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Quelles compétences pour un monde qui change ?

À l’heure des grands bouleversements qui reconfigurent notre planète et les conditions de son habitabilité, c’est apprendre à s’adapter dont il est question aujourd’hui. Au-delà des contenus d’enseignement, cet apprentissage ne procède pas seulement de connaissances mais aussi de valeurs et de comportements. En tant que capacités d’action permettant de faire face à une diversité de situations, les compétences sociales constituent un vaste continuum difficilement intégrable dans l’organisation actuelle du système scolaire1.

Plusieurs travaux convergent cependant sur l’intérêt de l’approche par compétences dans le cadre de l’éducation au développement durable (EDD). Le Réseau des universités pour la formation et l’éducation au développement durable a mis en ligne en 2016 un Guide compétences développement durable & responsabilité sociétale proposant cinq métacompétences transversales.

Des compétences collectives pour apprendre à vivre ensemble autrement, trouver de nouvelles façons de faire société, savoir travailler à plusieurs. Parce que l’éducation au développement durable se réalise pleinement dans le cadre de configurations didactiques qui prennent vraiment sens lorsqu’elles s’inscrivent dans des travaux de groupe2.

Des compétences systémiques, car on ne peut faire abstraction des aspects scientifiques, techniques, environnementaux d’une question, de ses conséquences sociales et des implications juridiques. Systémiques, car une action sur une partie a une influence sur le tout. Systémiques aussi, parce que les savoirs mis en jeu sont distribués entre experts et citoyens, entre professionnels et militants, entre scientifiques et habitants et que, entre savoirs académiques et savoirs dits « profanes, sauvages ou autochtones », ces « questions socialement vives »3 suscitent des controverses.

Des compétences éthiques, en lien avec la responsabilité et le souci des autres que certains travaux de recherche en philosophie de l’éducation relient au care (solidarité, ouverture aux autres, justice, égalité et responsabilité). Ce sont également les compétences que l’on développe lors des débats et des discussions philosophiques qui supposent de travailler sur les normes en vigueur dans la société.

Des compétences prospectives, que l’on peut relier à la compétence heuristique de certains travaux, celle qui permet de trouver de nouvelles solutions aux problèmes qui se posent, de décaler son regard, de penser autrement. Si l’on considère que la compétence prospective fait appel au sens du futur, on peut la rapprocher de ce que d’autres chercheurs appellent la « compétence politique ».

Toutes ces compétences permettant d’envisager des changements, pour s’adapter à un monde en reconfiguration, dont on ne connait pas encore les caractéristiques et que chacun contribue à faire advenir.

On retrouve cette approche par compétences dans un récent appel à communication de la revue scientifique Environmental Education Research, qui sollicite des articles explorant les compétences stratégique, normative, systémique, de résolution de problème et d’anticipation. La compétence normative est entendue ici comme la capacité à identifier les valeurs qui sous-tendent le développement durable. La compétence stratégique consiste à réaliser des liens entre la connaissance et l’action. Enfin, la compétence de résolution de problème est reliée à la prospective, dans l’acception des travaux de Michel Fabre4. Il existe autant de travaux sur les compétences que de façons de les considérer et les articuler, ainsi la compétence critique est parfois associée aux compétences éthique ou prospective.

Une façon de prendre en compte ces compétences transversales, que l’on pourrait qualifier de haut niveau, dans les programmes d’études, est de les relier aux dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) promus par l’Agenda 2030 de l’Unesco. Si leur diversité rend leur appréhension malaisée, les regrouper par thématiques permet de gagner un peu de lisibilité, même si les ODD changement climatique, biodiversité marine et forestière qui sont souvent associés ne peuvent être dissociés des questions sociales de lutte contre la pauvreté et d’accès à l’eau ou des sujets d’égalité de genre, d’éducation et de paix. L’Agenda 2030 est un des piliers des deux dernières circulaires relatives à l’EDD. Le projet Fecodd (Formation éducation compétences ODD)5 travaille actuellement à transformer ces objectifs stratégiques et politiques en objectifs pédagogiques, de façon à pouvoir intégrer les ODD dans chacune des disciplines et thématiques traitées au cours de la scolarité. Des propositions sont en cours pour les maquettes des masters MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation).

Anne-Françoise Gibert
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyse
de l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon)

Notes
  1. Marie Gaussel, « À l’école des compétences sociales », Dossier de veille de l’IFÉ n° 122, 2018, https://urlr.me/NRwZQ.
  2. Jean Simonneaux, Configurations didactiques. Dictionnaire critique des enjeux et concepts des « éducations à », L’Harmattan, 2017.
  3. Voir http://qsv.ensfea.fr/.
  4. Voir Le sens du problème. Problématiser à l’école ?, De Boeck, 2016.
  5. Voir http://reunifedd.fr/index.php/fecodd/.