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Livre du mois du n° 597 – L’école inclusive

Selon le principe de la collection « Mythes et réalités », l’ouvrage traite dix assertions souvent entendues dans le milieu éducatif pour faire le point sur chacune : présentation du « mythe » et des croyances sous-jacentes, apports de la recherche, exemples concrets, et conclusion.
L’introduction aborde la thématique par les textes officiels qui attestent du consensus international sur la nécessité du « virage inclusif ». Occasion de réaffirmer que si on ne peut nier une progression très nette du nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés dans le milieu ordinaire, c’est encore loin de répondre aux attentes. Au point de se demander si l’école inclusive n’est pas elle-même un mythe dans notre pays.
Le fil rouge de l’ouvrage, c’est la posture qui permet l’inclusion par l’accessibilité : « le passage de la norme égalitaire vers la norme inclusive », de l’école pensée comme institution homogénéisante à l’école valorisant l’hétérogénéité, le refus de catégoriser les enfants, le deuil du « client parfait », la conviction que la source de la difficulté ne tient pas à l’élève mais au contexte d’apprentissage.
Or, les enseignants construisent au long de leurs études et de leur carrière des « modèles de comportements » qui les sécurisent et auxquels ils s’accrochent. Ils cherchent à préserver leur sentiment de compétence et leur identité professionnelle, même si elle ne correspond plus aux valeurs et aux prescriptions actuelles. « 78 % des enseignants expérimentés estiment s’être formés eux-mêmes », alors qu’il faudrait favoriser les formations transversales pour les enseignants, enseignants spécialisés, AESH, partenaires médicosociaux, associations et personnels territoriaux, dès la formation initiale.
Les enseignants estiment souvent qu’ils ne sont pas formés pour accueillir dans de bonnes conditions les élèves à besoins particuliers, et que leurs conditions d’exercice sont incompatibles avec la prise en compte de tous les élèves. Ils pensent que les élèves auront un accompagnement plus sécurisant et une scolarité plus réussie en milieu spécialisé. La recherche montre les bienfaits de l’inclusion sur la socialisation, les comportements adaptatifs et les apprentissages. Pourtant, les élèves à besoins particuliers eux-mêmes se disent plus en confiance dans les dispositifs où ils bénéficient d’une pédagogie différenciée et sont mieux protégés contre la stigmatisation et le harcèlement.
Le chapitre concernant les AESH aborde sans tabou la complexité d’une mission impossible au pays des injonctions contradictoires. Ils doivent faire face à des situations extrêmement complexes, en particulier quand ils n’approuvent pas la posture de l’enseignant ou quand ils sont rejetés par l’élève qui ressent leur présence comme discriminante et infantilisante. Leur aide peut déconnecter l’enfant du collectif, ils peuvent faire obstacle à l’apprentissage de l’autonomie. L’inconfort les mène souvent à l’épuisement et à la démission.
Ce petit livre très riche fournit des bases solides pour nourrir les débats actuels notamment sur la différence entre adaptation, différenciation, individualisation et personnalisation, ou entre coéducation, coenseignement, coopération, consultation collaborative et partenariat, sur la pédagogie universelle, ou comment inscrire la préoccupation individuelle dans la dynamique du groupe classe, les outils numériques, l’évaluation de ou pour l’apprentissage, etc.
Questions aux autrices
Un enseignant est le spécialiste des questions d’enseignement et d’apprentissage. Si une aide directe pour l’élève avec d’autres professionnels peut être une ressource précieuse, elle ne remplace pas l’enseignant. Pourtant, les enseignants peuvent sous-estimer leurs compétences et se sentir démunis face aux difficultés d’apprentissage de certains élèves. Ils ont alors tendance à déléguer l’aide à d’autres professionnels, qu’ils considèrent plus compétents, ce qui revient souvent à « sortir » l’élève de la classe pour une « prise en charge ». Cette délégation, quand elle est fréquente, peut concourir à une relégation de l’élève. Construire une coopération interprofessionnelle engage, en revanche, collectivement, à envisager ce qui pourrait être modulé pour lui. Une nouvelle dynamique advient alors, fondée sur des complémentarités (et non des substitutions) où il s’agit de comprendre ensemble les obstacles à la participation de l’élève, de trouver des solutions, de les expérimenter au sein de la classe.
Il n’y a pas une seule manière de faire qui convienne à l’ensemble des élèves, toutefois cela ne signifie pas que l’enseignant va préparer des situations d’apprentissage différentes pour chacun. Dans une classe, l’individualisation n’est pas envisageable et les recherches attestent qu’elle ne fait pas progresser les élèves. Des situations collectives, si elles sont aménagées, peuvent répondre à l’hétérogénéité. Les enseignants gagnent à favoriser les interactions entre élèves dans des groupes, à les faire débattre, à mettre en place un tutorat. Augmenter les interactions permet aux élèves à besoins éducatifs particuliers de mieux comprendre une tâche et de s’y insérer ; le tutorat est bénéfique aux élèves « forts » qui, en expliquant à d’autres, consolident leurs compétences. Chacun y gagne alors.
Voici un exemple. Lorsqu’un enseignant donne collectivement aux élèves de la classe une situation problème en mathématiques à résoudre, il importe qu’il anticipe des ressources différenciées selon les élèves. Les plus à l’aise disposeront de l’énoncé sans autre ressource ; d’autres du même énoncé, que l’enseignant prendra le soin de lire ; d’autres encore, de cet énoncé accompagné soit d’une représentation schématique, soit de matériel pour manipuler ; les moins à l’aise, de l’énoncé accompagné d’un problème équivalent qui a déjà été résolu en classe ; enfin les élèves les plus en difficulté auront le problème résolu (ils auront alors à expliciter la réponse). Tout en conservant le même objectif, l’éventail de ressources permet ainsi à chacun de pouvoir s’engager dans la tâche et d’avoir une expérience avec le savoir visé, et donc de progresser.
L’enseignant doit en savoir suffisamment sur le trouble, mais pas trop. En effet, une même pathologie n’a pas les mêmes répercussions selon l’individu. Ce qui est primordial, c’est de savoir ce que l’enfant sait déjà, pour envisager comment lui faire apprendre du nouveau. L’idée n’est en effet pas de prendre en considération les manques de l’élève, mais les besoins de la situation d’enseignement-apprentissage, donc d’identifier ce dont a besoin l’élève pour réaliser la tâche.
La visée inclusive de l’école est en bonne voie, même si elle demeure encore fragile. Beaucoup d’enseignants partagent l’idée que l’école est le lieu pour tous. Toutefois il est encore difficile, pour certains, de modifier leurs conceptions : ils estiment que ce n’est pas leur métier d’enseigner à des élèves à besoins éducatifs particuliers, que les élèves en situation de handicap seraient mieux en établissement spécialisé, même si ce n’est pas ce que corrobore la recherche.
Des expérimentations font bouger les lignes et apportent manifestement des satisfactions, comme le dispositif d’autorégulation (DAR), qui date de 2021 avec un nouveau cahier des charges en 2024. C’est un soutien à la scolarisation d’élèves avec des troubles du neurodéveloppement, mais aussi à celle de tous les élèves d’une école. L’équipe enseignante est alors étoffée d’un enseignant en surnuméraire, de professionnels du médicosocial en poste dans l’école (souvent deux éducateurs ou éducatrices spécialisés à temps plein ; psychologue, ergothérapeute à temps partiel). Les enseignants se sentent soutenus dans leur quotidien et l’autorégulation devient un objet partagé. Il serait fondamental que cette synergie, portée par une équipe pluricatégorielle, soit élargie à un plus grand nombre d’écoles.