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L’exemple Espagnol

Depuis une dizaine d’années, l’Espagne a pris des initiatives pour rapprocher les différentes formes de formation professionnelle et l’expérience professionnelle. En 1999 l’Institut National des Qualifications est né du dialogue entre le gouvernement espagnol, les syndicats et les employeurs. Sa mission consiste à coordonner les certificats et qualifications fournis par les trois sous-systèmes de formation et d’enseignement professionnels existants : enseignement professionnel initial[[Ministère de l’éducation.]], formation des travailleurs sans-emploi[[Ministère du travail et de l’emploi.]], formation continue[[Organisée par les partenaires sociaux et le Ministère du travail et de l’emploi.]]. Il doit établir avec les communautés autonomes un système unique de qualifications professionnelles, proposer un système d’accréditation et de reconnaissance professionnelle, et mettre en place un organisme d’études et de recherches sur la relation formation emploi afin d’informer les différents acteurs. Dès 1990, la première loi de réforme du système éducatif et de la formation professionnelle avait eu pour conséquence la création de « certificats de qualifications professionnelles » par le Ministère du travail et de l’emploi. Celle de 2003 a mis l’accent sur la nécessaire « qualité de l’enseignement », avant qu’en 2006 soit affirmé un objectif de « formation tout au long de la vie », impulsant, conformément aux standards européens, la « validation des compétences professionnelles » ou « el Procedimiento de evaluacion y acreditacion de las competencias ». Enfin a été mise en évidence la volonté d’initier une « nouvelle formation professionnelle du système éducatif plus en lien avec la formation pour l’emploi », et de soutenir l’activité économique du pays.

La reconnaissance des acquis : mobilisation des acteurs

L’objectif assigné à l’Agence des qualifications professionnelles, que ce soit en Aragon ou en Catalogne, est de favoriser et développer les liens entre « formation et emploi ». Pour l’avenir, les acteurs sociaux et économiques se montrent conscients de la nécessité de parvenir à un meilleur rapprochement entre « monde de la formation et monde du travail ».

La validation des compétences professionnelles ou « el Procedimiento de evaluacion y acreditacion de las competencias » recouvre un ensemble d’unités de compétences qui font partie des diplômes de la formation professionnelle ; aussi peut-elle être envisagée comme un analyseur des positions qu’adoptent les acteurs sociaux, économiques, et politiques par rapport à la formation professionnelle. En 1998, conformément à un accord national, il a été décidé d’intégrer les trois sous-systèmes de formation professionnelle préexistants dans les différentes régions du pays, et de créer des centres de formation professionnelle intégrés réunissant les trois types de formations[[Formation initiale ou reglada (relevant du Ministère de l’éducation), formation pour demandeurs d’emploi ou ocupacional (relevant du Ministère du travail et de l’emploi)), formation continue ou continuada (relevant du Ministère du travail et de l’emploi).]] jusque là distinctes. Cette démarche expérimentale avait été mise en œuvre au pays basque dès 1998, puis en Catalogne en 2002, et enfin en Aragon en 2006, où cinq centres participent à l’expérience dans le but « d’améliorer la qualité de la formation professionnelle et de se rapprocher du standard européen ».

Si l’accès à l’emploi est facilité par la détention d’un diplôme, il semble pour autant que l’on constate selon le directeur de la formation professionnelle de la région Aragon, un « phénomène de surqualification ou de déclassement de la population active »[[Propos recueillis au cours d’une l’enquête ERTe REV conduite en décembre 2006.]]. Sur le plan socio-économique, à l’issue d’une période d’une vingtaine d’années marquées par des pertes d’emplois, une forte croissance a depuis dix ans favorisé le plein-emploi, le taux de chômage étant de l’ordre de 8 % en Espagne et 5 % en Aragon, même si les femmes sont un peu plus touchées que les hommes dans une économie[[Source : Plan general de Education Permanente de Aragon 2005-2006, Consejo de Educacion Permanente de Aragon, Gobierno de Arago, Departemento de Educacion, Cultura y Deporte.]] aragonnaise caractérisée par la présence d’unités de fabrication dans le secteur industriel, notamment automobile (Opel) et d’entreprises de sous-traitance.

En application de l’accord national qui vise à intégrer les trois sous-systèmes de formation professionnelle, en Aragon deux secteurs ont été retenus pour mener l’expérimentation de cette intégration au sein de centres de formation : ceux de l’électricité, et de la cuisine (hôtellerie, restauration) ; les motifs énoncés pour justifier ce choix sont :
– pour le secteur d’activité de l’électricité : l’obligation légale et réglementaire faite aux professionnels du secteur de présenter un « carnet attestant de leurs compétences »,
– pour le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, cuisine : « la volonté de réglementer progressivement l’exercice de la profession pour laquelle jusque-là aucune exigence de qualification n’était formulée ».

Le choix de ces secteurs révèle un double objectif d’amélioration des niveaux de qualifications et de la qualité des prestations fournies en raison d’un cadre réglementaire qui impose des compétences reconnues inhérentes aux risques (physiques et sanitaires) potentiels des métiers du bâtiment et du tourisme. Porteurs de développement, ils sont accompagnés par la politique régionale de formation professionnelle.

