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« La situation des enfants arrivés d’Ukraine met en exergue nos besoins éducatifs »

Comment bien accueillir en classe les enfants allophones, et en particulier ceux qui arrivent d’Ukraine ? Entretien avec Catherine Mendonça Dias, enseignante-chercheuse en sciences du langage et didactique du français langue seconde.
Quelle est la situation particulière des enfants venus d’Ukraine ?

Concernant ces enfants, au-delà de l’attention portée à leurs conditions migratoires, beaucoup d’enseignants sont amenés à prendre en compte leurs conditions socioéconomiques, plus ou moins précaires, de séjour. Ils s’intéressent aussi au cadre sécurisant pour le logement et à l’environnement affectif. Comme beaucoup d’enfants nouvellement arrivés, certains jeunes vivent dans des conditions de logement précaires, loin d’être conformes aux logiques et aux attentes de l’école (ne serait-ce que pour faire ses devoirs). Aujourd’hui, les enfants ukrainiens et leur famille sont accueillis par d’autres membres de leur famille, des familles d’accueil, des associations, etc. Si bien qu’ils ne s’installent pas forcément dans les grandes métropoles, mais aussi en milieu rural ou semi-rural, en fonction des hospitalités. En conséquence, des établissements habituellement peu concernés par l’arrivée de migrants sont aussi impliqués.
Pour ces élèves, des enseignants ont rapporté un phénomène de volonté de continuité pédagogique avec le pays d’origine. Certains élèves, les plus âgés, ont pu garder un lien avec leur établissement scolaire en Ukraine, au moins au début. Cela a probablement été rendu possible par l’épisode récent de la pandémie, durant lequel les enseignants ont pu expérimenter et développer un enseignement à distance. Ce maintien du lien scolaire est une particularité inédite par rapport aux autres élèves primo-arrivants. Cette relation s’inscrit aussi dans des projets de retour au pays, malgré un niveau d’incertitude fort. Dans cette logique, d’ailleurs, certains jeunes poursuivent un apprentissage en ukrainien, au sein même des établissements d’accueil. Un rectorat a ainsi recruté au printemps des enseignants ukrainiens. Cela dit, cette implication de professeurs natifs n’est pas exceptionnelle, puisque depuis les années 70 des accords de coopération avec les pays d’émigration ont permis le développement de l’apprentissage de la langue maternelle dans le pays d’accueil.

Nous pouvons observer une forte mobilisation en faveur de ces enfants, la prégnance de l’actualité conduisant à amplifier leur visibilité. Si cette mobilisation favorise un accompagnement volontariste, généreux et probablement efficace, elle demande aussi du tact vis-à-vis de ces jeunes afin qu’ils ne soient pas assignés à la situation politique de leur pays d’origine. Il ne faudrait pas qu’ils aient, en tant que réfugiés et symboles, un projecteur braqué sur eux. Beaucoup aimeraient probablement se fondre dans le groupe scolaire.

Comment les accueillir au mieux ?

Il s’agit de comprendre quelle est la disponibilité cognitive des enfants et des adolescents à ce moment de vie. Pour certains, il y a un surinvestissement scolaire comme processus de résilience. Ces enfants sont préoccupés fortement par l’école, éprouvent des satisfactions à réussir. Dans le cadre de l’école primaire, les usages permettent aux parents de venir à l’intérieur de l’école, de visiter et de mieux comprendre comment une journée se déroule pour leur enfant. C’est un réel accueil des parents, qui les rassure sur la vie scolaire de leur enfant. Au collège, les parents ne visitent pas l’établissement, et il y a un éloignement qui peut être vécu douloureusement et dans l’incompréhension de ce qui se joue entre les murs scolaires. Prendre du temps pour cet accueil peut avoir des effets très positifs sur les apprentissages des élèves. Par exemple, il serait pertinent d’avoir un livret d’accueil, traduit en plusieurs langues, à destination des parents qui ne connaissent pas encore le fonctionnement de l’école française. Certains Casnav (centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs) se sont lancés dans cette conception d’outils.

Comment travailler sur les possibles traumatismes vécus?

L’enseignant n’est pas un psychologue et ne peut pas couvrir tous les rôles. Notre situation française révèle un manque de professionnels formés à ce type de problématiques, et avec lesquels les enseignants devraient collaborer.
Et effectivement, pour certains enfants, un accompagnement avec un psychologue pourrait être souhaité quand il y a eu trauma. Je peux citer l’équipe de Marie-Rose Moro1, dont les travaux concernent les enfants venus d’ailleurs. Dans les grandes métropoles françaises, des équipes solidement formées existent, mais on ressent le manque de ce type d’encadrement ailleurs. Cette situation des enfants arrivés d’Ukraine n’est pas nouvelle, mais elle met en exergue nos besoins éducatifs ainsi que la recherche d’un encadrement formé à ce type de problématiques.
Les jeunes migrants vivent cette étape de vie avec plus ou moins de résilience. De plus, le trauma ne se voit pas directement. En fonction de leurs besoins et envies, les jeunes devraient avoir la possibilité de s’exprimer sur ce qu’ils vivent, sur leurs craintes, leurs peurs, leurs angoisses, leurs espoirs afin de prendre de la distance. Et il y a aussi des jeunes qui ne sont pas traumatisés, et ils n’ont pas à se sentir coupables. Il ne faudrait pas faire des généralités ou des raccourcis hâtifs.

