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Changer l’université pour changer la formation des profs ?
Nostalgie d’un passé mythique de la part des conservateurs au pouvoir, volonté d’économiser les salaires des stagiaires de cinquième année pour les libéraux, opportunisme de certains présidents d’université, revendication justifiée d’une revalorisation de la profession enseignante par la FSU, sans oublier, peut-être, un changement de lune ou un coup de vent du sud, sont autant de causes potentielles du dernier « coup de Calgon » du président Sarkozy concernant la formation des maîtres et la remise en cause, plus ou moins, explicite de l’existence des IUFM.
Une formation professionnelle insuffisante
Actuellement, un futur enseignant passe trois années après son bac à ingurgiter des « savoirs savants » qui n’ont pour la plupart que de lointains rapports avec les savoirs qu’il devra plus tard enseigner à ses élèves. Puis, si tout va bien, notre candidat professeur consacre une quatrième année à préparer un concours de recrutement (Capes, CAPE), dont la logique de réussite est très éloignée des compétences et connaissances dont il aura besoin quand il sera sur le terrain.
Ce n’est qu’en cas de réussite à ces concours que, enseignant-stagiaire, il va commencer sérieusement à découvrir son futur métier. Mais pour des raisons d’économies budgétaires, il le fera surtout « sur le tas », en stage en « responsabilité ». Il sera seulement conseillé, de temps en temps, par un tuteur qui viendra le superviser de rares fois au fil de cette cinquième année. Le temps de formation promptement dit, qui prend la forme de cours théoriques et de stages tutorés, n’est au final que de trois mois. Ne parlons pas des futurs agrégés, ni des enseignants universitaires (maîtres de conférence et professeurs des universités), qui ne bénéficient d’aucune formation initiale à l’enseignement digne de ce nom.
La formation continue des enseignants est aujourd’hui à l’état de jachère. Nombre de professeurs traversent toute une carrière sans bénéficier d’une formation continue sérieuse. Pour les professeurs des écoles, elle peut se limiter à douze heures dans une année.
Confier la formation des enseignants à l’université peut être une occasion de l’améliorer significativement, à condition de changer l’université elle-même.
Élargir les missions de l’université
La raison d’être de l’université est double : produire des connaissances par la recherche et transmettre une partie de ces connaissances à travers la formation d’étudiants. Pourquoi l’étude de la vulgarisation de ces savoirs auprès de la grande masse des élèves, au cours d’un cursus allant de la maternelle à l’université, sans oublier le grand public, ne fait-elle pas partie intégrante des missions universitaires ?
Cela reviendrait à préparer les étudiants à se poser les questions suivantes : comment des élèves de tel ou tel niveau vont-ils se comporter face à tels ou tels savoirs ? Quels seront les écarts possibles entre ce que je sais en tant que professeur (savoir-savant) et ce que je décide d’enseigner (savoir-enseigné), et quels seront les écarts entre ces savoirs enseignés et ce que les élèves auront compris et/ou retenu (savoirs-appris) ? Actuellement l’université se comporte en autruche face à ces questions en les externalisant. Les sciences de l’éducation et les IUFM en sont deux illustrations quasi schizophréniques.
Le cœur des savoirs
Chaque champ disciplinaire ne devrait-il pas aider ses étudiants à s’interroger, très tôt dans leur formation, à ce qui fait le cœur, le noyau, l’essence des savoirs proposés ? Il est clair que l’épistémologie, l’histoire et l’anthropologie de ces savoirs devraient être convoquées pour bousculer les incontournables évidences ou insuffisances d’étudiants, à condition qu’elles soient elles-mêmes vulgarisées afin de sensibiliser les jeunes aux dernières avancées de la recherche.
Penser, c’est trier, classer, distinguer. Mais enseigner implique au moins une étape de plus : choisir. Et qui dit choisir dit abandonner, volontairement et consciemment, certains savoirs. Une forte sensibilisation à la réflexion sur ce qui constitue le cœur d’un savoir ne peut être reportée à la fin d’un cursus universitaire, quel que soit le débouché professionnel envisagé.
Les relations sociales comme moyen de formation
L’école n’est pas la « vraie vie ». Elle doit préparer à la vie, protéger ceux qu’elle prépare de certains dangers de la vraie vie, notamment dans le domaine des relations entre les individus. On sait qu’un intervenant, surtout débutant, va prioritairement s’appuyer sur son vécu en tant qu’élève ou étudiant au moment de se lancer dans l’acte d’enseigner. Il y aurait donc urgence stratégique à ne pas enseigner aux étudiants de façon trop décalée avec ce que nous attendons d’eux plus tard. Autrement dit : tenter de dire ce que l’on fait et, surtout, de faire ce que l’on dit… y compris à l’université.
