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Lire les œuvres littéraires au collège

Magali Brunel et Sébastien Hébert (dir.), L’Harmattan, coll. Didactique des langues et des littératures, 2022.

Reconnaissons-le, concevoir une séquence d’apprentissage à propos d’une œuvre littéraire est loin d’être une sinécure. Les questions sont multiples, et les choix à faire, les renoncements, les frustrations le sont tout autant. Quelle œuvre choisir ? Est-il préférable de se cantonner à des extraits ? Que faire si les élèves n’apprécient pas le texte, s’ils ne le comprennent pas et de ce fait arrêtent la lecture ? Quelles compétences construire prioritairement ? Quelles activités mettre en œuvre ? Comment articuler la lecture et les autres domaines de l’enseignement du français ? Enfin, qu’évaluer et comment évaluer ?

À cette pluralité de questions, cet ouvrage collectif, sous la direction de Magali Brunel et Sébastien Hébert, apporte une pluralité de voix : chercheurs, enseignants, inspecteurs.

Des exemples concrets

Le projet éditorial est exposé d’emblée : il s’agit d’accompagner les professeurs de lettres au collège pour mieux prendre en compte la singularité des élèves d’aujourd’hui. Chacun des seize chapitres s’attache donc à rassurer, à stimuler la créativité et la réflexion des enseignants en proposant systématiquement un cadre théorique complet et des exemples concrets de mise en pratique.

Les auteurs se situent dans la continuité du fameux Lire des œuvres intégrales au collège et au lycée (2002) de Gérard Langlade, qui en signe la préface. Celui-ci rappelle qu’en effet, si toutes ces questions représentent un défi pour les professeurs de lettres, c’est que l’enseignement de la littérature a profondément changé depuis une trentaine d’années : la traditionnelle explication de texte a montré ses limites et la notion de sujet lecteur (ou lecture subjective) est apparue dans les programmes. Ainsi, « le texte littéraire n’est plus seulement appréhendé comme le lieu d’apprentissages et d’acquisitions de connaissances (linguistiques, stylistiques, narratologiques, historiques, culturelles, etc.), mais aussi et surtout comme le terrain d’une expérience personnelle, d’une rencontre singulière entre un élève lecteur et une œuvre littéraire ».

Néanmoins, entre la lecture objective des « belles pages » menée auparavant et la lecture subjective, nul besoin de choisir. Bien au contraire, les auteurs montrent ici que l’un et l’autre se nourrissent mutuellement.

Le livre propose donc des pistes de renouvèlement de l’enseignement de la lecture des œuvres littéraires au collège – même si des adaptations peuvent facilement être faites dans les autres niveaux de la scolarité. Pourquoi le collège ? Celui-ci apparait comme une étape clé : à cet âge, « les élèves se détachent du déchiffrage et accèdent à la lecture littéraire ». L’enjeu est donc de taille pour les enseignants qui doivent parallèlement intégrer à leur réflexion l’hétérogénéité grandissante des classes et la désaffection tout aussi grandissante des adolescents pour la lecture.

Pour y parvenir, les auteurs appellent à un double changement. Du côté des enseignants, à eux de tisser des activités où « subjectivité et réflexivité s’épanouissent de façon à ce que des savoirs permettent aux élèves de construire un « je » lecteur scripteur ». Du côté des élèves, à eux de s’approprier de manière active les œuvres littéraires, en somme de « s’engager dans la construction du sens de leur apprentissage ».

Quatre points de tension

Le livre met en lumière quatre points de tension qui ne manqueront pas de faire écho à ceux rencontrés par les enseignants lorsqu’ils construisent leurs cours. Tout d’abord, comment concevoir une séquence ? Deux axes ont été choisis : la temporalité de la lecture (quand et comment faire découvrir le texte, le faire lire ?) et l’articulation de quatre des grands domaines de l’enseignement du français (lire, dire, écrire, étudier la langue). On découvre que les modalités et dispositifs sont multiples et souples, pour peu que les intentions de l’enseignant (par exemple favoriser le processus d’appropriation de l’œuvre littéraire) et les concepts didactiques clés, rappelés synthétiquement dans l’ouvrage, soient clairs.

Ensuite les auteurs abordent un autre point sensible : la place du sujet lecteur. Puisque l’étude littéraire traditionnelle, objective a montré ses limites, comment favoriser une lecture subjective avec (et pour) les savoirs ? Bien sûr, on retrouvera exposé le rôle des débats interprétatifs, des journaux de lecteurs ou lectrices. Mais est aussi mis en lumière celui des journaux de personnages, dispositif moins connu et pourtant fécond pour stimuler l’immersion du lecteur et l’empathie fictionnelle. L’ouvrage ouvre également une autre piste, celle de la confrontation des valeurs morales. Il invite à s’appuyer sur la littérature pour questionner les valeurs portées par les personnages et favoriser à la fois la construction du sujet lecteur et la formation du citoyen.

Compréhension et interprétation

Cela amène naturellement à se pencher sur une troisième difficulté se présentant souvent aux professeurs de lettres : comment faire percevoir aux adolescents la spécificité de la littérature ? Les auteurs reviennent alors sur l’enseignement de la compréhension et de l’interprétation, deux concepts parfois complexes à délimiter. Le principe est d’en faire l’objet d’un véritable enseignement de façon à rendre ces activités explicites et permettre qu’elles se nourrissent l’une l’autre. Cela induit que les professeurs ne craignent pas « les maniements non orthodoxes des œuvres (survol, grappillage, lecture fragmentaire, butinage, etc.) » et que tous les élèves s’autorisent (et soient autorisés) à devenir des interprètes légitimes. C’est aussi l’occasion d’explorer le principe d’actualisation qui permet aux collégiens de s’approprier des œuvres patrimoniales classiques.

Enfin la dernière question traitée dans cet ouvrage nous invite à nous ajuster et à enrichir nos pratiques de médias actuels. Les auteurs s’attachent ainsi à exposer les spécificités et la richesse des œuvres littéraires contemporaines combinant différents types de langage, par exemple la littérature dessinée. Ils n’oublient pas enfin les pratiques de lecture moderne, celles opérées au moyen d’internet et des réseaux sociaux, et qui vont faciliter et stimuler les communautés de lecteurs et de scripteurs (les fanfictions en sont un bon exemple).

On le voit, le pari de cet ouvrage est gagné. Se trouvent synthétisés ici des repères théoriques utiles et accessibles, des exemples concrets, clairs et illustrés.  Un ouvrage à lire et à relire donc pour se réassurer, puis se lancer dans de nouvelles pratiques d’enseignement de la littérature.

Aurélie Guillaume