Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Comment va le syndicalisme enseignant, ici et ailleurs ?

La Revue internationale d’éducation de Sèvres, publiée par France Éducation international, consacre son dossier de décembre 2022 aux « syndicats d’enseignants au XXIe siècle ». Nous avons demandé aux deux coordonnateurs, José Weinstein, sociologue à l’université du Chili, et Werner Zettelmeier, chargé de recherches au Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (Cirac) de Cergy Paris université, de présenter un dossier qui, d’une certaine façon, a une résonance avec l’actualité.
Comment s’est fait le choix des pays étudiés, l’échantillon est-il en quelque sorte représentatif ? Les pays cités dans le dossier sont plus ou moins tous des démocraties. Il doit sans doute y avoir un syndicalisme officiel dans les pays autoritaires ?

Conformément à la ligne éditoriale de la Revue internationale d’éducation de Sèvres, chaque dossier thématique vise à couvrir les grandes zones géographiques (Europe, Amériques, Asie, Afrique). Il y a toujours un article sur la France. Le choix opéré est en quelque sorte représentatif de la diversité des syndicalismes, mais il ne veut ni peut être exhaustif. Pour l’Europe, par exemple, les trois pays choisis (France, Suède, Autriche) illustrent cette diversité entre un syndicat enseignant unitaire pour toutes les catégories d’enseignants (Autriche), un paysage syndical très fragmenté en France et un syndicalisme en recomposition en Suède. Mais les trois pays sont loin d’être représentatifs pour le paysage syndical européen et encore moins au niveau mondial.

On doit aussi tenir compte de la disponibilité des auteurs qui ont travaillé sur le sujet dans leurs pays respectifs. Le positionnement et la fonction des syndicats dans les pays autoritaires sont en effet très différents de ce que l’on peut observer dans les démocraties de type libéral. On peut s’interroger sur l’intérêt d’une présentation du syndicalisme enseignant officiel dans un pays autoritaire comme la Chine, où il sert essentiellement de courroie de transmission aux directives des pouvoirs politiques.

Qu’y a-t-il de commun et de différent entre les syndicalismes enseignants étudiés ?

Il est difficile de répondre de façon globale à cette question, car le syndicalisme enseignant est né dans des situations différentes. Par exemple, dans les États développés (européens), c’est la généralisation de l’école (primaire) obligatoire à la fin du XIXe siècle qui engendre la création de syndicats, alors que, dans les pays comme l’Inde et le Sénégal, la naissance du syndicalisme est étroitement liée au processus d’émancipation de ces pays par rapport aux anciennes puissances coloniales après 1945.

L’émergence du syndicalisme (pas seulement enseignant) est donc liée à l’évolution spécifique politique et sociale de chaque pays. Si, à l’origine, la défense des intérêts sociaux et économiques spécifiques des enseignants face aux pouvoirs publics était sans aucun doute un mobile important et dominant pour créer un syndicat enseignant, d’autres revendications étaient présentes, souvent dès le départ : l’accès à l’éducation pour tous les enfants, indépendamment des conditions de ressources de leurs parents. L’implication dans la politique éducative nationale était bien présente dans leurs revendications dès le départ, et dans certains cas également un rôle de cogérant avec les autorités politiques du système éducatif (Mexique), voire un rôle plus politique dans la gouvernance du pays (Mexique et Pérou) dans son ensemble.

Ce qui semble commun à tous les syndicats (étudiés) dans une large mesure, c’est la défense de l’éducation comme un service public et donc une opposition nette aux tentatives de privatisation présentes aujourd’hui dans de nombreuses politiques éducatives et qui sont considérées comme un pas en arrière car aggravant les inégalités dans l’accès à l’éducation.

Finalement, quelle serait la tendance de fond du syndicalisme enseignant : davantage de défense « corporatiste » des intérêts professionnels ou l’implication dans les politiques éducatives nationales ? Et quels liens avec les syndicats généraux de travailleurs ?

Il nous semble difficile de parler « d’une » tendance de fond, compte tenu de la diversité des situations déjà évoquée. Il s’agit davantage pour les différentes formes de syndicalisme de s’adapter aux mutations sociétales et politiques de chaque contexte.

