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L’esprit d’équipe, c’est possible !

Depuis 1988[[Cahiers pédagogiques N° 266, l’équipe en jeu, dossier coordonné par Michèle Amiel, Odile Brouet et Monique Lafont]] les Cahiers Pédagogiques n’avaient pas mis le travail d’équipe au centre d’un dossier ! Près de vingt ans ! Alors qu’il s’agit là d’un axe fort, d’un thème récurrent, de tous les discours de transformation de l’école ! Est-ce parce que l’esprit d’équipe a tant imprégné le système éducatif qu’il y est devenu une évidence transparente ? On peut rêver. Du côté des Cahiers la question n’a jamais été oubliée : chaque mois, quel que soit le thème du dossier, l’esprit d’équipe est invoqué comme une nécessité, un projet, un horizon et bien souvent une réalité bien concrète du quotidien des enseignants.
Le dossier de 1988, aujourd’hui épuisé, faisait le point sur une décennie pionnière et annonçait l’inéluctable développement de toutes les formes de travail collectif des adultes. L’enthousiasme s’appuyait sur des réformes institutionnelles (rénovation des collèges, création des ZEP…) dont on envisageait alors la relance dans le cadre d’un métier à réinventer.
Hasard de la programmation ou convergence des temps, ce nouveau dossier parait au moment où l’évolution du métier d’enseignant est à nouveau en débat sur la place publique.
Est-ce à dire qu’il n’y aurait rien de neuf ? Un regard pessimiste soulignerait un certain désenchantement. Du côté de l’institution, l’injonction volontariste s’est mutée en slogan à tout faire dans un discours officiel qui ne fait parfois même plus semblant d’y croire. Les acteurs sont englués dans la multiplicité des tâches et le manque de temps. Les militants hésitent entre l’agir local et le pensé global… Les chemins qui mènent au collectif sont pavés d’idéaux mais on y croise aussi quelques démons : la perte de la « liberté » pédagogique, la reprise en main hiérarchique (voire les débats autour du conseil pédagogique), l’abandon par l’institution.
Et pourtant ! Au quotidien, à l’école, au collège, au lycée (si souvent décrit comme le sanctuaire de l’individualisme professionnel) les adultes travaillent ensemble, par nécessité et par envie. En multipliant les témoignages, c’est cette réalité, l’ici et le maintenant de la dimension collective du métier, que nous voulons montrer.
Ce qui a changé depuis vingt ans, dans ce domaine comme dans d’autres, c’est le recul des mythes et l’avènement du pragmatisme : commençons et nous affronterons les difficultés une à une quand elles se présenteront. Une telle disposition d’esprit suppose une grande confiance dans l’avenir, elle demande aussi un accompagnement qui capitalise les acquis et maintienne le lien entre les générations de pionniers. Telle est l’ambition de ce dossier : d’abord partager l’expérience, et prendre chemin faisant, le recul réflexif sans lequel nous nous condamnerions à n’être que d’éternels débutants.
Car c’est là le premier constat auquel nous convions le lecteur : nous sommes toujours des débutants du travail collectif. Travailler ensemble dans notre système éducatif, cela demeure « innovant » : les textes rassemblés dans la première partie du dossier montrent le lien fort entre esprit d’équipe et esprit pionnier. Ils soulignent la place du projet, noyau dur du travail conjoint. Ils montrent aussi que la motivation du travail en commun n’est pas seulement l’urgence d’un public difficile[[On se reportera sur ce sujet au dossier des Cahiers pédagogiques n° 445, « Où en sont les ZEP ? », septembre 2006.]]. Le carburant des équipes réelles est au moins autant le plaisir que la nécessité.
Cette première partie vise à permettre au lecteur « d’ENTRER DANS LA DANSE » nous partons de la définition la plus élémentaire du travail d’équipe : cela commence quand deux adultes travaillent ensemble.

