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Olivier Houdé reprend ici le sujet de prédilection qu’il avait déjà abordé dans Apprendre à résister [1] : l’inhibition. En psychologie cognitive ce terme définit la capacité à bloquer une réponse inadéquate. Comme Kahneman [2] il oppose le système 1 des stratégies intuitives, approximatives, rapides, souvent efficaces mais pas toujours, qu’ils appellent « heuristiques », au système 2 du raisonnement logique, analytique et rationnel, plus coûteux cognitivement et plus lent, mais plus sûr. Par contre Olivier Houdé met l’accent sur ce qu’il considère comme un 3e système cognitif, l’inhibition qui permet de basculer du système 1 au système 2. C’est ce système d’arbitrage qui est, pour lui, la clé de l’intelligence humaine, à tel point qu’il propose de remplacer le QI par le CI, le quotient intellectuel par le contrôle inhibiteur.
Le psychologue du développement de l’enfant revient sur son parcours et sur les raisons pour lesquelles il se passionne pour ce sujet depuis ses études et la lecture de Piaget qui a décidé de sa vocation : la science expérimentale de l’intelligence de l’enfant. Il reconnaît ce que lui-même et la science doivent à l’épistémologue suisse mais il entend démontrer que l’intelligence n’est pas une construction « incrémentale de stades de plus en plus logiques et abstraits qui effaceraient les stades intuitifs précédents ». Les expérimentations menées dans son laboratoire montrent que le petit enfant est capable de bien plus, et bien plus tôt, que ne l’imaginait Piaget, et que les adultes continuent toute leur vie à recourir à l’intuition quitte à tomber dans certains pièges perceptifs et cognitifs. En fait, le développement de l’intelligence est dynamique, par vagues qui se chevauchent et non en escalier. L’auteur reprend les théories de Piaget à travers ses dispositifs expérimentaux pour les réinterpréter à la lumière du paradigme des trois systèmes de pensée et explique ainsi les décalages inattendus et les régressions qui résistaient à la logique piagétienne. Il montre que « l’intelligence du cerveau avance de façon beaucoup plus biscornue et accidentée » que linéaire, comme la construction des connaissances dans l’histoire des sciences qui connaît des blocages, des ruptures, des accélérations foudroyantes… La mise en parallèle de l’ontogenèse et de la phylogenèse cognitives est très éclairante.
Il prend des exemples d’erreurs fréquentes à l’école, en maths comme en français, il explore les biais de raisonnement, d’appariement, de croyance, de représentativité qui amènent les plus intelligents à commettre des erreurs, à succomber à « l’illusion de vérité ». Il montre que si le système 1 nous rend quotidiennement de grands services, il est aussi « une machine à tirer des conclusions hâtives ». Il nous enseigne comment corriger ces biais cognitifs par une résistance éclairée aux intuitions erronées.
Cet ouvrage nous offre aussi de délicieuses incursions en culture générale : nous découvrons le mathématicien perse Al-Khwarizmi à qui l’on doit le terme « algorithme », nous remontons aux origines de l’intelligence artificielle avec Alan Turing et nous revenons sur les grandes étapes du développement de l’intelligence artificielle, nous entrons dans les coulisses de l’invention du test de QI et assistons à la naissance de la psychométrie, nous revisitons les concepts des grands philosophes comme l’esprit de finesse de Pascal, nous explorons les liens fascinants entre cognition et émotions avec Antonio Damasio, le darwinisme neuronal avec Jean-Pierre Changeux…
Le psychologue prône une formation des jeunes au fonctionnement de leur cerveau, une prise de conscience et un entraînement systématique au « processus inhibiteur, positif, adaptatif, créatif », à l’introspection et à la métacognition. Des interventions pédagogiques ciblées, un apprentissage explicite et un entraînement intense pourraient rendre l’action du système 3 aussi automatique et rapide que le système 1 [3]. Dans l’article « Bloquer notre cerveau : quand nous devons inhiber les erreurs répétitives » [4], la course entre H (l’heuristique) et A (l’algorithme exact) est arbitrée par Capitaine I (l’inhibition) et cet habillage ludique met le concept à la portée des plus jeunes.
