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Les nouvelles formes du travail scolaire
En écho aux hommages aux travaux de Guy Avanzini, récemment disparu, on peut inscrire cet ouvrage collectif dans la filiation de Immobilisme et novation dans l’éducation scolaire. À plusieurs égards, les contributions réunies viennent alimenter une question presque sempiternelle pour tous les professionnels de l’éducation ou les pédagogues : comment comprendre la « persistance du misonéisme » pour reprendre l’expression de Avanzini ou, autrement dit dans les termes actuels, des « résistances au changement » qu’a pu étudier Vincent Dupriez et d’éventuelles modalités pour les dépasser. L’éducation s’avère toujours « prisonnière de la forme scolaire » et ce livre propose une lecture organisationnelle du travail pour observer les évolutions – ou la stabilité – de l’enseignement et de l’institution scolaire. Dans cette note, nous revenons sur les principales parties de l’ouvrage et nous en soulignons les intérêts dans le contexte français.
L’introduction des coordinatrices de l’ouvrage donne directement le ton : pour « changer la forme scolaire » (19), dont la configuration ordonne et structure le quotidien des enseignants et des élèves, il s’agirait de « changer l’organisation scolaire » (22) et sortir d’un système composé de classes juxtaposées et indépendantes, sans réelle coordination, selon un « découpage traditionnel » : « une unité d’enseignement dispensée par un enseignant à un groupe relativement homogène d’élève » (24) . Dans le contexte post-confinement, mais aussi de numérisation des pratiques ou la territorialisation des politiques éducatives à travers des dispositifs, le livre réalise son objectif de faire dialoguer « une sociologie de l’organisation scolaire et une sociologie du travail scolaire » (25) à travers ses quatre parties, explorant chacune des espaces différents et leur organisation.
La première partie s’intéresse à comment la modification de l’organisation bouscule un premier échelon : celui de la classe et les pratiques des élèves comme des enseignants. Dans un chapitre important, Olivier Maulini revient sur les réformes en Suisse depuis les années 1990 et révèle six « composantes » nécessaires pour « imaginer, implanter et faire accepter » (47) une nouvelle organisation scolaire. Portant sur un collège-lycée expérimental français, fondé en 1982, le deuxième chapitre collectif montre comment le décloisonnement, notamment horaire, des enseignements – leur « modularisation – provoque une « rupture dans l’exercice de leur « métier » pour les enseignants, comme pour les élèves » (68). Puis Geneviève Mottet et Margarita Sanchez Mazas présentent comment un dispositif d’accueil d’enfants vivant en contexte d’asile en Suisse a nécessité de (re)penser des collaborations élargies entre les professions éducatives.
À plusieurs égards, cette contribution fait écho avec les chapitres de la troisième partie décrivant des expériences québécoise et belge. À eux trois, ces chapitres soulignent, finalement, comment la forme scolaire n’a pas été conçue pour accueillir et éduquer un public – forcément – hétérogène appelant un travail collectif et collaboratif entre plusieurs professions dans des espaces intermédiaires (« tiers lieux éducatifs ») quand elle affiche une indifférence aux différences ; comme en témoignent les nombreuses difficultés de la politique inclusive en France.
Consacrée à la formation des enseignants, la deuxième partie aborde deux expériences mettant en avant une transformation de leurs modalités en suivant un principe d’ « isomorphisme », c’est-à-dire une « homologie entre situation de formation et situation d’apprentissage » (102). Considérant qu’en faisant vivre d’autres formats pédagogiques à des enseignant·es en formation initiale (une « classe renversée » en Suisse) ou continue (un atelier du GFEN), ces derniers pourront d’autant mieux développer une réflexivité sur leurs pratiques et s’outiller pour développer de nouvelles pratiques d’enseignement quand il y a une cohérence entre « ce que les formateurs professent et ce qu’ils font en réalité » (91).
La quatrième partie se centre sur un dernier échelon de l’organisation scolaire, le pilotage et la coordination au sein ou entre les établissements à partir d’expérience belges et québécoise. Lors de réformes, les chapitres présentent des changements dans la gouvernance promouvant des formes de collégialité à différentes échelles : des « comités » au sein d’établissements (Castin et Renard), de l’établissement et sa direction au Québec ou au niveau d’une réforme systémique (Letor) ; formes qui reposaient à chaque fois sur la mobilisation des enseignants pour changer l’organisation scolaire.
Enfin, la partie conclusive offre plusieurs perspectives. Le témoignage de Katja Vanini de Carlo de la pédagogie coévolutive d’une école du Tessin donne à lire un travail scolaire complexe et adaptatif quand la conclusion repositionne les réflexions de l’ouvrage sur le changement de l’École dans le contexte pandémique. Or, la crise sanitaire a permis de mesurer la possibilité d’une transformation lors des confinements, reste à savoir si elle a « provoqué un repli sur une forme scolaire traditionnelle ou a-t-elle plutôt donné lieu à des mouvements innovateurs » (249). En effet, transformer l’organisation (et le travail) scolaire n’a rien de neutre et implique une vision politique quant à une « réflexion sur le pourquoi de l’École » (252). On ne peut que s’accorder avec les autrices : « Plutôt que de renforcer la forme scolaire dans un contrôle à outrance, ne serait-ce pas le moment d’agir l’école autrement ? » (254).