Ainsi, considérer la richesse des relations sociales entre élèves comme étant à la fois un objectif de formation et un moyen de cette formation peut tout à fait se transférer de l’école à l’université. Resterait à régler la dramatique question de la formation à l’enseignement… des enseignants intervenant à l’université.
Articuler de façon dynamique théories et pratiques
Proposer, à bac plus deux, une vulgarisation sur les théories de l’apprentissage ou sur la gestion des groupes humains ne sert à rien si ces théories ne sont pas mises en œuvre face à des élèves, y compris avec toutes les approximations et les aléas que ce passage à la pratique suppose. Concrètement, confronter des étudiants à une pratique de l’intervention implique des mises en stages fortement tutorées. La contradiction entre le droit à l’erreur inhérent à tout enseignant en stage et la protection due aux élèves qui lui sont confiés, est plus simple à régler qu’il n’y parait à la stricte condition de la présence quasi permanente d’un tuteur. Mais confronter peut vouloir dire, en plus de l’intervention directe, analyser une séquence vidéo montrant un acte d’enseignement et/ou d’apprentissage, réagir dans des jeux de rôles, vivre une situation d’apprentissage soi-même en tant qu’étudiant-élève.
Proposer, très tôt dans le cursus, un temps de confrontation à l’acte d’enseigner en lui-même est possible. Par exemple, inviter un étudiant à bac + 2 à intervenir devant un groupe de quatre ou six élèves limite le nombre de variables qu’il aura à maîtriser. Il s’agit de contextualiser progressivement, sans pour autant rêver d’appliquer, même si la transmission de l’expérience des maîtres confirmés à travers la communication ou la prise de conscience de recettes n’est surtout pas à proscrire. À la condition que cette transmission trouve sa place au sein d’un ensemble de savoirs organisés : une théorie de la pratique.
Il s’agit bien ici de la formation à la conduite à chaud d’un enseignement, au sens où cette capacité nécessite de l’entraînement. Savoir décider dans l’incertitude et réagir dans l’urgence, ça s’entraîne. Une telle évidence peut servir de fil conducteur à tout le dispositif, sans pour autant tomber dans le piège de « C’est en forgeant – et seulement en forgeant – que l’on devient forgeron ! ». S’entraîner, cela veut dire tenter, échouer, répéter, modifier, analyser à chaud, mais, le plus souvent, d’abord et surtout réagir à chaud. Cette capacité de réaction dans l’instant, constitutive de l’acte d’enseigner, justifierait, à elle seule, une préprofessionnalisation très précoce, à la condition que celle-ci soit l’objet de prises de recul et d’analyses systématiques a posteriori par des pairs (d’autres néo-étudiants en stage avec l’intervenant), mais surtout par un ou des formateurs de formateurs (les tuteurs).
Un deuxième temps incontournable est celui des cours théoriques, à la condition que la théorie construise, pas à pas, un cadre d’analyse susceptible d’aider un étudiant à mieux décrypter un réel complexe. Là aussi, il faut du temps, notamment pour permettre aux acteurs comme aux observateurs de prendre conscience des « bougés » d’une séance à l’autre, d’un cycle à l’autre, etc. Comprendre que ce que l’étudiant apprend en cours « théoriques » peut lui servir sur le terrain et que lui-même, en tant qu’intervenant, se transforme peu à peu, ne se fait pas en cinq minutes…
Former et transformer
Je voudrais proposer un postulat comme organisateur de l’ensemble du dispositif : former un professeur, c’est long. C’est même très long. C’est long du fait de la quantité de connaissances théoriques et de compétences souhaitables à acquérir pour tout futur intervenant. C’est long car « construire » un professeur nécessite souvent de « déconstruire une image ou des images de prof », si possible pour en reconstruire d’autres plus professionnelles. Autrement dit, la transformation profonde d’un individu, dans ses rapports aux savoirs et dans ses rapports à des apprenants placés face à ces savoirs, ne se fait pas simplement.
Un second postulat découle évidemment du postulat organisateur : une formation de professeur, ça coûte cher ! Tenter de faire croire le contraire frise l’escroquerie intellectuelle. Tenter de faire des économies sur ce chapitre en espérant former à bas prix, – par exemple en créant des stages en responsabilité au lieu de stages tutorés – est tout simplement criminel, car c’est l’avenir des enfants du xxie siècle qui est en jeu.
Finalement, le coup de sang de Sarkozy qui, comme souvent, s’est sans doute nourri d’une des faiblesses du système auquel il s’attaque, peut être une chance à saisir, à condition d’aller au bout de nos analyses et de créer les rapports de forces nécessaires pour vaincre les résistances d’un système universitaire, peut-être moins carriériste et moins fermé à son impact social que l’on pourrait le croire.
Jean-Paul Julliand, Enseignant d’EPS retraité, ex-responsable du Deug à l’UFRSTAPS de Lyon.