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Enseigner la géométrie élémentaire. Enjeux, ruptures et continuités

Anne-Cécile Mathé, Thomas Barrier et Marie-Jeanne Perrin-Glorian, L’Harmattan, 2021.

Dans cet ouvrage les trois auteurs formateurs d’enseignants, chercheurs en didactique des mathématiques ont deux objectifs. Le premier est de rendre compte de l’état des recherches en didactiques des mathématiques dans le domaine de l’enseignement de la géométrie et plus spécifiquement de l’articulation entre la géométrie du primaire et celle du secondaire. Le second est d’outiller les enseignants pour mettre en œuvre des situations dans leurs classes tenant compte des résultats de la recherche et des différentes expérimentations menées dans les classes dans un travail de co-construction avec des enseignants. L’ambition est de lier les aspects théoriques de la première partie qui pointe les enjeux de l’enseignement de la géométrie élémentaire aux propositions concrètes de situations d’apprentissage de la seconde partie.

L’intérêt de cet ouvrage est de reprendre en détail les cadres théoriques, et en particulier celui de la Théorie des Situations Didactiques (TSD) développé par Guy Brousseau, pour expliciter la manière dont les auteurs les utilisent pour mener leurs analyses et concevoir les situations. La première partie permet donc de repositionner les notions fondamentales en didactiques pour comprendre les enjeux des travaux de recherche en pointant les conditions de mises en œuvre des situations qui seront proposées en seconde partie.

Les auteurs considèrent la géométrie élémentaire selon une axiomatique euclidienne en tenant compte des toutes les dimensions de l’activité géométrique : rapport aux figures, aux instruments, au langage, à la preuve. Dans cette perspective, il s’agit de penser la continuité entre une géométrie physique liée aux perceptions, à l’utilisation d’instruments (Géométrie GI), et une géométrie théorique basée sur les propriétés et sur les démonstrations (Géométrie GII). Cette continuité est liée à deux modélisations possibles des problèmes rencontrés dans l’espace sensible : la modélisation analogique qui passe par des schémas, croquis, dessins, et la modélisation spacio-géométrique qui passe par des connaissances géométriques (théorèmes, propriétés). Les auteurs vont donc définir trois espaces : l’espace sensible, l’espace géométrique et l’espace graphique des représentations. Ils font l’hypothèse qu’un travail spécifique de ce dernier doit permettre l’appréhension de concepts théoriques à partir de l’espace sensible.

La géométrie des tracés (sans prise en compte des mesures) peut s’appuyer sur la manipulation d’instruments porteurs des concepts géométriques. Une analyse précise de ces instruments peut amener les enseignants à repenser leur équipement (règle non graduée, gabarits, règle non informable, règle informable, reporteur de longueur…) et à comprendre comment cette variable didactique joue sur l’apprentissage. En particulier l’idée de « coût » associé à chaque instrument permet de contraindre les élèves à analyser leurs procédures et à penser de nouvelles stratégies. Le choix des instruments et des figures doit permettre aux élèves de développer les trois modes de visualisation définis par Duval (la juxtaposition ou superposition d’unités dans le dessin ; la déconstruction dimensionnelle en surface, droites et poins ; l’identification des étapes de construction).

Par ailleurs, les recherches sur la preuve et sur les aspects langagiers abordés au chapitre 4 attestent de la fonction d’expérimentation et de preuve des figures. L’objectif est de construire des situations d’enseignement conduisant les élèves à une utilisation des instruments porteuse des structures logiques de la démonstration en géométrie théorique. Le langage joue alors un rôle important, en particulier il semble essentiel de travailler la double désignation qui consiste à amener l’élève à désigner un même objet de différentes manières (par exemple : sommet d’un polygone, point, intersection de droites).

Enfin dans le cadre de la TSD, la situation fondamentale retenue est la reproduction de figures, les situations de formulation et de validation sont les messages oraux, écrits, sous forme de textes ou de schémas qui peuvent permettre d’identifier, reconnaître, reproduire, construire une figure. L’objet de travail est alors alternativement la figure et le texte qui définit l’objet géométrique représenté. Les instruments géométriques sont considérés comme un langage par leur dimension théorique. La mise en œuvre proposée joue sur des temps d’interaction des élèves sur des situations et des temps d’échanges langagiers et d’institutionnalisation.

Les situations proposées dans la partie 2 visent la coordination de trois dimensions : les différentes manières de voir les figures, le double rôle des instruments (matériel et théorique) et le langage géométrique. Les auteurs proposent donc des progressions du début du primaire au milieu du secondaire pour l’étude des solides, l’étude des figures planes, les droites et les points, les positions relatives de droites et la symétrie axiale. Les situations sont décrites, le choix des instruments précisé et mis en regard de ce qu’il s’agit d’institutionnaliser. Cette partie très concrète est un apport innovant au service des enseignants et de la formation. Il rompt avec les ressources habituelles et outille efficacement les enseignants pour une mise en œuvre dans les classes. La compréhension des enjeux nécessite cependant la lecture de la partie 1 plus ardue mais essentielle.

Claire Lommé