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Philippe Watrelot : «Le CRAP, c’est nous tous !»

Je vais faire d’une pierre deux coups…
On m’a demandé de faire un discours pour les cinquante ans du CRAP. Et Christine Vallin m’a demandé comme à vous tous, de répondre à la question : “Pour moi, le CRAP c’est…”
Je vais donc essayer de répondre par ces quelques mots à une question qui est évidemment en lien avec mon engagement et avec le vôtre.

Pour moi, le CRAP c’est… plein d’emmerdements, des soucis et beaucoup de temps passé. C’est ce que je suis tenté de répondre de manière spontanée. Car, en effet, lorsqu’on est président d’une association quelle qu’elle soit et donc dans une position de gestionnaire aux manettes on n’est pas forcément le mieux placé pour en voir les aspects positifs !
Mais si j’y suis depuis toutes ces années, c’est qu’évidemment cette première réponse n’est pas suffisante. On ne bâtit pas des années de militantisme uniquement sur de l’abnégation. L’engagement militant, c’est aussi des satisfactions personnelles et collectives, de la convivialité, des moments forts partagés à plusieurs.

Conseil d'administration

Conseil d’administration

Je voudrais d’abord vous redire comment j’ai découvert le CRAP. D’abord par la revue dont j’étais un lecteur occasionnel puis régulier. Je militais aux CEMÉA, puis à l’APSES et je trouvais dans la revue des éléments qui me permettaient de trouver des éléments de réflexion utiles pour ma pratique. Dans mon lycée, je faisais partie d’une équipe interdisciplinaire qui développait une pédagogie basée sur ce qu’on appelait à l’époque le “travail autonome”. Les Cahiers nous ont beaucoup apporté pour affiner notre travail qui a duré plusieurs années jusqu’à ce qu’un proviseur pas très malin oublie de nous mettre dans la même classe. En 1995, je lis qu’un grand colloque est organisé, (devinez où ?) à Lyon pour le cinquantenaire de la revue “les Cahiers Pédagogiques”. Le programme est alléchant : Philippe Meirieu (bien sûr), Edgar Morin, Mireille Cifali, Danilo Martucelli et bien d’autres. Pas de problème d’hébergement, nous pouvons être accueillis chez des amis de ma femme. Lyon nous voici !

Dès l’arrivée, à l’université Lyon II je suis agréablement surpris par la qualité et la rigueur de l’organisation. Etant moi même assez rigide sur ce point (vous connaissez tous ma prédilection pour le proverbe “le diable est dans les détails”), je dois dire que cela m’a particulièrement séduit. J’y ai retrouvé l’importance de l’accueil et de l’aménagement qui était déjà mis en avant dans ma pratique des centres de vacances et mon engagement aux CEMÉA. Je voudrais donc avant de poursuivre rendre hommage à tous les organisateurs de cet événement lyonnais (et notamment Michèle Amiel, présidente à l’époque, mais aussi Roxane, et tant d’autres..) , ce qui est d’autant plus facile qu’une bonne part est encore présente aujourd’hui de nouveau dans cette ville de Lyon. Si je suis là aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à eux.

Travail et convivialité lors des Rencontres d'été de 2012

Travail et convivialité lors des Rencontres d’été de 2012

Dès la soirée d’ouverture, je me retrouve à côté de Philippe Meirieu dans des circonstances particulières. Nous portons en effet les premiers secours à une participante qui s’était évanouie… ! Pendant toute la durée de cette manifestation, j’ai été bluffé par l’organisation. A tel point que j’ai été victime d’une illusion : je voyais le CRAP comme une organisation de masse forte de milliers d’adhérents. Seule une telle masse pouvait permettre une telle qualité. Il m’a suffi de me rendre ensuite à une réunion des adhérents d’Ile de France où nous étions trois pour m’ouvrir les yeux….
J’ai aussi en tête le titre de cette manifestation “une idée positive de l’École” . Dans une société qui érige en valeur le cynisme et la critique permanente, j’aime cet enthousiasme militant. J’y reviendrai.

Je me souviens aussi d’une assemblée générale à l’issue de ces journées lyonnaises. J’y ai passé la tête par curiosité mais sans y comprendre grand-chose. Je me souviens juste d’avoir discuté devant l’entrée de l’amphithéâtre avec un vieux monsieur barbu aux yeux pétillants, très bien habillé et portant une belle cravate. Il m’a posé des questions sur ce que je faisais avec beaucoup d’intérêt et d’écoute. Je l’ai retrouvé des années après quand je me suis investi dans le bureau du CRAP : il s’appelait Jacques George, et il serait inconcevable qu’on n’évoque pas son nom ce soir. Il a été notre président pendant tant d’années et il participé à toute l’histoire du CRAP.