Il souligne que cet apprentissage, loin d’être purement intellectuel, favorise la tolérance, le respect d’autrui et l’esprit critique. Il représente donc un enjeu majeur de la pédagogie comme de l’éducation des enfants… et des adultes.
Nicole Bouin
le 4 novembre 2019Osez l’amour... Est-ce un prédicateur new age qui frappe à votre porte ? Pas du tout, c’est en substance le message d’un enseignant chercheur très sérieux dont la thèse, publiée en 2019, explore la question des relations affectives entre enseignants et élèves, pour conclure que l’attachement est éminemment favorable aux apprentissages, alors qu’en France persiste une sorte de « tabou du lien ».
Bien sûr, reconnaissent de nombreux enseignants, il y a de l’affectif dans notre métier, mais il faudrait qu’il y en ait le moins possible. C’est que les objections à une valorisation de l’affectif en classe sont nombreuses, et l’auteur en a fait les têtes des chapitres de son ouvrage : « il faut rester professionnel », « pour les élèves, c’est une intrusion », « avec les sentiments on perd son impartialité », « on n’est pas Mère Teresa », etc.
Arrêtons-nous donc un instant pour savoir de quoi il est question. Cet amour que l’auteur choisit d’appeler « compassionnel » est-il simplement de la bienveillance, un terme remis à l’honneur ces temps-ci à propos d’éducation ? De l’empathie ? C’est un peu plus que cela, le moteur de ce que les anglosaxons appellent caregiving. Une implication affective, un sentiment de proximité qui fait que l’autre se sent aimé « en dépit de ses faiblesses et ses imperfections, parfois même en dépit de ses fautes ». Cette relation entre l’enseignant et l’élève donne à celui-ci un sentiment d’appartenance qui entre pour une part importante dans la motivation et joue aussi sur les compétences sociales. Autant d’éléments favorables à la réussite scolaire.
Voilà qui heurte toute une tradition française (il en va différemment dans de nombreux pays d’Europe) soucieuse de garder le cap sur la transmission des savoirs et prompte à rejouer des querelles stériles entre camps opposés : cœur ou raison ? bien-être ou apprentissages ? émotion ou professionnalisme ? Très bonne nouvelle : loin de ces oppositions, les recherches convergent pour montrer que l’attachement est favorable aux apprentissages et aux exigences élevées qu’ils comportent. Les textes officiels eux-mêmes, quoique prudents, mentionnent depuis quelques années la nécessité de prendre en compte « les dimensions cognitive, affective et relationnelle de l’enseignement et de l’action éducative ».
Ainsi, le professionnalisme des enseignants et leurs compétences, sans cesse à parfaire, ne sont ici nullement remis en question, au contraire : la dimension affective n’est bien sûr qu’une des dimensions – nécessaire mais pas suffisante – de la relation éducative. Une relation qui n’est jamais du copinage, car elle reste asymétrique et non intrusive entre un adulte sensible et disponible qui propose écoute et estime, aide et soutien, et un enfant ou un jeune qui reste libre de s’y appuyer ou non. L’essentiel est que cette relation offre une sécurité affective qui, loin de s’opposer à l’autonomie, en est la condition.
