’a jamais été du ressort de l’université. Et si les exemples innovants présentés dans le livre nous viennent de Belgique ou du Québec, peut être est-ce du au fait très français de l’existence « d’ordres » au sein de l’ensemble de l’école en France, comme l’a fort bien souligné l’historien de l’éducation Claude Lelièvre lorsqu’il parlait « d’ordre primaire, d’ordre secondaire », au sens pratiquement de castes ou de monde totalement distincts.

Rappelons que la France est le seul pays avec ce double système de formation scientifique avec l’université et ses masters d’une part et les écoles d’ingénieurs d’autre part, comme si, encore une fois, la formation professionnelle n’allait pas de soi pour le monde universitaire. La question de la formation des enseignants à l’université est donc au cœur d’une réflexion que l’université se doit d’avoir sur elle même d’abord.

Sylvie Grau