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Blanquer, l’Attila des écoles

Nul ne peut nier la connaissance du système éducatif par Pascal Bouchard qui anime le site Tout educ  depuis de nombreuses années et a suivi attentivement les divers aléas des parcours ministériels ces dernières décennies. C’est ce qui fait la force et souvent la justesse de l’analyse qu’il mène ici, de l’action de Jean-Michel Blanquer. On ne trouvera pas ici des procès d’intention et du « bashing », mais une description étayée de l’action d’un ministre qui est bien parti pour effectuer à ce poste tout le quinquennat, ce qui n’a pas été le cas depuis les débuts de la Ve République.

Avec lui, on peut déplorer le manque de connaissances de la plupart des journalistes concernant l’école, en particulier dans les médias audiovisuels, car sinon comment expliquer le peu de contradiction portée envers le ministre dans les nombreuses interviewes qu’il a accordées, alors qu’il y avait matière. Car Pascal Bouchard, lui, pointe les nombreuses incohérences d’une politique qui par exemple prétend s’appuyer sur les sciences et notamment, on le sait, sur les neurosciences, mais surtout quand celles-ci semblent rejoindre ce qu’il pensait déjà. Le conseil scientifique qu’il a mis en place (et que l’auteur décrit sans suffisamment de nuances, étant plus pluraliste qu’il semble le dire) n’est d’ailleurs pas vraiment consulté, par exemple lorsqu’il s’agit d’établir le fameux « live orange » pour la lecture.  On sait que le ministre Blanquer a aussi contredit l’ancien directeur de l’enseignement Blanquer sur les rythmes scolaires.  Et celui dit être très attaché aux arts et à la culture, diminue considérablement leur place dans la formation du premier degré. Sans oublier les déclarations tonitruantes du début du quinquennat comme quoi il n’y aurait pas de grande réforme, alors que dans les faits, les changements ont été nombreux, au détriment de ce qui avait été mis en place par Najat Vallaud-Belkacem.

En quelques lignes savoureuses, l’auteur décrit le ministre comme « l’homme du paradoxe permanent ». Mais il est aussi pour lui comme le chef des Huns, « l’herbe ne repoussant pas » après ces années se voulant disruptives. Un exemple est la façon dont est détricotée la réforme du collège. On peut au passage ne pas partager l’analyse critique faite des EPI par l’auteur qui, s’ils avaient eu leur chance dans la durée, auraient pu produire des effets sensibles, mais discrètement, ils ont rejoint le cimetière des tentatives d’instauration de croisement de disciplines guère prisé par quelqu’un qui se prétend pourtant proche d’Edgar Morin !

Mais en même temps, il y aurait aussi beaucoup de faux semblants et par exemple sur les redoublements, peu de choses changent, sinon un signal donné à l’opinion publique comme quoi ils peuvent être une solution, même si dans les faits, ils restent très minoritaires.

Pascal Bouchard n’évoque que brièvement la question des programmes, mais là aussi le coup de balais qui met au premier plan du Conseil supérieur des programmes des personnalités peu compétentes et peu adeptes du débat est désastreux, même si le socle commun est formellement maintenu mais pratiquement pas évoqué dans les discours officiels.

Le long développement sur l’école maternelle est très parlant et montre comment certains grands noms comme celui de Boris Cyrulnki servent de caution à une politique qui pourrait remettre en cause ce qui fait la richesse d’un des fleurons de notre système éducatif, de façon très subtile en écartant les activités cognitives des premières années tout en faisant de la Grande Section une préparation à un CP très normé, on le sait.

Ce livre est, nous l’avons dit, largement informatif, documenté. On peut contester des jugements, mais pas les faits, les références souvent solides (sur la validité des recherches, surévaluée lorsqu’elle va dans le sens des intentions du ministre ou du moins imprudemment médiatisées, sans le recul nécessaire pourtant prônée y compris par les scientifiques qui soutiennent les thèses du ministre).  Pascal Bouchard évite l’outrance et pointe à la fois donc les contradictions d’une politique souvent dictée par le souci de l’opinion publique et les nécessités de la com et la cohérence d’un projet global, sans pour autant qu’on verse dans la théorie du « grand complot néo-libéral » et de l’outrance, souvent contre-productive.  

Pascal Bouchard se demande au final comment il sera possible de « reconstruire » sur les ruines attilesques, dans ce qui arrivera un jour : l’après-Blanquer. Il émet des propositions qui se gardent de toute utopie et peuvent paraitre modestes et plutôt conservatrices, mais méritent la discussion. Mais il faut tenir compte, selon lui, du fait que « le système est à cran. Les enseignants n’en peuvent plus de recevoir des injonctions qui se contredisent, des vérités qui changent avec les alternances politiques » Comment dès lors combattre le scepticisme, faire face au malaise grandissant, comment rétablir cette « confiance » qui, malgré tout un discours officiel qui s’abreuve de l’expression,  n’est pas au rendez-vous.

Jean-michel Zakhartchouk