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Économique et social partout, SES nulle part

Nommées par un acronyme, les SES ne nous disent pas qui elles sont, ce qu’elles contiennent, de quoi elles sont faites, à quoi elles servent. Un acronyme nécessite de connaître le développement des mots qu’il indique, dans un contexte donné. Il n’est clair que pour ceux qui savent sa signification. Parfois SES veut dire Section d’enseignement spécialisé.
Les sciences économiques et sociales ne sont pas une discipline universitaire. Au niveau du supérieur, elles se scindent en trois : économie, sociologie et politique.

Politique ne peut pas prétendre à la scientificité. Or, c’est tout de même depuis des siècles l’université qui légitime les disciplines. Quand on ne dit pas SES, on a tendance à dire « éco ». En effet, la discipline/filière SES vient historiquement d’une filière B, « économie ». L’autre raison, me semble-t-il, est que l’économie est formalisée, qu’elle contient des concepts spécifiques tandis que politique est à tout le monde par principe républicain et sociologie a l’air, au moins l’air, de pouvoir s’approprier facilement. En économie, on ne comprend pas tout du premier coup ; en sociologie, quand on découvre une notion, une idée ou une analyse, on comprend vite, ce n’est pas difficile. On perçoit facilement la sociologie comme une extension du « bon sens ». Il y a un savoir sociologique, certes, mais il ne nécessite pas réellement de prérequis. On se sent toujours à pied d’œuvre.
Malgré cette appellation « Sciences », les sciences économiques et sociales semblent fort peu scientifiques. Elles recherchent une solidité de leur logique interne et entretiennent un rapport à la réalité assez flou et indécis. Même si l’on admet que la science progresse par des débats et des polémiques, il est difficile d’admettre que tout soit en débat et en polémique. D’un autre côté d’une frontière épistémologique, les hommes créent des sciences dures, dont le modèle est sans doute la physique. On pourrait parler de « sciences tendres ». Tendre est un contraire de dur et les sciences sociales et sciences humaines supposent une certaine « tendresse » avec leurs objets, qui ne peuvent jamais être complètement objectivés ainsi qu’une certaine tendreté de leurs concepts, au sens de la tendreté du steak. Les concepts de l’économie et de la sociologie sont ainsi assez friables aux bords et flexibles au centre, c’est bien certain.
Ils s’accommodent mal de ce fait à l’institution scolaire qui préfère du sédimenté… Les manuels de SES doivent être refaits régulièrement. La marche du monde est telle qu’on ne peut plus apprendre l’économie en parlant de la lutte contre l’inflation comme on faisait dans les années 70.

À l’opposé des SES, l’économique et social est partout et le rôle d’éducation populaire de la radio, des journaux est immense. Un reportage du 20 h sur la fusion Suez-GDF par exemple est un petit cours de Sciences économiques et sociales. Les journaux sur papier ont des pages économie, société… elles n’ont pas de pages Histoire ou Mathématiques.
Cette discipline est caractérisée d’un côté par une invisibilité des fort peu scolaires SES dans la formation générale d’un jeune, et par une omniprésence de l’économique et social dans les mass-médias et dans la société, ce qui est bien normal puisque c’est le discours de la société sur elle-même.
Les SES sont comme le point aveugle de toute l’école, indispensable et cependant impensable. L’école a l’air de n’en pas vouloir. Elle veut enseigner du certain, de l’indiscutable. Tout se passe comme si l’école souhaitait que l’élève tire tout seul sa citoyenneté de son apprentissage, de la transmission des savoirs assurés… et qu’une discipline portant cette citoyenneté ne pouvait y trouver sa place.

Aurélien Péréol, Enseignant de sciences économiques et sociales.