C’est bien joli, objectera-t-on, mais comment faire avec trente élèves ? Oui, c’est vrai, dit l’auteur, pour que soit reconnue et bien vécue cette place de l’affectif (à la fois émotions temporaires et sentiments durables), pour que ce ne soit pas un facteur supplémentaire d’épuisement professionnel, il faut le penser de façon « écologique » : quelles normes sont en vigueur dans le milieu professionnel ? y a-t-il un partage social possible pour les émotions ? Le nombre d’élèves en charge de l’enseignant, le temps accordé pour que s’établissent avec eux des relations de confiance permettent-ils un investissement optimal ou amènent-ils au contraire à une dépersonnalisation de l’acte éducatif ? Pas de place ici pour une naïveté à la guimauve : on s’accorde actuellement pour reconnaître la place des émotions au travail et l’importance d’une formation aux compétentes émotionnelles pour les enseignants et les élèves, encore faut-il donner aux personnels des conditions correctes pour les mettre en œuvre, pour que l’affectif soit synonyme non pas d’empêchement voire d’épuisement, mais de bonheur d’enseigner.
Florence Castincaud
le 4 novembre 2019Les auteurs dirigent l’association La Bouture à Grenoble ou lui sont associés – de longue date comme Dominique Glasman ou plus récemment comme Mireille Baurens. Rappelons que La Bouture fut fondée il y a plus de vingt ans, en 1996, par deux professeurs, Bernard Gerde et Marie-Cécile Bloch, qui voulaient fonder un établissement dédié au « raccrochage » de lycéens ayant abandonné leur scolarité. Ce fut le CLEPT, « collège-lycée élitaire pour tous », créé en 2000 et qui existe depuis, complété même par d’autres initiatives.
Le livre résulte d’un colloque tenu par l’équipe en novembre 2015 pour dégager ce que les divers professionnels concernés par cette problématique ont « en commun face au défi des jeunes en rupture ». Le colloque fonctionna comme un séminaire de « production », il s’agissait de penser l’« en commun » comme « visée éducative et comme principe d’action ». Bien que cet usage de « en commun » comme substantif soit malaisé à conceptualiser (ne joue-t-on pas sur l’ambiguïté entre « avoir en commun » et « faire en commun » ?), le livre est construit méthodiquement, comme un dossier nourri des contributions et ateliers du colloque et, au-delà de cela, nourri des acquis de l’expérience du Clept. Il intéressera celles et ceux qui cherchent à faire vivre des équipes face à des publics d’élèves peu scolaires.
Il en ressort notamment l’importance du conflit dans les équipes, il est bon de le privilégier sur la recherche de consensus, à condition évidemment de gérer le conflit ; ou encore la correspondance entre l’en commun des professionnels et celui des jeunes pris en charge, d’où l’idée d’un « changer ensemble » qui est certainement la proposition la plus novatrice, issue de la vie même du Clept.
Françoise Lorcerie
le 4 novembre 2019Le CRAP-Cahiers pédagogiques à Nantes organise huit ateliers et une conférence sur le thème :
15h45-17h15 : Huit ateliers axés sur la pratique
17h30-19h30 « Une conférence : À l’école, esprit critique es-tu là ? » par Jean-Michel Zakhartchouk, rédacteur aux Cahiers pédagogiques et coordinateur du dossier « Former l’esprit critique », n° 550 des Cahiers pédagogiques, janvier 2019.
Les ateliers sont ouverts à tous : stagiaires, enseignants, formateurs, acteurs de l’éducation de la maternelle au lycée. Ils se dérouleront de manière simultanée sur le site de l’INSPE à Nantes.
Les inscriptions à la conférence et aux ateliers sont indépendantes. Ouverture des inscriptions : samedi 12 octobre
Pour plus de renseignements
Contacts : aurelie.guillaume@cahiers-pedagogiq...
soizic.guerin@cahiers-pedagogiques.com
Entrée libre sur inscription
Les T’éduc proposent un rendez-vous régulier à la communauté éducative et aux médiateurs culturels et scientifiques. Ils les invitent à une réflexion collective autour d’un thème avec l’appui et l’expertise d’intervenants et la participation de tous. Ils nourrissent les approches éducatives et la dynamique de projet et incitent à la réflexion autour des nouvelles formes de médiation.
Prochain rendez-vous :
Avec la participation de :
Cora Cohen-Azria, Maître de conférences en didactique des sciences à l’Université de Lille SHS au département des sciences de l’éducation, Membre du laboratoire CIREL,
Jean-Michel Zakhartchouk, professeur de français honoraire, rédacteur aux Cahiers pédagogiques.
Aurélie Zwang, Maître de conférences en didactiques des sciences, Laboratoire LIRDEF, université de Montpellier. En tant qu’enseignante sciences de la vie et de la terre et médiatrice à l’ Atelier Canopé de Paris a participé à la conception d’Ateliers pédagogiques pour les expositions d’Universcience.
Philippe.Handtschoewercker, Enseignant de physique-chimie, Formateur académique et professeur relais de l’académie de Créteil, il conçoit et conduit les formations pour enseignants à Universcience.
Accès libre sur inscription dans la limite des places disponibles,
Écrire à educ-formation@universcience.fr
Le CRAP-Cahiers pédagogiques s’associe à cette manifestation qui entre dans un partenariat nouveau avec Universciences.
le 3 novembre 2019, par CatherineLe CIRNEF (Centre interdisciplinaire de Recherche Normand en Éducation et Formation), L’université de Rouen-UFR Sciences de l’homme et de la Société, Le CEFEDEM de Normandie et les Cahiers pédagogiques organisent une journée scientifique sur le thème :
Présentation de la journée :
À l’occasion de l’anniversaire des dix ans de la disparition trop précoce de Jean-Pierre Astolfi, cette journée scientifique, organisée en partenariat entre le laboratoire CIRNEF, le CEFEDEM de Normandie et les Cahiers pédagogiques souhaitent rendre hommage à ses contributions à la pensée éducative dans le champ scolaire et remettre en lumière certaines des thématiques centrales de son travail scientifique pour analyser leur actualité dans la recherche en éducation contemporaine pour les pratiques d’enseignement en milieu scolaire mais également dans les dispositifs d’enseignement du champ musical.
Des conférences permettront de développer un point de vue situé sur son travail et son parcours à l’Université de Rouen (J. Houssaye, PU Emérite à l’Université de Rouen ; M. Develay, PU Emerite Professeur émérite de l’Université Louis Lumière Lyon 2 : M. Fabre, PU Emérite Université de Nantes, J. Wallet PU Emérite à l’Université de Rouen)
Quatre thématiques caractéristiques de ses travaux de recherche et de sa pensée éducative, illustrées dans la collection « entretien avec… Jean Pierre Astolfi » de B. Fleury, seront plus particulièrement développées dans le cadre d’ateliers avec l’éclairage de chercheurs ou de professionnels du champ de l’éducation : La question de la saveur et du sens des savoirs et les enjeux de dévolution (P. Guznic, CIRNEF ; JM Zakhartchouk, Cahiers pédagogiques).
Les différenciations pédagogiques (F. Castincaud, Cahiers pédagogiques ; L. Lescouarch, CIRNEF)
La construction des savoirs disciplinaires, de l’interdisciplinarité et des compétences (P. Tavignot, CIRNEF ; J. Wattebled, CIRNEF).
Les médiations au service des apprentissages (Y. Lefort, CEFEDEM ; E. Saillot, CIRNEF).
Associée à la parution d’un Hors Série Numérique des Cahiers pédagogiques, cette journée scientifique s’adresse aux chercheurs, étudiants et professionnels désireux de mieux connaitre les travaux scientifiques de Jean Pierre Astolfi et leurs prolongements dans les questions éducatives contemporaines.
Entrée libre et gratuite mais inscription obligatoire
La Biennale internationale de l’éducation nouvelle, qui s’est tenue à Poitiers du 28 au 31 octobre derniers, a été le lieu d’une centaine de temps d’échange, qu’il s’agisse de débats, d’ateliers, de forums de pratiques... En voici quelques échos, au gré de quelques-unes des 330 participants.
le 1er novembre 2019, par Cécile Blanchard
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