Si traditionnellement le marché du travail a reconnu les compétences professionnelles de la population active en référence au diplôme possédé, la validation des compétences professionnelles ou « el Procedimiento de evalucaion y acreditacion de las competencias profesionales », géré(e) par l’Agence des Qualifications Professionnelles d’Aragon, offre une nouvelle voie d’accès à la qualification dans la mesure où elle s’adresse à des travailleurs ayant acquis certaines compétences professionnelles alors que ceux-ci ne possèdent pas le diplôme académique correspondant. L’expérience, les connaissances, et les aptitudes constituent la seule preuve de leur capacité, et la validation des compétences professionnelles ou « el Procedimiento de evalucaion y acreditacion de las competencias profesionales » est organisé en quatre étapes : Informacion, Asesoramiento, Evaluacion (experts évaluateurs : évaluation du dossier du candidat et mise en oeuvre), Acréditacion.

Dans ce contexte aragonais, la direction de l’Union Générale des Travailleurs (UGT) a décidé de créer un centre de formation intégré. L’UGT[[Interview du responsable UGT du secteur formation.]] fait état du nécessaire développement d’instances de consultation et de prise en compte de la représentation syndicale, tout en mentionnant que les représentants syndicaux sont réellement et régulièrement sollicités par le conseil régional de la formation professionnelle. Sur un autre registre, les représentants[[Interview de 2 responsable de la CEPYME.]] de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises (CEPYME)[[Organisation intersectorielle.]] d’Aragon déclarent concevoir la formation comme « élément d’accompagnement de la flexibilité de la production, devant favoriser l’adaptabilité afin d’améliorer l’employabilité des chômeurs dans une perspective qui est celle des compétences mondiales » ; ainsi, « la formation devrait-elle permettre de transmettre le maximum de connaissances que le travailleur soit en activité ou qu’il soit au chômage, afin de développer ses capacités individuelles » ; « l’offre de formation modulaire devrait donc viser l’adaptation du travailleur, renforcer son employabilité, et tenir compte de l’évolution des postes de travail, notamment celle découlant des évolutions technologiques ». Ils mettent l’accent sur la nécessité d’anticiper les évolutions et transformations du marché du travail, en particulier dans les secteurs de la métallurgie, de la construction, et de la logistique, dans un contexte désormais mondialisé.

Si cette conception de la formation professionnelle s’inscrit clairement en référence à un inévitable besoin d’accompagnement du changement et des transformations du monde de la production, le dispositif de concertation et de négociation mis en place par l’Agence des Qualifications Professionnelles au niveau de la région tend à relayer et à mettre en cohérence les attentes des acteurs sociaux et économiques, et autorise à conclure à une véritable mobilisation des partenaires sociaux dans le champ de la formation professionnelle et de la reconnaissance des acquis de l’expérience.

Transformation de la politique de formation professionnelle

En Espagne, selon la loi de 2002 sur la qualification professionnelle, un processus d’évaluation et d’accréditation doit être mis en œuvre. Ce processus complexe renvoie à plusieurs objectifs : « apprentissage, amélioration de la qualification, et volonté de créer une série d’accréditations ». L’expérimentation engagée a pour but de « favoriser à la fois une plus grande mobilité et transparence des parcours de formation et de les rendre plus flexibles tant sur les plans économique, que social, et culturel, et de lier innovation et qualité. Tous les centres de formation d’Aragon doivent faire l’objet d’une certification ISO 9001 ». En Aragon, le département « Education, Culture et Sport » du gouvernement exerce des compétences qui lui sont transférées par l’Etat[[Comme aux autres régions.]] : la santé et l’éducation. Selon ses responsables institutionnels, la Région « a toute la capacité d’agir et d’élaborer ses propres normes, d’établir des priorités en fonction de son budget », tout comme la Generalitat[[Généralitat= Région.]] de Catalogne. L’intérêt principal de cette autonomie est de rapprocher au maximum les décisions politiques des citoyens, et d’inscrire l’action politique à la fois dans une perspective de responsabilisation collective et de formation à la citoyenneté tant sur le plan individuel que collectif.

D’un point de vue philosophique, l’application de la loi de 2006 semble obéir, pour ce qui est de la mise en œuvre de la procédure de validation des compétences professionnelles ou « del Procedimiento de evaluacion y acreditacion de las competencias », à la volonté de « tendre vers une plus grande justice sociale (égalité) tout en facilitant l’apprentissage de la vie sociale et de la citoyenneté ».

Trois axes significatifs apparaissent de manière récurrente : une volonté politique stratégique de contraindre les représentants des deux Ministères concernés (éducation, travail et emploi) à coordonner leurs démarches en matière de formation professionnelle et de la validation des compétences professionnelles ou « del procedimiento de evaluacion y acreditacion de las competencias profesionales », de mobiliser les acteurs sociaux et économiques aux différentes étapes du processus de concertation et de décision, d’impliquer les responsables des centres de formation intégrés dans une démarche d’expérimentation et de transformation de la formation professionnelle. Néanmoins, comme en France, la notion de compétences fait l’objet de débats. Pour autant, la différence entre « Reconnaissance des acquis de l’expérience » (VAE), et validation des compétences professionnelles ou « procedimineto de evaluacion y acreditacion de las competencias » révèle une distinction majeure de conception de la démarche, puisqu’il s’agit dans le cas de l’Espagne de la seule reconnaissance des acquis professionnels et non des acquis de l’expérience personnelle et sociale. Actuellement, l’acception par l’Espagne de la reconnaissance de l’expérience ne vise que des acquis formels ou non formels et en aucune façon des acquis informels comme c’est le cas en France.

Pascal Lafont et Marcel Pariat, Enseignants chercheurs ERTeREV – Reconnaissance, Expérience, Valorisation, de l’Université Paris 12 Val de Marne.