À ce titre, la seule défense des intérêts catégoriels, même si celle-ci reste une préoccupation majeure pour les syndicats, et ce, pas seulement dans les pays en voie de développement, ne suffit plus à susciter l’adhésion. Des revendications plus larges de justice sociale (comme le montre l’évolution du syndicalisme aux États-Unis ou en Inde) doivent s’ajouter, tout comme les syndicats (enseignants) doivent tenir compte également des aspirations des jeunes générations d’actifs à mieux équilibrer le travail et la vie privée.

Il y a de nouvelles façons d’opérer et de se positionner par rapport à l’opinion publique, comme le montrent, chacun à sa façon, le syndicalisme en Suède et en Inde, qui permettent aux syndicats enseignants d’être en phase avec les mutations de leur environnement et de (re)gagner de la reconnaissance auprès des enseignants et de l’opinion publique.

Cependant, les possibilités d´un renouveau du syndicalisme enseignant restent liées aux capacités politiques des dirigeants syndicaux dans les différents pays pour faire une lecture éclaircie du rôle de l’éducation dans le contexte sociétal, des nouvelles formes de mobilisation en vogue et des aspirations professionnelles des enseignants.

L’article de Louis Weber montre toutes les limites d’une internationale des syndicats enseignants. Celle-ci peut-elle dépasser les déclarations très générales, et comment ?

Pour les revendications « corporatistes », les pouvoirs publics nationaux resteront pour les syndicats enseignants, dans un avenir prévisible, les interlocuteurs privilégiés, car il n’y a pas de compétence à un niveau supranational pour la politique éducative. Même au sein de l’Union européenne, on ne voit pas comment les États membres pourraient accepter le transfert de cette politique publique aux instances communautaires.

En revanche, dans un monde de plus en plus interconnecté et où l’école est fortement concurrencée comme lieu de transmission du savoir par d’autres sources de connaissance, l’échange entre (syndicats) enseignants, surtout au niveau européen, mais aussi international, est tout à fait pertinent et devrait gagner en importance. Une réflexion et un message commun sur l´état de l´éducation dans le monde, et surtout sur ses finalités et enjeux est une référence puissante pour les syndicats nationaux mais aussi pour les forums de discussion au niveau international.

Ce serait peut-être renouer avec les débuts des contacts internationaux dans les organisations professionnelles d’enseignants. On ne peut qu’approuver Louis Weber lorsqu’il dit qu’il n’y a plus vraiment de politique purement nationale en matière d’éducation et que les syndicats enseignants, à travers leur action internationale, doivent prendre la mesure des nouvelles dimensions du contexte dans lequel ils agissent.

Finalement, le syndicalisme enseignant a-t-il « de beaux jours devant lui » ou est-il sur le déclin ? Et peut-on d’ailleurs donner une réponse valable pour la plupart des pays ?

Après avoir analysé ces cas nationaux dans différents continents, il est difficile de faire des affirmations uniques, car la situation du syndicalisme enseignant est très diversifiée. Cependant, il semble que le syndicalisme a un besoin généralisé de renouveau dans son message et ses formes d´organisation (voire de mobilisation) s´il veut avoir une large légitimité, pas seulement parmi les enseignants mais aussi dans la société dans son ensemble.

Une dimension décisive est qu´il doit être attentif aux nouvelles tendances en matière éducative et aux attentes des citoyens, avec une voix publique active et respectée sur la manière de résoudre les nombreux dilemmes contemporains (changement climatique et crise écologique, diversité et cohésion sociale, intelligence artificielle et ses retombées sur le travail et l’apprentissage, etc.) dans le champ de l’éducation. Si le syndicalisme enseignant reste arc-bouté sur une vision traditionnelle de l´éducation, du rôle de l’enseignant et de l’action collective, le double péril de perdre en influence et du déclin institutionnel est très présent.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Sur notre librairie :

N°562 – Profs : exécutants ou concepteurs ?

Dossier coordonné par Sabine Coste et Nicole Priou

Comment les enseignants, individuellement et collectivement, interprètent-ils des textes officiels apparemment intrusifs de manière à stimuler leur créativité ? Comment s’approprient-ils des situations matérielles, organisationnelles, sociales fortement contraignantes ?