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Les débats actuels sur l’école en Suède

Est-ce que le système éducatif suédois répond à l’image positive qu’on donne des pays scandinaves : une école qui donne confiance en soi, qui ne pratique pas de sélection précoce, qui réduit les inégalités, et où la pédagogie n’est pas « un gros mot » pour reprendre l’expression de notre ministre ?
J’ose dire que le système éducatif suédois répond à cette image positive. Le rôle principal de l’enseignant est d’aider l’élève à fortifier son « estime de soi ». Comme chaque individu n’apprend pas de la même façon, il faut naturellement tenter d’individualiser le plus possible l’enseignement.

La Direction nationale des Établissements scolaires ne dicte pas, par des décrets détaillés, le travail à accomplir, elle indique seulement les objectifs à atteindre. Les enseignants doivent créer une atmosphère favorisant la réflexion, proposer un milieu où l’élève éprouve du plaisir à apprendre, où l’apprentissage et non l’enseignement sera central et où l’évaluation est intégrée à l’apprentissage. À cette fin, il faut que l’apprenant puisse bénéficier d’un dialogue continuel avec l’enseignant portant sur ses progrès personnels, ses progrès à lui. Dès le début de la scolarité, l’enseignant doit favoriser le processus métacognitif des élèves et développer chez eux la conscience de leur savoir, de leurs compétences et des défauts à corriger. Ici, l’auto-évaluation joue un grand rôle.

Très tôt, les élèves sont encouragés à penser par eux-mêmes et à développer leurs sens critique afin d’être autonomes. Certes, le concept d’apprentissage tout au long de la vie est la véritable pierre angulaire du système d’éducation et de formation suédois.

Il est vrai aussi que l’école suédoise vise à être une école pour tous. Plutôt que de pousser à la compétition et au classement des élèves, son objectif est d’encourager l’apprentissage de la solidarité et de nourrir la curiosité. En fait, les théories de la « révolution cognitive » de Vygotsky ont beaucoup influencé la philosophie de l’éducation en Suède : « apprendre veut dire apprendre à penser ». Dans ce processus, on insiste également sur le fait que les élèves augmentent leur savoir en le construisant avec d’autres.

Pourtant, il nous faut reconnaître que le système suédois s’est révélé moins égalitaire que prévu. Le financement et la gestion des établissements par les communes ont entraîné de fortes disparités entre les collectivités et les établissements. De plus, le manque de contrôle national a permis une concurrence entre les écoles, dont certaines ont parfois tendance à diminuer leurs exigences pour assurer de bons résultats et ainsi attirer plus d’élèves, donc plus de financement. Cela augmente bien sûr la ségrégation dans la société. En réalité, il est apparu récemment que le nombre d’élèves obtenant de moins bons résultats a autant augmenté que celui des élèves réussissant mieux.

Évidemment la compétence de l’enseignant est d’une importance prépondérante et à partir du 1er décembre 2013, une certification professionnelle est requise pour tous les enseignants, une sorte de « permis d’enseigner ». Cette décision, qui fera date dans la politique éducative suédoise, a pour but de rehausser le statut de la profession enseignante, grâce à un développement qui permette d’améliorer la qualité de l’enseignement.

Qu’en est-il de la place des compétences dans le système suédois ?
En Suède nous encourageons les compétences générales, notamment la créativité, l’autonomie, l’esprit critique et la coopération, que nous voulons développer par exemple la compétence du « savoir travailler en équipe ». Dans l’enseignement des langues modernes, nous ne jugeons pas seulement la compétence linguistique de l’apprenant mais aussi ses compétences communicative, interactionnelle, stratégique et interculturelle.

