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Le livre du mois du n°571 – (S’)ajuster au cœur de l’activité d’enseignement-apprentissage. Construire une posture d’ajustement

Éric Saillot, L’Harmattan, 2020, préface de Dominique Bucheton

Éric Saillot, maitre de conférences à l’université de Caen Normandie, laboratoire Cirnef (Centre interdisciplinaire de recherche normand en éducation et formation), offre à travers cet ouvrage un tour d’horizon des références en sciences de l’éducation, que ce soit en analyse de l’activité, en didactique professionnelle, dans une approche clinique ou ergonomique, pédagogique ou didactique. Loin des querelles de chapelles, il montre comment les différents cadres théoriques, les différentes philosophies, les multiples facettes de l’analyse de l’activité peuvent s’articuler. Tout au long du livre, chaque pièce du puzzle est décrite, expliquée, trouve sa place et participe à l’élaboration d’un motif qui prend sens dans son modèle de la posture d’ajustement.

De quoi s’agit-il ? Rien moins que d’essayer de comprendre ce qui se joue à chaque instant au cœur de l’activité (enseignante ou autre) lorsque celle-ci doit tenir compte d’un environnement aussi complexe et évolutif que la relation humaine au sein d’une institution. Dès lors, il s’agit pour le professionnel de construire une posture d’ajustement qui ne soit pas une simple adaptation, en considérant que le « losange penser-dire-faire-observer/écouter » organise l’activité de manière systémique. Ce modèle, articulé avec les macropréoccupations du multiagenda développé par Dominique Bucheton et son équipe (le tissage, le pilotage, l’étayage, l’atmosphère, qui visent les apprentissages et donc l’acquisition de savoirs) offre un outil d’analyse réflexive pour les enseignants, mais aussi des points de vigilance pour agir.

OBSERVATION ET ÉCOUTE

Dans un premier chapitre, l’auteur revient sur la genèse du concept d’ajustement en s’appuyant sur l’héritage de Lev Vygotski, Jerome Bruner, Jean-Pierre Astolfi et Marguerite Altet pour arriver à la définition donnée par Dominique Bucheton, ou encore celle de Gérard Sensevy dans la théorie de « l’action conjointe ». Le second chapitre amène la construction d’une modélisation qui s’appuie sur deux gestes essentiels en pédagogie : l’observation et l’écoute. Le chapitre suivant s’intéresse à « l’ajustement à soi », au prescrit mais aussi à ses émotions, ses propres besoins, pour arriver au chapitre quatre à « l’ajustement à autrui » qui passe par des principes essentiels : l’éducabilité, la bienveillance et la coactivité. Enfin, le dernier chapitre aborde la question du langage, puisque le « dire » est une composante essentielle, mais pas uniquement en termes d’ajustement pédagogique. Il s’agit d’analyser aussi les ajustements didactiques, ce qui suppose une prise en compte de l’observation-écoute de l’activité cognitive de l’élève passant par des questionnements d’explicitation.

Tout au long de son livre, Éric Saillot offre des encarts sur les différentes références théoriques sous forme de portraits ou de rapides synthèses. Son ouvrage est donc une ressource précieuse en formation initiale ou continue pour servir de base à une acculturation aux grands courants de pensée en sciences de l’éducation. C’est la raison pour laquelle le prix Louis Cros 2020 lui a été décerné, le récompensant ainsi pour son attention à donner à tous, enseignants débutants ou expérimentés, étudiants ou chercheurs, des outils intellectuels pour comprendre et s’approprier ce qui fonde le modèle proposé. Il donne aussi du sens à la recherche en sciences de l’éducation en offrant aux praticiens-chercheurs un éclairage en prise directe avec le quotidien de la classe, avec la ferme volonté de défendre des valeurs clairement affichées, visant une école plus humaine, plus équitable et plus indulgente.

Sylvie Grau

Questions à Éric Saillot

 

Vous avez pris soin dans votre ouvrage de faire le portrait de plusieurs auteurs de référence et de nombreux rappels théoriques. Pourquoi ?

J’ai effectivement souhaité proposer ces petits encadrés afin de donner des repères aux lecteurs, quels qu’ils soient. Habituellement, on cite les travaux de chercheurs sans rappeler qui ils sont (ou étaient) et ce qu’ils ont apporté de fondamental. Ce sont les idées d’héritage et de culture pédagogique qui fondent cette intention. Pour ma part, fils d’institutrice, ancien professeur des écoles et enseignant spécialisé, je reste vigilant à l’articulation théorie-pratique. J’ai donc essayé d’apporter quelques clés de compréhension pour aider les collègues à faire des liens avec leurs pratiques et leurs préoccupations professionnelles quotidiennes.