– Karine Ansart et Dominique Natanson nous en proposent un exemple Se mettre d’accord autour d’une table ronde.
– Sophie Necker, Un artiste chorégraphe à l’école. Quand une enseignante et une chorégraphe travaillent ensemble en CE2 ce n’est pas l’addition de deux expertises mais la redéfinition des frontières et des compétences.[[Lisez ce texte dans le dossier des Cahiers Pédagogiques N° 452]]

La notion d’équipe suppose généralement un collectif plus important. Ce collectif prend des formes variées :

  • des « paires » inclues dans un collectif plus large que nous présentent les enseignants de l’équipe Cirse du lycée de Cavaillon Les profs, la doublette et le petit candide. Travailler par paire n’évite pas les inquiétudes identitaires, mais elles semblent ici apaisées par « l’expérience » et la richesse des situations mises en place. [[<3>]]
  • un collectif soudé autour d’un projet ponctuel dont voici un exemple : Lucile Sire, Faire lire ensemble le Brésil au cœur des disciplines.

Dans ce contexte pionnier le travail collectif a des contours fluctuants, Jacques Sardières est allé à la recherche de la genèse du travail collectif dans un endroit quelque peu inattendu : une réunion d’harmonisation du baccalauréat.

  • Jacques Sardières, De l’harmonisation du bac au sens du collectif
  • Carole Roiné a senti souffler l’esprit d’équipe dans un travail de coordination intercycle : Rencontre primaire secondaire, effets secondaires. Ces enseignants ont les mêmes élèves mais pas en même temps, pas au même endroit, leurs univers professionnels sont proches mais peu familiers, et pourtant l’esprit d’équipe souffle. [[<3>]]

L’efficacité, la réussite des élèves, sont au centre des préoccupations des équipes qui émergent. Il s’agit de répondre aux « besoins » des élèves. Mais l’équipe s’avère en même temps un lieu où se dévoilent les « besoins » des enseignants dont témoigne :

  • Laurence Lepla, Mémoire plaisir et motivation. En marge du travail quotidien, une équipe d’enseignants de primaire et de collège se réunit depuis quatre ans, autour du thème de la mémoire : un lieu pour respirer, pour donner du sens au travail quotidien. [[<3>]]

Les collectifs émergeants semblent parfois submergés par le désir de bien faire, par l’envie de collectif et l’espoir que le travail conjoint va apporter LES solutions. Pour durer il faut lâcher une partie de ces espoirs, de ces enthousiasmes et construire des formes « réalistes » de travail collectif. La seconde partie du dossier interroge l’apport de l’expérience du travail conjoint sous l’angle des acquis (la définition des territoires et des compétences, l’instauration de règles de fonctionnement, puis sous celui des changements de la relation des individus au collectif.

« AVEC UN PEU D’EXPERIENCE » le travail collectif s’organise :

– par la définition des territoires et des compétences comme le montre

  • Luc Bruliart, Les pieds nickelés de la CLIS. Une CLIS 1 (classe d’intégration scolaire), dans une école de Région Parisienne, accueille des enfants de 7 à 12 ans connaissant des « troubles importants des fonctions cognitives ». Trois adultes y travaillent ensemble sans se marcher sur les pieds.[[<3>]]

– par l’instauration de règles de fonctionnement dont on trouve un exemple dans le texte de :

  • Régis Guyon, Une dose d’organisation dans un volume de lucidité. Travailler autrement dans un collège ZEP : de l’équipe sympathique et informelle à la pédagogie institutionnelle appliquée à la fois aux élèves et aux profs. [[<3>]]

… ce qui s’accompagne de changements dans la relation des individus au collectif

  • Mario Pedretti, Dix ans de réflexion dix ans de bricolage. 10 années de travail dans l’équipe d’une classe à projet : le questionnement de l’enseignant évolue, les illusions et les mythes font place au pragmatisme. Comment faire pour que le « désenchantement » ne mène pas à l’abandon mais au contraire à la professionnalisation.[[<3>]]

