Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Pensées sur l’éducation

Alain Bouvier, Éditions du Panthéon, 2024

Sur la lancée des Propos iconoclastes sur le système éducatif français (2019) et de Sur l’école à la française. Propos d’un mocking bird (2021), Alain Bouvier nous livre ses Pensées sur l’éducation. Elles partent d’une série d’observations présentées sous forme de flashes – on en dénombre environ 150 – dans les deux premiers chapitres, « Sur la dialectique entre école et société » et « Vue du terrain l’école est un kaléidoscope ». C’est « une sorte d’écriture au fil de la plume pendant trois ans, influencée par l’abondante actualité », mais aussi un inventaire orienté par les lectures et les intérêts intellectuels de l’auteur, occasion de dialogue avec le lectorat ou d’interpellation autour de questions aussi différentes que les élèves radicalisés, les think tanks, la crise sanitaire, l’écriture inclusive, le dispositif « Devoirs faits », l’abaya, le télétravail, etc. Pour aborder certaines de ces questions, Alain Bouvier n’abandonne pas son ton de mocking bird (« oiseau moqueur ») et son impertinence. Pas sûr que ses propos sur « l’écologie imbécile » ou sur les statuquologues ne lui valent que des amis ! Si certains points sont abordés en quelques lignes, d’autres sont examinés avec attention : « l’indice de position sociale » par exemple, ou encore « décentraliser et débureaucratiser ».

On pourrait trouver cet inventaire disparate. L’intention de l’auteur – en s’intéressant à la fois à la dictée, au service civique, aux classes de découverte, aux comparaisons européennes, à ChatGPT, etc. – s’appuie sur la conviction que « tout doit être interrogé » et qu’il est capital de « tenter immodestement sans doute d’esquisser une réflexion sur le tout , ses parties, ses éléments, leurs liens et leur organisation ».

Ce tableau sans concession s’appuie sur des données précises émanant de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), du ministère de l’Éducation nationale, de la Cour des comptes et d’instances internationales telles que l’Unesco ou l’OCDE. Il est aussi alimenté « de l’intérieur » par les diverses fonctions occupées par Alain Bouvier au cours de sa carrière professionnelle – professeur d’université, directeur d’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres), recteur, membre du Haut conseil de l’éducation, rédacteur en chef de la Revue internationale d’éducation de Sèvres – fonctions qui font de lui un fin connaisseur du système éducatif et des questions qui le traversent.

Le chapitre 3 « Sur le métier d’enseignant » se termine par le constat de la nécessité d’une nouvelle définition du métier. L’auteur souhaite que les enseignants deviennent de plus en plus « éducateurs, collaboratifs et imprégnés de la complexité », une définition qui devrait être « construite avec les enseignants » et pourrait impliquer, comme dans d’autres pays, une « diversification des missions » et être régulée par « des primes additionnelles personnalisées ». Une révolution en perspective ?

C’est parce que l’organisation est, selon Alain Bouvier, une question essentielle mais très peu traitée dans la production éditoriale sur le système éducatif en France qu’il en fait l’objet de son chapitre 4. Il rappelle, en faisant référence à son expérience de professeur en sciences de gestion,  qu’ « un système s’organise, se pilote, s’évalue et se régule ». Dénonçant l’Éducation nationale comme une technostructure hypercentralisée au mode d’action injonctif et descendant, l’auteur plaide pour une organisation où les prescriptions normatives seraient remplacées par des précisions sur le sens et les valeurs, et où le contrôle laisse place à l’accompagnement.

Le chapitre 5 offre une sorte de conclusion présentant l’école apprenante et humaniste dont rêve l’auteur. Elle s’organiserait en prenant appui sur cinq piliers : le numérique ; une forme scolaire hybride, souple, flexible, combinant scolaire et périscolaire ; un système d’action horizontal, réticulé, en lien étroit avec l’environnement local ; un nouveau métier d’enseignant centré sur l’accompagnement des élèves, la collaboration entre pairs et la responsabilité individuelle et collective ; une pratique constante des régulations pour apprendre des erreurs et capitaliser les acquis. Vision schématisée dans une figure (page 297) qui place au centre « l’humain pour élaborer un commun éducatif ». Une évolution qui suppose un véritable projet politique laissant place aux initiatives du terrain et non au joug d’une technostructure rigide et injonctive. Mais comme le souligne dans sa postface percutante Claude Bisson-Vaivre, ancien médiateur de l’Éducation nationale et ancien inspecteur général, une réponse à l’urgence n’est pas un projet politique.

Une lecture stimulante.

Nicole Priou