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Je viens de passer plus d’un an chez les décideurs, et, entre autres, je les ai interrogés sur la manière dont ils gèrent leur personnel, dont ils s’assurent qu’une décision est effective, dont ils considèrent leurs syndicats, bref, dont ils gouvernent. Les deux tiers d’entre eux n’ont pas eu de mots assez durs pour récuser le stress utilisé comme méthode de changement (ce fut observé à France Télécom avec les conséquences qu’on sait). Plus encore, nombre de dirigeants estiment que les syndicalistes doivent siéger aux conseils d’administration, non comme observateurs, mais comme réelle partie prenante. Telle était aussi bien l’opinion de Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain), classé à droite, que de Louis ­Gallois (alors à EADS), qu’on situe à gauche.

Je sais bien que, dans l’univers éducatif où le privé est considéré à priori comme sournois et mortifère, comme l’épouvantail des épouvantails, la vulgate est de proclamer que tout cela n’est que cache-sexe, que le but du jeu n’est que financier. Autrement dit, que pareil discours, au mieux, ne vise qu’à intégrer pour mieux les digérer les acteurs sociaux, et, au pire, à déployer un rideau de fumée assez malhabile. Eh bien, avouons-le franchement, ce langage me parait aussi désuet que celui de Laurence Parisot. Le management existe, il n’est pas que manipulation. Et, fruit de la vertu ou de la nécessité, il mérite plus de considération.

Au demeurant, j’aimerais retourner la question. Le management, dans l’éducation, c’est quoi, c’est qui, ça gère quoi, ça gère qui ?

Question numéro un : Qui sont les chefs et comment sont-ils recrutés ? Sur concours, sur la base d’une dissertation plus ou moins convenue. Comment sont-ils évalués ? Par la rumeur, par la réputation. Quel pouvoir ont-ils ? Réel mais non formalisé ni encadré. Pouvoir de nuisance, assurément, pouvoir d’agir, bridé et limité (en matière de recrutement surtout, en matière pédagogique, le plus souvent). Comment s’organise leur carrière ? Toujours sur la rumeur ou la réputation, et à l’usure, à l’ancienneté. C’est-à-dire médiocrement. Et quelles sanctions encourent-ils ? Faibles et hasardeuses, en bien comme en mal.

Question numéro deux : Que gagnent les personnels à cette absence de chef ? L’illusion d’une illusion. L’illusion d’être les rois dans leur classe, quitte à découvrir que le roi est nu. L’illusion d’évaluations atténuées, quitte à ce que cette carence devienne douloureuse. L’illusion d’un statut libéral, exorbitant, qui empêche le partage des risques et des problèmes. Beaucoup de solitude pour un faux confort.

Question numéro trois : Qui dirige l’Éducation nationale ? Le ministre qui ne fait que passer, qui distribue (ou ne distribue pas) crédits et effets d’annonce ? Les syndicats majoritaires qui regardent passer le ministre et attendent que ça passe, veillant de manière sourcilleuse à ce que rien d’essentiel ne soit entrepris ? L’administration qui assure la permanence vaille que vaille, mais sans dessiner un projet fort et ferme ?

Du haut en bas, nous rencontrons des gens qualifiés, compétents, dévoués, inventifs, mais qui ne peuvent agir sur la machine même, sur ce qui pourrait libérer du jeu, de l’initiative partagée, de l’enthousiasme concerté.

Alors, oui, on se prend à songer qu’un peu de management intelligent et ouvert serait le contraire d’une perte. Que l’école n’est en rien une entreprise, qu’elle ne fabrique nulle marchandise et que c’est bien ainsi qu’on l’entend. Mais qu’en matière de groupes humains, elle a tout à apprendre, à connaitre, à expérimenter.