Lors d'un débat comité de rédaction conseil d'administration

Lors d’un débat comité de rédaction conseil d’administration

Pris par d’autres engagements, j’ai été pendant de nombreuses années un simple adhérent et lecteur. Ce n’est qu’en 2002 que je suis revenu vers le CRAP et me suis inscrit à mon retour des Etats-Unis aux rencontres du CRAP aux Contamines au pied du Mont-Blanc. C’était sur la suggestion de Raoul Pantanella. Marié à une prof de SES, avec qui j’ai écrit des manuels scolaires, je l’avais fait venir au Lycée Français de New York pour co-animer un stage sur l’évaluation à destination de mes collègues. Raoul a fait beaucoup de choses pour le CRAP, il m’a aussi amené vers les Rencontres. Depuis 2002, je n’en ai raté aucune. Pour quelqu’un qui va en colonie de vacances puis en stage (BAFA ou BAFD) depuis toujours, les « Rencontres » sont un moment évident. J’y aime ce mélange de convivialité et de sérieux dans le travail. Les Rencontres sont aussi à la fois des “retrouvailles” et des “découvertes”. Et nous avons besoin des unes et des autres. À la fois nous réconforter alors que souvent nous sommes isolés dans nos établissements et en même temps découvrir de nouvelles personnes.
Cette année 2002, j’ai souhaité m’engager plus intensément dans l’association après ces rencontres. Durant les rencontres, je participai alors à l’atelier animé par Jean-Michel Zakhartchouk et cela m’avait particulièrement impressionné. Voici, là aussi, ce qu’est le CRAP pour moi : du savoir partagé, des dispositifs pensés et prévus pour permettre un réel engagement dans la réflexion. En d’autres termes : des valeurs mises en action dans les pratiques de formation.

Les correspondants académiques

Les correspondants académiques

Au fur et à mesure de mes années d’engagement en tant que secrétaire général puis aujourd’hui président, j’ai découvert d’autres aspects de notre mouvement qui me semblent importants. Nous sommes des “do-ers”, des faiseurs. Je reste toujours fasciné, des années après, par notre capacité collective à produire. Quoi qu’il arrive, malgré les avanies, les contraintes, la revue sort ! C’est une fierté majeure que nous pouvons tous partager. Il en est de même pour toutes nos autres productions : le site, les Hors-série Numériques, les colloques. Nous discutons, nous réfléchissons mais avant toute chose, nous FAISONS.
Et cette capacité à agir imprime toute notre identité. Parce qu’elle est bien sûr aussi présente dans nos actions dans les classes. Nous cherchons d’abord les marges de manœuvre y compris dans les interstices des dispositifs officiels.
Vous le savez peut-être, j’ai une citation fétiche qui est celle attribuée à Antonio Gramsci (mais qui est en fait de Romain Rolland) qui nous dit qu’il faut conjuguer le “pessimisme de la raison et l’optimisme de l’action (de la volonté) ». A l’heure où beaucoup accumulent les préalables et les critiques pour se dédouaner de ne pas faire, de ne pas essayer, nous nous situons bien dans cet « optimisme de la volonté ».

Puisque j’utilisais un terme anglo-saxon, tout à l’heure, permettez moi d’en utiliser un autre. Plutôt que d’utiliser le terme guerrier de « militants » comme nous l’avons fait plus tôt dans la journée, nous pouvons dire que nous sommes des “activists” au sens anglo-saxon. Un verbe d’action qui nous convient mieux.
Un activisme que nous retrouvons aussi dans notre slogan depuis de nombreuses années. “Changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école ». Pour ma part, je trouve que ce slogan est à la fois très ambitieux tout en nous invitant à beaucoup de modestie. Oui, nous avons de grandes ambitions pour l’École mais nous ne sommes pas pour autant dans l’attente d’un hypothétique “grand soir”. Nous savons aussi que le changement c’est d’abord “ici et maintenant” dans nos classes, nos établissements qu’il se construit. Cette conviction, finalement, nous anime depuis la création de notre association à Lyon, il y a cinquante ans et même bien avant dès la création de la revue, déjà à Lyon, il y a 68 ans.

Lors du numéro 500 des Cahiers pédagogiques, en présence de Vincent Peillon

Lors du numéro 500 des Cahiers pédagogiques, en présence de Vincent Peillon

Je vais en rester là pour ces quelques mots en ouverture de notre soirée festive. Je me rends compte que j’ai (comme trop souvent, diront certains) parlé de moi alors que ma mission était de parler de notre association. Mais vous l’avez compris c’est presque une déclaration d’amour que je viens de faire. Et à travers un engagement singulier, je pense que beaucoup auront retrouvé sinon de l’universel, du moins des valeurs partagées.
Le CRAP, c’est moi, certes, puisque je vous représente, mais c’est surtout nous tous dans nos singularités, nos personnalités, nos différences et nos engagements individuels et communs.

LE CRAP C’EST VOUS ! LE CRAP C’EST NOUS !

Philippe Watrelot
Le 18 octobre 2013.