Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Faire classe à distance, oui, mais comment ?

La « classe virtuelle » – l’enseignement synchrone par le moyen de la visioconférence – suscite un intérêt grandissant car il permet de conjuguer des bénéfices de l’enseignement à distance et en présence. Cependant, elle comporte son lot de contraintes, mises en lumière par la « continuité pédagogique » lors de la crise sanitaire du printemps 2020. Enseigner en classe virtuelle nécessite de développer et de mobiliser des compétences spécifiques, qui interrogent les pratiques enseignantes.

Anticiper et réguler

Faire classe à distance requiert une planification minutieuse des contenus et une anticipation de la prise en main technique (téléchargements de documents, directives techniques aux élèves, etc.) couteuses en temps. Il s’agit de s’assurer de la lisibilité et de l’accessibilité des documents (visuels, sonores, etc.) pour favoriser la compréhension et l’intérêt de tous et toutes, mais aussi d’anticiper d’éventuels dysfonctionnements techniques qui peuvent venir perturber ou interrompre les échanges – l’attention de l’enseignant étant détournée des élèves plus entièrement qu’en présence. Dans ce cas, impliquer les élèves dans la résolution du problème ou convertir cette situation en objet pédagogique constituent des stratégies pouvant être mobilisées pour la poursuite du cours1.

La mise en œuvre d’un cours synchrone à distance nécessite donc une gestion de l’imprévu et une « flexibilité pédagogique » plus marquées, l’improvisation y a peu de place.

Faire acte de présence

En présentiel, la coprésence des apprenants est une évidence. Il en est tout autrement dans la formation à distance. Or, la classe virtuelle, vis-à-vis d’autres dispositifs d’enseignement-apprentissage à distance, renforcerait le sentiment de coprésence, présentant en ce sens des avantages psychoaffectifs (favorisant, par exemple, la motivation ou le bien­être). Comment s’assurer de véhiculer cette « présence à distance2 » ?

Outre l’importance donnée à la socialisation du groupe en ligne, par exemple en mobilisant des outils tels que le forum de discussion en amont ou en aval du cours, la corporéité des interactions nécessite d’être prise en compte, et ce, malgré l’espace restreint de l’écran. L’enseignant peut combiner plusieurs ressources pour réguler sa présence à distance : en tout premier lieu le regard (direction et expressivité), puis le reste du visage (hochements de tête, sourires, mimiques), et le reste du corps (gestes, buste). Une certaine mise en scène de soi permet d’établir des rapports de connivence afin que les élèves osent s’exprimer, la gestuelle venant compléter ou renforcer le verbal3.

Revisiter le face-à-face pédagogique et le contrat didactique

La classe virtuelle peut être le lieu d’un contrat didactique moins asymétrique, si l’on établit des règles de communication encourageant les élèves à s’entraider ou à se corriger, l’enseignant renonçant à son statut d’interlocuteur principal. Toutefois, un guidage plus fort peut aider les élèves ayant des difficultés d’autorégulation. Dans tous les cas, les multiples fonctionnalités et l’absence d’échanges informels entre pairs au sein des dispositifs synchrones augmentent la charge attentionnelle requise, et les interactions y sont parfois de meilleure qualité qu’en présence (par exemple, réflexion critique plutôt que reformulation).

La temporalité en ligne apparait « serrée », et la tendance à combler le silence rapidement y est grande ; or, allouer une place au silence favorise la prise de parole des élèves. Si l’activation par les élèves de leur caméra peut être préférée, ou préférable, pour que l’on soit attentif aux incompréhensions, des interactions sociales et pédagogiques peuvent aussi être encouragées sans caméras (clavardage, questionnaires interactifs, etc.). Avec ou sans caméras, combiner plusieurs canaux de communication favorise les rétroactions.

Ainsi, la classe virtuelle nécessite des compétences spécifiques multiples, et interroge l’agir enseignant. Elle entraine une modification de la conception de l’enseignement et du rapport au savoir, de la relation entre l’enseignant et l’apprenant, et, enfin, du rapport de l’enseignant à sa propre pratique. Alors, continuité ou rupture pédagogique ? La classe virtuelle bouscule les repères pour en construire de nouveaux, ce qui, en retour, pourrait modifier les pratiques… du présentiel.

Prisca Fenoglio
Médiatrice scientifique, service Veille et analyses de l’IFE-ENS de Lyon.

Pour aller plus loin : Prisca Fenoglio, « La classe à distance : quelles reconfigurations des pratiques ? », Dossier de veille de l’IFÉ no 141, décembre 2022, ENS de Lyon. En ligne : https://bit.ly/3GRa1LA.

 


 

Notes
  1. Brahim Azaoui, « Faire face aux imprévus techniques », in Nicolas Guichon et Marion Tellier (dir.), Enseigner l’oral en ligne, Didier, 2017, p. 116‑134.
  2. Annie Jézégou, « Créer de la présence à distance en e-learning. Cadre théorique, définition, et dimensions clés », Distances et savoirs, vol. 8, no 2, 2010, p. 257‑274.
  3. Voir Nicolas Guichon et Marion Tellier (dir.), Enseigner l’oral en ligne, op. cit.