Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Construire l’école de demain, à petits pas

Dessin en noir et blanc de Borris montrant Céline Cael en train de parler de frottements, frictions, étincelles pendant son intervention au colloque 2025 du CRAP-Cahiers pédagogiques.

Céline Cael « croquée » par le dessinateur Borris lors du colloque du 20 octobre 2025. © Borris

L’école de demain ? Mais elle se construit déjà, pas à pas, dans les classes, les collèges, les rectorats ! En parallèle de la valse des réformes, des enseignants, des chefs d’établissement et autres acteurs de l’institution inventent au quotidien une école plus juste, plus coopérative, plus ouverte sur l’autre. Entre récits rapportés du terrain et fiction pédagogique, cette contribution au colloque des Cahiers pédagogiques du 20 octobre 2025 imagine l’école de 2042 : une école qui aurait su faire de la lenteur et du collectif les moteurs de sa transformation.

« Faut-il changer l’école d’un coup ou par petits pas ? » nous a-t-on demandé lors de la table ronde du colloque des Cahiers pédagogiques sur le thème de l’école de demain, qui s’est tenu le 20 octobre 2025. Cette question part du postulat que rien ne change dans l’école d’aujourd’hui. Or, l’école change tous les jours grâce à ceux et celles qui la font. Des changements aussi nécessaires qu’insuffisants.

J’ai donc souhaité, au cours de mon intervention, faire parler ceux et celles qui changent déjà l’école.

Faire parler les enseignants

Faire parler Tiphaine, qui a créé un contrôle de rattrapage permettant aux élèves de repasser une évaluation lorsqu’ils ont rencontré un échec ou une difficulté. Derrière cette pratique, une idée forte : l’évaluation est un moyen d’apprendre, et non une fin.

Faire parler Fanny, qui, à chaque rentrée, appelle tous les parents d’élèves pour tisser un lien avant d’avoir à les contacter pour des motifs plus délicats – absences, bavardages, retards. Derrière ce geste, la conviction qu’un élève est avant tout un enfant, et que ses conditions de vie en dehors de l’école influencent directement sa scolarité.

Faire parler Laurent, qui, avec Charlotte, CPE, a mis en place des ateliers de remobilisation pour les élèves décrocheurs : on y construit des boussoles pour travailler des notions de biologie et de physique. Derrière cela, l’idée que les savoirs pratiques sont tout aussi légitimes que les savoirs intellectuels, et qu’ils se complètent.

Faire parler Lucie, jeune enseignante néotitulaire, qui, dans une classe peu attentive, choisit d’utiliser la « classe puzzle »   pour remotiver les élèves à apprendre. Derrière cette décision, une idée forte : la coopération s’organise, elle ne s’improvise pas, et c’est ainsi qu’elle permet de mieux apprendre.

Faire parler Cécile, qui s’engage dans le programme Erasmus pour emmener ses élèves à la rencontre d’autres jeunes Européens. Elle a compris que parler de « culture de paix » n’a de sens que si les élèves expérimentent eux-mêmes les défis de l’interculturalité.

Les autres acteurs de l’éducation aussi

Faire parler Valérie, principale de collège, qui embarque toute une équipe d’enseignants dans la création de conseils de classe participatifs. Derrière ces conseils, l’idée que l’élève est un interlocuteur valable, capable de réflexion et d’analyse sur sa propre scolarité.

Faire parler aussi tous ceux de l’Académie de Paris qui ont contribué à la mise en place des zones multicollèges pour favoriser la mixité sociale dans les quartiers ségrégués des 18ᵉ et 19ᵉ arrondissements. Derrière cette expérimentation, la volonté de rendre concret le vivre-ensemble en commençant par scolariser ensemble.

Faire parler enfin cet inspecteur qui se bat pour que la formation professionnelle des enseignants soit maintenue sur le temps de service. Derrière ce combat, la conviction que la formation continue est essentielle à la mission éducative.
Ces professionnels ne rêvent pas – parce qu’ils ne dorment pas. Je dirais même qu’ils dorment en moyenne moins que les autres. Ils ne rêvent pas, mais ils imaginent dès maintenant ce qui pourrait changer la vie du citoyen de demain qu’ils ont devant eux. Ils sont déjà en marche.

Une proposition pour l’école de 2042
Dessin en noir et blanc de Borris montrant Céline Cael tenant un micro et regardant ses notes lors de la table ronde du colloque du CRAP-Cahiers pédagogiques, le 20 octobre 2025.

Extrait du carnet de croquis du dessinateur Borris lors du colloque du 20 octobre 2025. © Borris

Faisons maintenant parler un autre pédagogue, Célestin Freinet : « Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école. » Être un pédagogue, c’est vouloir plus que des petits pas pour l’école de demain et penser qu’ils sont aussi nécessaires qu’insuffisants. C’est pour ça que je crois qu’il faut exiger un changement de cap pour l’éducation.

C’est ce que nous avons voulu faire, avec Laurent Reynaud, en écrivant Et si on imaginait l’école de demain ? : mettre en musique les valeurs et les pratiques des acteurs de l’éducation d’aujourd’hui, dans la lignée de l’éducation nouvelle, pour sortir du pessimisme des prédictions de demain et montrer que si ces petits pas font système, ils peuvent constituer de grandes avancées.

Mais changer l’école n’exclut pas un accompagnement attentif et bienveillant des professionnels concernés. L’ambition peut aller de pair avec le soin.

Extrait de Et si on imaginait l’école de demain ?
« À l’instar des dirigeables interrégionaux français utilisés dans le transport de marchandises, le CNEP [Comité national de l’éducation permanente]) a inspiré d’autres systèmes politiques dans le monde. Si cet essaimage dans d’autres pays fait aujourd’hui la fierté de notre système scolaire, rappelons que cela n’a pas été un long fleuve tranquille, notamment lorsque la France s’est extraite des comparaisons internationales. À l’époque, beaucoup ont critiqué le risque de marginalisation. Enclencher un pilotage sur le temps long, cela nécessitait pourtant de se déconnecter de la pression des systèmes de comparaison court-termiste.
Le CNEP était considéré comme un véritable OVNI politique lors de sa création. Troisième chambre de la Ve République, il associe — comme jamais dans les systèmes politiques occidentaux — les trois formes de démocratie : participative d’une part, en nommant au tirage au sort des personnels de l’Éducation nationale ; représentative d’autre part, en incluant au CNEP les parlementaires de l’Assemblée nationale ; délibérative, enfin puisque le vote se fait obligatoirement à partir de propositions définies à la suite d’arguments formulés par des chercheurs et des acteurs de la société civile.
Des garde-fous sont érigés à l’article 4 de la loi constitutionnelle créant le CNEP pour assurer le temps long aux débats : chaque changement majeur, appelé désormais « refonte », est mis en œuvre, au plus tôt, un an après le vote du CNEP. Ce délai obligatoire entre la décision et l’application permet d’anticiper et de former les personnels concernés par la refonte. »
(Chronique du 4 décembre 2042, « Mort d’Aminata Kone, icône de la lutte pour un système éducatif renouvelé »)

Le CNEP (Comité national de l’éducation permanente) est à portée de mains, rejoignez son groupe de préfiguration !

Céline Cael
Enseignante de SES en Seine-Saint-Denis

À lire également sur notre site
Le quatre-quarts d’un changement éducatif, par Sylvain Connac
9 lettres pour l’école de demain, par Sylvain Connac
Voir l’école autrement : un défi pour les médias aussi, par Marie Piquemal
La pédagogie : un secours pour la démocratie ?, par Céline Cael et Laurent Reynaud
Imaginer l’école idéale, entre utopie artistique et récit d’anticipation, par Céline Cael


Sur notre librairie

Couverture du numéro 600, « 4 pistes pour l’école du futur »

Couverture du livre "Et si on imaginait l’école de demain ?”