Qu’est-ce que les équipes éducatives devraient absolument savoir pour mieux inclure ces élèves ?

L’accueil devrait se poursuivre par des pratiques d’inclusion, avec un accompagnement des élèves dans les apprentissages scolaires. Cela implique un travail sur le lien social dans la classe, dans l’école. Et dans cette visée, on peut renverser l’organisation et passer progressivement plus de temps dans la classe ordinaire avec le soutien du dispositif linguistique. Cette politique est envisagée sur le plan administratif, mais il reste à la traduire dans une pratique effective de pédagogie inclusive, en mettant en place des dispositifs de travail en classe afin que les élèves prennent le risque des apprentissages et suivent le cours de la classe avec des aménagements. Les dispositifs linguistiques comme les UPE2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) offrent un cadre rassurant pour les amener à viser la même chose que les autres enfants de même niveau. Pour utiliser une langue couramment, il faut compter environ deux à trois ans.

Est-ce qu’il y a des situations scolaires plus favorables pour ces enfants ?

Dans beaucoup d’établissements, on observe des enfants qui prennent peu la parole en classe, à la cantine, et passent leurs journées seuls. Il y a à penser des situations d’enseignement et d’apprentissage dans la classe qui favorisent la multiplication des interactions, la verbalisation et la coopération entre élèves. Les élèves nouvellement arrivés s’expriment plus intensément et plus facilement avec leurs pairs que lors des sollicitations, parfois rares, de leurs enseignants. Les prises de parole au sein d’un petit groupe sont plus aisées qu’une expression plus formelle devant l’enseignant ; elles peuvent se préparer entre camarades avec lesquels les élèves peuvent aussi rire, s’amuser et prendre confiance dans l’arène de la classe. Il s’agit de requestionner les modalités de travail, par exemple réorganiser la classe pour que les élèves arrivés au fil de l’année ne se retrouvent pas au fond de la salle. C’est intéressant de multiplier les interactions entre pairs, également en dehors de la classe, en les orientant vers les activités périscolaires (sports, musique, etc.) et d’investir les activités de l’éducation populaire afin de tisser des relations avec les autres.

Comment les enfants articulent-ils les différentes langues, celle du pays quitté et celle du pays d’accueil ?

Dans la situation actuelle des enfants arrivés d’Ukraine, nous nous trouvons face à un public d’enfants scolarisés antérieurement : ils sont lecteurs, scripteurs et plurilingues dans la plupart des cas (ukrainien, russe, anglais, etc.). Le lien avec le pays d’origine, voire avec l’établissement scolaire, est généralement maintenu. Ils continuent de communiquer par les réseaux sociaux. Leur situation diffère un peu de celle des mineurs non accompagnés, parmi lesquels certains vivent dans la solitude, n’ont plus de lien avec le pays quitté, ne peuvent plus utiliser leur langue d’origine. Pour la langue ukrainienne, beaucoup de supports pédagogiques ont été développés (livres, manuels, exercices, dictionnaires, etc..) et partagés sur un groupe facebook, avec des échanges quotidiens de ressources, ainsi que sur le site du Casnav.

Il y a à penser les interdépendances et passerelles entre les langues pour aider et accompagner les apprentissages. La formation des enseignants devrait apporter les éléments nécessaires afin de dépasser une vision clivée des langues, pas forcément conscientisée et en partie héritée des politiques éducatives antérieures, selon lesquelles la langue de l’école ne s’ouvre pas aux apports du plurilinguisme. Or, le plurilinguisme est une richesse, mais aussi un levier d’apprentissage en langue seconde. Les travaux du Carap (cadre de référence pour les approches plurielles), coordonnés par Michel Candelier, montrent cette articulation entre les langues. Les pratiques plurilingues permettent aux élèves de s’appuyer sur leurs langues.

Propos recueillis par Andreea Capitanescu Benetti et Michèle Amiel
Illustration d’Eglė Plytnikaitė issue de la galerie de dessins participative « Creatives for Ukraine ».

Ressources pour les enseignants :
Site de Catherine Mendonça Dias
Groupe facebook UPE2A
Site ECLE – Emotissage


À lire également sur notre site :
L’épopée silencieuse des enseignants d’UPE2A pour la continuité pédagogique, par Catherine Mendonça Dias
Allophone, une hétérogénéité universelle, par Monique Royer
Ressources pour expliquer la guerre en Ukraine
Face à la guerre en Ukraine, la coéducation sur le devant de la scène, par Christelle Wermelinger


Sur notre librairie :

N° 558 – Les élèves migrants changent l’école

Coordonné par Jean-Pierre Fournier et Françoise Lorcerie
Les migrations internationales ne font pas seulement l’actualité, elles sont le présent de notre école. Son futur aussi. Sans prêter foi aux images qui veulent faire peur, prenons-en acte. Comment faire pour accueillir des élèves de toutes origines, de tous âges et de toutes langues maternelles ?


Notes
  1. Marie Rose Moro est psychiatre, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Paris Descartes et psychanalyste française. https://www.transculturel.eu/Marie-Rose-Moro_a231.html