On entend dire que les Suédois revenaient en arrière, faisant un bilan négatif par exemple de l’évaluation sans notes. Du moins, ce « on » représente-t-il les conservateurs qui veulent qu’en France, ça ne bouge pas.
Il est vrai que la qualité de l’enseignement en Suède a provoqué d’importants débats au cours de la dernière décennie. Beaucoup de gens pensent en effet que l’école est devenue une « grande crèche ». Et les résultats des enquêtes internationales comme PISA, PIRLS et TIMSS, semblent indiquer une baisse du niveau des connaissances chez les élèves suédois. La Suède a donc mis en œuvre des réformes scolaires pour améliorer ces résultats et rehausser le statut des enseignants. Parmi ces réformes, on a, entre autres, introduit un nouveau système de notation. L’ancien système suédois, comprenant les notes (ou mentions) Insuffisant (IG), Passable (G), Bien (VG) et Très Bien (MVG) a été remplacé par une nouvelle échelle de notation à six niveaux représentés par les lettres A à F, où A est la meilleure note, E la note de passage et F est Insuffisant.

De plus, les notes sont maintenant décernées à partir de la sixième année scolaire, alors qu’auparavant, les élèves suédois n’étaient notés qu’à partir de leur 8e année (qui correspond à la quatrième en France). Pour avoir un meilleur suivi des connaissances des élèves on a multiplié le nombre de tests. Des tests nationaux obligatoires existent dans diverses matières dès la troisième année scolaire suédoise (le CE2 français), en sixième (la sixième en France aussi) et en neuvième année (qui correspond à la troisième en France) afin d’évaluer les progrès des élèves.

Quelques-unes des réformes mentionnées ont certainement été mises en place par des conservateurs. Toutefois, un grand nombre de chercheurs doutent du fait que ces réformes puissent vraiment contribuer à améliorer la qualité des connaissances des élèves suédois et je partage personnellement leurs avis. En ce qui concerne le nouveau système de notation, il semble, selon plusieurs chercheurs, que les notes en elles-mêmes seraient un obstacle à l’apprentissage et au développement d’un enfant.

On sait que, contrairement aux idées reçues, la méthode de la carotte et du bâton ne favorise pas l’apprentissage ! De plus, les notes ne mesurent pas tout. Les élèves se plaignent souvent du fait qu’il existe une discordance entre l’enseignement et l’évaluation, du fait qu’on ne leur donne pas la possibilité de montrer ce qu’ils savent. Le rôle de l’enseignant en tant que médiateur dans le processus d’apprentissage implique en effet la mise en œuvre d’une gamme de modèles pour l’évaluation. Il ne faut pas seulement noter et évaluer ce qui est mesurable, mais développer des pratiques évaluatives à valeur « pédagogique », qui aient des fins formatives, comme par exemple l’emploi d’un journal à bord ou d’un portfolio, favorisant l’auto-évaluation et fortifiant la confiance en soi de l’apprenant.

Comment voyez-vous l’avenir du système éducatif suédois ? Quels sont les débats ? Y a-t-il une répercussion des nuits de révolte urbaine de la banlieue de Stockholm, qu’expriment celles-ci selon vous ?
Il faut désormais mieux contrôler les écoles libres, qui ne suivent pas toujours les règles établies par les autorités centrales et communales. Il faudrait aussi que l’école soit gérée par l’État et non par la commune. Il est nécessaire aussi de revaloriser le statut des enseignants en augmentant leurs salaires et je pense qu’une certification professionnelle est également une bonne chose pour assurer la qualité de l’enseignement.

Il faut enfin donner aux professeurs la possibilité d’une formation continue en didactique, adaptée à chaque matière. Aujourd’hui, les établissements scolaires économisent en proposant aux enseignants une formation continue très générale, pas forcément adaptée à leurs besoins.

Pour éviter une répercussion des nuits de révolte urbaine de la banlieue il faut, à mon avis, améliorer le dialogue avec les jeunes, leur donner des modèles avec lesquels ils peuvent s’identifier et retrouver ou créer les conditions d’un respect mutuel. Une étude récente menée dans une banlieue de Göteborg montre que certains élèves ne considèrent plus l’école, ni les notes, comme voie permettant de réussir sa vie. Il faut donc essayer de leur redonner de l’espoir et tout faire pour qu’ils retrouvent confiance en eux et dans la société.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk