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Osons l’école ! Plaidoyer pour une école audacieuse

Nous sommes quelque peu saturés de récits d’enseignants amers, déçus, se considérant comme victimes d’un système qui les broie, accusant les parents de démissionner, l’administration d’être lâche et veule et les élèves de ne pas être à la hauteur de leurs rêves. Ou s’estimant les derniers résistants d’un monde qui part à vau-l’eau.

Aussi accueillons-nous avec sympathie cet ouvrage écrit par des enseignants de terrain qui essaie de faire entendre une pluralité de voix et montre toute la complexité d’une situation plutôt bloquée. Dans un établissement à peine fictif, lors d’une année ordinaire, mois après mois,  (mais aussi « moi après moi »), différents acteurs (profs de toutes tendances, du réac au pédago, du chevronné à qui on ne la refait pas au débutant plein de bonne volonté, mais aussi parents inquiets, principal débordé, et élève au bord de l’exclusion) donnent leur point de vue, font part de leurs doutes face à leur condition, aux « réformes qui tombent d’en haut », mais aussi pour beaucoup d’entre eux de leurs rêves de changements profonds, même si le « yaka » pointe souvent le nez. Les travers des uns et des autres, les clichés, les discours convenus sont  mis en évidence dans des dialogues  reflétant bien ce que l’on vit dans les salles de profs  par exemple. Et puis, s’introduit un personnage supplémentaire qui donne une note originale au livre : un certain Jules qui envoie des SMS et regarde avec étonnement l’évolution de l’école républicaine qu’il a instituée voici plus de cent ans.  Dans sa préface, François Dubet fait cependant remarquer que le vrai Ferry n’était pas aussi progressiste que sa présentation ici le laisserait penser, malgré de beaux discours tel celui qui est reproduit en « juillet » (ces discours qu’un Claude Lelièvre nous a aidés à redécouvrir).

On peut suivre les auteurs dans nombre de leurs réflexions, notamment quant aux décalages entre ce qui « tombe d’en haut » et l’application sur le terrain (à propos des EPI, de l’accompagnement personnalisé par exemple), on appréciera les notations très justes sur les conseils de classe, les discussions de l’évaluation ou les évocations de la formation initiale En revanche, on regrettera que par moments, les auteurs se laissent aller à des jugements simplistes et lapidaires (le pire : la façon dont sont évoqués les TAP à l’école primaire) et à tomber dans la caricature (la formation sur la réforme du collège ou les réponses du chef d’établissement devant le comportement délictueux de « Mehdi »). Et on trouvera parfois facile l’opposition entre l’Institution, même parée de bonnes intentions et les réalités du terrain, peut-être y a-t-il hésitation entre la tentation du « populisme éducatif » un brin corporatiste et une reconnaissance de la complexité des choses et de la difficulté à faire bouger le système.

En fait, le livre renvoie souvent à des références intéressantes  (y compris les Cahiers pédagogiques) de façon positive. On sent une solide culture sociologique par exemple qui n’est pas si fréquente dans ce genre de témoignage.  Ce qui gêne un peu au fond, c’est le statut de l’énonciation pour parler comme un prof de Lettres. On ne sait pas toujours bien qui parle. Il aurait peut-être fallu bien séparer les points de vue des acteurs et ensuite la parole des auteurs (y compris typographiquement par exemple) alors qu’il semble que ceux-ci reprennent la parole à la fin d’un chapitre sans qu’on ait bien perçu le point de passage.

Les convictions des auteurs en faveur d’une école qui bouge, qui soit plus démocratique , plus « éducative » et qui soit fondée sur le principe d’empowerment sont nettement affirmées, notamment aux pages 174 à 177. On peut partager un certain nombre de propositions (en faveur par exemple d’un rôle accru d’ « accompagnant » de l’enseignant ou d’activités qui auraient plus de sens), même si le chemin concret reste flou dans un livre qui hésite entre le narratif et l’essai d’idées. On saluera cependant avec François Dubet toutes les raisons de « continuer à y croire » qu’on peut trouver dans un livre défendant un métier « qui s’apprend », alors qu’il « semble se dissoudre dans la bureaucratie et les injonctions contradictoires , d’un côté, et dans la défense rituelle des statuts et des programmes de l’autre. » Le titre pourrait être en réalité : « osons une autre école ».

Jean-michel Zakhartchouk