Cette institutionnalisation endogène (l’équipe s’institutionnalise) croise les incitations de l’institution (institutionnalisation exogène) et tend à devenir une forme ordinaire de l’organisation du travail :

– Véronique Vanhaesebrouck, Une équipe entre le faire, le dire et l’écrire.
– Gilles Pédréno, Quelques obligations, un peu de moyens et beaucoup de valeurs.
– Michèle Craw, Une « entreprise » collégiale en Nouvelle Zélande. Un peu d’exotisme : en Nouvelle Zélande le travail en équipe, obligatoire, est organisé dans les services des enseignants. Loin du romantisme des pionniers, les enseignants vivent au quotidien un autre métier.[[<3>]]

La troisième partie du dossier pose la question de la diffusion du travail collectif, en soulignant tout d’abord les limites du prosélytisme et de l’injonction avant d’insister sur le fait que le travail collectif cela s’apprend, que des outils existent tant pour mettre les collectifs au travail que pour les accompagner dans l’acquisition de l’expérience.

« DIFFUSER » l’esprit d’équipe c’est le soucis de ceux qui travaillent en équipe et naviguent entre le plaisir d’être « différents » et leur envie de diffuser leurs convictions. Il s’agit d’abord de « démontrer » l’intérêt du travail collectif.

  • Roland Petit, Il faut tout un village pour élever un enfant. Comment constituer un groupe en équipe ? Un petit jeu pour (re) découvrir l’efficacité du travail collectif.[[<3>]]

Mais on ne peut se satisfaire de la dispersion que cela implique. La dynamique du projet, son inclusion dans un projet d’ensemble demeure un horizon.

  • Jacques Natanson, Une révolution impossible ? Tout micro-projet collectif n’est pas légitime sous prétexte que les enseignants qui l’impulsent s’y sentent bien. Jacques Natanson replace la notion de projet dans une perspective plus générale et dans le cadre du projet d’établissement. Pour que le projet d’établissement soit un projet de travail collectif, à quoi doit-il ressembler ?[[<3>]]

Or, l’injonction à la diffusion de l’innovation par l’exemple abouti laisse les acteurs affronter seuls les contradictions de l’affaire.

  • Marc Berthou, Travail de groupe, regard des autres et aventure pédagogique. Une équipe qui fonctionne sous le regard critique des pairs, c’est difficile à supporter. L’esprit d’équipe n’est pas exempt d’affects. La passion d’une équipe rencontre des résistances…[[<3>]]

Pourtant travailler ensemble cela s’apprend.

  • Claudie Solar, Des compétences à cultiver. Travailler en équipe cela s’apprend. Encore faut-il que les acteurs soient convaincus de l’utilité de la formation en la matière ! L’auteure s’appuie sur une recherche internationale pour définir les compétences requises nécessaires pour le travail en équipe ; elle souligne le rôle central de la communication.[[<3>]]

Des outils existent.

  • Corinne Merini, Pour préparer une concertation.
    – Martine Raimondi-Janner Pour une formation au pacte social. Du « Conseil coopératif » en formation des maîtres à la pédagogie institutionnelle en classe en passant par le travail d’équipe : quand la formation au collectif passe par une formation au pouvoir.[[<3>]]
  • Jean François Berthon, Nouveau métier et rapport à la crise. L’accompagnement est la modalité de formation au travail d’équipe la plus adaptée qui produit du changement pour les élèves, les enseignants et les formateurs. Bilan de quinze années d’expérience d’équipe.[[<3>]]

Tous cela débouche sur une relecture de la notion d’équipe.

