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Jouer en classe autour du fait religieux et de la laïcité

Lundi après-midi, les élèves de CE2 de l’école parisienne Maurice d’Ocagne s’agitent, rangent leurs cahiers, préparent les dictionnaires et forment des groupes de travail prêts aux « défis » du jour. Les élèves jouent à l’Arbre à Défis, un jeu épistémique conçu par l’association Enquête comme une initiation savante et ludique au fait religieux et la laïcité. L’objectif est de faire gagner à son équipe des points qui se traduisent par des feuilles d’arbre aux couleurs des différentes équipes. En juin, cet arbre est fourni et témoigne des apprentissages des élèves. Les cartes du jeu, textes et images à l’appui, sont un élément essentiel pour donner les clés de compréhension et d’exploration.

Manuel et Mohammed égrènent les indices de leur défi : « 1 : ville sainte pour les juifs. 2 : ville sainte pour les chrétiens. 3 : ville sainte pour les musulmans ». Les élèves ne répondent pas, le réflexe dominant est celui de comprendre ce que veulent vraiment dire les mots, ne pas s’arrêter à ce qu’on croit savoir. Et c’est parti pour un voyage dans les mots, l’histoire, la géographie.
On analyse les définitions du dictionnaire pour déterminer laquelle correspond au contexte. La réponse à ce défi engendre d’autres questions « ça veut dire quoi prendre le pouvoir ? » « C’est quoi un pèlerinage ? »
Les élèves notent régulièrement les nouvelles connaissances qui vont d’ailleurs leur servir pour leurs nouveaux défis et les échanges fusent. Le fait de nommer « juif », « mihrab », « croix », retire la tentation de l’invective et les banalise. Les élèves sont dans la comparaison et non la confrontation, il s’agit d’un sujet d’études comme un autre.

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Entretien avec Gabrielle Hardy-Engelson

Comment est né le partenariat avec Enquête ?
Suite à une incitation de la Mairie aux écoles de l’arrondissement j’ai fait la connaissance du travail de l’association Enquête et du jeu l’Arbre à défis. J’exerce dans une école sur les Maréchaux fréquentée par un public assez défavorisé où la mixité sociale n’est pas au rendez-vous. En 2012, parmi les élèves, une petite minorité tient des propos autour de la religion sous une forme agressive : il est souvent question d’insulte « à leur religion ». Cela conduit à des situations conflictuelles aussi bien avec les autres élèves qu’avec les adultes, dues à la fois à un besoin de reconnaissance identitaire et à un manque de connaissances.
Mais, à ce moment-là, je ne me sens pas forcément suffisamment armée pour intervenir de façon pertinente dans ce domaine. J’ai le sentiment alors que la proposition d’Enquête, son jeu, pourrait donner cette légitimité et une marche à suivre

Qu’apporte cette approche ludique ?
D’abord une mise à distance. L’objet, le jeu de carte, met en évidence qu’il ne s’agit pas d’un propos personnel de l’enseignant, mais bien d’une démarche construite. Cette mise à distance permet de toucher à ce sujet délicat.

L’intérêt réside aussi dans l’activité autour du jeu qui stimule l’implication des élèves. De plus, c’est un jeu d’équipe, qui stimule l’effort collectif. Les cartes permettent des parcours souples, variés et équilibrés. On peut aussi bien traiter un sujet ponctuel, choisir un parcours plus long ou encore revenir sur certaines notions tout au long de l’année.

Enfin, la richesse des textes et leur complexité. Évidemment, tous ne sont pas accessibles dès le CE2. Mais, ce qui importe, c’est que les élèves se rendent compte que l’on peut comprendre partiellement un texte (ce n’est pas tout ou rien) et que la compréhension n’est pas donnée, mais l’objet d’une construction. La fréquentation régulière de ce jeu enrichit évidemment les connaissances des élèves qui tissent des liens et gagnent en assurance.

Quel est l’impact sur les relations entre les élèves ?
J’ai observé un climat général d’intérêt et de réflexion, un plus grand respect de la parole des autres, qu’elle soit contradictoire ou pas. Les élèves parviennent même à se positionner par rapport aux autres « Je pense ou ne pense pas comme… ». Le jeu instaure un climat de collaboration et de communication au sein des équipes. De plus, les élèves développent au fur et à mesure un questionnement pertinent qui montre une appropriation du sujet. Par exemple : « je me demande comme Youcef, comment les fêtes sont venues au monde ». Dès la première année, la démarche est totalement acceptée par les familles et les élèves. Je le constate par des retours informels plutôt positifs.

Entretien avec Marine Quenin, fondatrice de l’association Enquête

Quelle a été la genèse de vos outils et approche ? Quels en sont les objectifs ?
Nous avons développé des outils pour aborder laïcité et faits religieux, sous un angle non-confessionnel, à partir du jeu et des questions que les enfants se posent au quotidien. Notre objectif est double : permettre aux enfants de mieux comprendre l’environnement dans lequel ils évoluent (construction du temps et du calendrier, organisation de l’espace, pratiques, symboliques) et d’être en mesure d’évoquer ces sujets sur un mode apaisé.
Pour ce faire, nous disposons de plusieurs outils : des ateliers en temps scolaire, péri et extrascolaire, des jeux sérieux en cohérence avec les programmes, la formation des enseignants et le travail de recherche.

Quelles sont les apports spécifiques de votre démarche ?
Nos outils sont rassurants dans leur prise en main. Il s’agit de dédramatiser l’abord de ce thème si sensible. Par ailleurs, il est possible de les adapter au fonctionnement de classe, de les connecter aux autres matières (français, éducation civique et morale, histoire, mais aussi sciences), voire de laisser les enfants vous emmener très loin sur des questionnements philosophiques !
Enfin, le développement et la validation de cette innovation pédagogique est le fruit d’un travail collaboratif entre enseignants et chercheurs tels que Eric Vinson, chercheur sur les questions religions et société, et le GSRL (Groupe Société, Religions, laïcité) du CNRS.