Les enseignants débutants ont parfois du mal à voir et à entendre tout ce qui pourrait empêcher le déroulé des activités pensées dans un ordre logique pour l’apprentissage. Comment votre modèle peut-il faire évoluer cela en formation ?

Ces difficultés des jeunes enseignants ont notamment été soulignées par Dominique Bucheton lorsqu’elle a proposé son modèle d’analyse du multiagenda de préoccupations enchâssées, que j’ai complété et élargi afin d’en faire un outil pour la formation, en donnant quelques points de vigilance, pédagogiques et didactiques, basés sur une question simple finalement : « À quoi je pense quand j’enseigne ? » En effet, les collègues expérimentés ont des repères plus ou moins incorporés qui leur permettent de combiner une préparation rigoureuse et une conduite souple de leur cours. Il s’agit d’une forme de flexibilité pédagogique, combinant des routines efficaces et bricolant quotidiennement de petites innovations dans la discrétion de la classe. Je propose un modèle qui permet d’aider les enseignants à prendre conscience de ce qu’ils font ou disent, à partir de ce qu’ils observent et écoutent lorsqu’ils tentent de s’ajuster à la situation et à ses imprévus, ou aux besoins d’apprentissage de leurs élèves.

On distingue souvent ce qui relève du pédagogique et ce qui relève du didactique. C’est le cas de votre modèle de l’ajustement ?

La distinction entre pédagogie et didactique est une question difficile quand on voit les multiples définitions qui existent. J’ai coordonné avec ma collègue Ingrid Verscheure un symposium et un numéro thématique de la revue belge Éducation & formation (gratuite et en ligne) intitulé « En finir avec la controverse didactique-pédagogie ? », qui apporte quelques éléments de réponses. Il semble qu’il s’agisse finalement plus d’une affaire de chercheurs que de praticiens. Un enseignant cherche avant tout le côté pragmatique et efficace dans ses réflexions et ses actions, dans une articulation incessante entre pédagogie et didactique. Mon approche de l’activité d’ajustement revendique donc cette indispensable articulation, comme Roland ­Goigoux ou Dominique Bucheton l’ont souligné avant moi.

En quoi construire une posture d’ajustement peut-il aider les enseignants à avoir des pratiques plus inclusives ?

Mon expérience d’une quinzaine d’années d’enseignant spécialisé en Segpa (Sections d’enseignement général et professionnel adapté) ainsi que mes collaborations actuelles avec des collègues de terrain me permettent de ne pas perdre de vue la complexité de ce métier, notamment le défi d’une éducation plus inclusive. Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver entre les mots d’accompagnement, de différenciation ou d’adaptation, qui ont tous des similitudes, mais également des connotations et des histoires différentes. On peut employer ces mots sans les mettre réellement en lien avec ses pratiques, et inversement, on peut parfois manquer de mots pour décrire ce que l’on fait. C’est toujours plus facile de dire qu’on adopte une posture d’accompagnement plutôt que d’expliciter exactement comment on s’y prend. Mon but n’est pas d’ajouter un nouveau mot avec celui d’ajustement, mais d’aider les collègues à se questionner afin de prendre conscience de leurs pratiques, voire de leurs postures. Réfléchir à sa posture d’ajustement, c’est essayer d’être vigilant aux gestes professionnels (dont l’observation et l’écoute) qui permettent de répondre aux besoins d’apprentissage de tous les élèves, dans une approche inclusive large. Observer finement et écouter attentivement ses élèves permet de mieux identifier leurs besoins lorsqu’ils sont en activité, afin de leur proposer une aide ajustée, que l’on espère à la fois personnalisée et inscrite dans une dynamique collective.

Propos recueillis par Sylvie Grau

Article paru dans le n° 571 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

 

L’alimentation et l’école

Coordonné par Hélène Limat et Alexandra Rayzal

L’alimentation, un thème aussi essentiel à la vie que marginal à l’école ! Et pourtant il apparait dès qu’on s’interroge sur le fonctionnement du système scolaire dans bien des aspects : le bienêtre des élèves, l’organisation des établissements, les codes et règles, les représentations, les savoirs enseignés et les contenus d’enseignement.
Quelle place prend l’alimentation dans nos salles de classe, nos établissements, nos thématiques et nos cours ?