  • Gilles Billotte, Un mythe nécessaire. On peut dire de la notion d’équipe pédagogique qu’elle relève d’un mythe au sens employé par Claude Lévi-Strauss « comme solution à un problème qui apaise l’inquiétude intellectuelle et le cas échéant l’angoisse existentielle ».[[<3>]]

Peut-être peut-on voir ici apparaître ça et là des formes nouvelles et approfondies du travail d’équipe : dans l’institutionnalisation (dans le sens de la Pédagogie institutionnelle appliquée aux équipes) ou dans les avancées des établissements expérimentaux, qui pour être marginaux, n’en donnent pas moins les directions d’un possible. Ainsi dans la question des conseils de classe qui fait l’objet de la quatrième partie du dossier, celle qui est sans doute la plus écartelée entre les avancées des « conseils de progrès » du Lycée Jean Lurçat et les timides tentatives de faire bouger (un peu) le mastodonte assis sur la permanence des rites.
« PEUT-ON CHANGER LE CONSEIL DE CLASSE ? » Il s’agit d’explorer les blocages et les possibles de ce lieu qui demeure, dans les établissements du second degré, le seul où travailler ensemble est obligatoire.
On retrouve dans le conseil de classe les contradictions du travail d’équipe :

  • Yannick Mével, Premier conseil de classe entre indignation et intégration. Un groupe de Professeurs de Lycée et Collège en formation initiale à l’IUFM Nord Pas de Calais, quelques heures après le premier conseil de classe. Réactions à chauds sollicitées par une question ouverte : « Comment s’est passé le premier conseil de classe ? Qu’y avez-vous appris ? ». Morceaux choisis.[[<3>]]
  • Béatrice Mabillon-Bonfils, Un rite de maintenance de la réalité scolaire. Au Conseil de Classe il se joue bien autre chose que l’examen du travail et des résultats des élèves. Comment les enjeux de pouvoir prennent-ils le pas sur les questions pédagogiques ?[[<3>]]

Avançons quelques propositions pour changer brutalement ou en douceur… là encore la problématique du rite, du mythe, et du réel s’en mêle.

  • Françoise Colsaet, Selon l’endroit où l’on est assis…
    – Alain Suran, Le seul temps de travail entre adultes. Soyons réalistes : appuyons nous sur quels principes pour rendre les conseils de classes ordinaires un peu plus efficaces.[[<3>]]
  • Dominique Natanson, L’équipe validante. Et si c’était en cassant les rituels et en en instaurant d’autres que l’on pouvait changer le conseil de classe pour changer l’école ?[[<3>]]
  • Jacques Tenier, Les conseils de progrès au Lycée Jean Lurçat. Voici un conseil de classe très différent, instauré au pôle innovant du lycée expérimental Jean Lurçat. La comparaison terme à terme avec le conseil de classe « traditionnel » montre que chaque « blocage » peut être contourné : « il suffirait de la volonté de travailler en équipe » ![[<3>]]
  • Dominique Natanson, Libérer la parole pour faire bouger (un peu) les conseils de classe. La parole aux élèves au conseil et sur le conseil de classe. Une petite transformation qui s’attaque elle aussi au cœur du rituel. Récit d’une pratique. Clairement l’équipe enseignante est ici mise devant le fait accompli. La solidarité des adultes passe après l’efficacité de la transformation du mode d’évaluation et de participation des élèves.[[<3>]]

Et trouvons dans les textes officiels de quoi appuyer ces propositions.

En fin de compte, le travail d’équipe est bien le média indispensable de toutes les transformations de l’école. Pas de liaisons inter-cycles, pas d’innovation un tant soit peu diffusée, pas de prise en charge des décrocheurs, pas de ces nouveaux PPRE… sans une équipe qui réfléchit, qui confronte, qui va même plus loin que ce qui était prévu au départ. Nous souhaitons que ce numéro donne des pistes pour lancer, analyser, conforter… ce travail indispensable.
Le foisonnement des expériences permet cette diffusion sur deux niveaux (cahier et site) Nous en espérons un troisième, avec vos réactions à ce cahier qui pourraient être publiées soit sur le site, soit dans un prochain numéro.