Comment embarquer des élèves de cycle 3 dans la littérature ? Dans la Sarthe, un club lecture s’est mué en projet créatif où des élèves de CM1-CM2 deviennent chroniqueurs littéraires. Webradio avec capsules sonores, vidéos, microtrottoirs : les « chroniques littéraires branchées » permettent de redonner le gout de la lecture et de la littérature tout en travaillant l’expression orale et l’éducation aux médias et à l’information.

L’histoire est presque partie d’une boutade : le club lecture proposé aux cycles 3 de notre département, la Sarthe, périclitait. Dans le forum e-primo où les élèves échangeaient sur leurs lectures, on ne trouvait bientôt plus que des « c’était bien » ou des « bof, j’ai pas trop aimé ». Il fallait apporter de la matière : « Ah si on était François Busnel, Augustin Trapenard ! » Notre rire fut suivi d’un « mais oui, allons, faisons cela ! ». Les chroniques littéraires branchées (CLB pour les intimes) étaient nées.

Nous avons embarqué trois classes de CM1-CM2 avec leurs professeurs, dans deux écoles citadines (Le Mans et Coulaines) au public hétérogène. Dans le cadre du projet Nefle que nous avons monté, nous avons acquis des livres, une webradio et une webTV. Alliant EMI (éducation aux médias et à l’information) et français, le projet vise la création d’une communauté de lecture.

Ainsi, tout au long de l’année, les élèves ont créé et partagé des chroniques, au format podcast audio ou vidéo, sur PodEduc ou sur l’ENT (Environnement numérique de travail), chroniques faites pour les autres élèves de l’école, de la maternelle jusqu’à l’élémentaire, pour le collège de secteur… et pour les parents, bien sûr.

Comment permettre aux élèves d’endosser leur costume de lecteur et de futur chroniqueur ? Dès septembre, nous présentons les lectures à venir ; puis nous-mêmes, adultes, chroniquons des ouvrages pour les enfants ; nous organisons des chocolats littéraires pour leur apprendre à écouter ou donner un avis ; nous aiguillons enfin les élèves vers la tenue d’un carnet de lecture personnel.

Nous avons aussi apporté dans notre escarcelle un catalogue de pistes concrètes, sous forme de fiches pratiques (voir ci-dessous). Voici quelques exemples de production :

• une présentation filmée « classique » du livre que l’on feuillette en donnant son avis ;
• une évocation d’un roman en format audio, à deux voix, sous la forme d’un dialogue entre deux lecteurs ;
• une création plastique que l’on filme ;
• une capsule sonore qui évoque l’univers de l’histoire.

Quel que soit le choix de l’élève (travailler seul ou en petit groupe, en audio ou en vidéo), il est sien. Depuis, notre panel s’est enrichi de propositions venues des élèves :

• une chronique « cinq sens » où odeurs, éléments visuels, tactiles, sonores et gustatifs (si, si !) seraient proposés lors d’une rencontre réelle ;
• une chronique intitulée « Comment lire à voix haute pour participer aux Petits Champions de la lecture ? » ;
• un micro-trottoir réalisé par un CM2 auprès d’élèves de maternelle, pour savoir ce qu’ils avaient pensé des lectures offertes par les CM.

Côté professeurs, il s’agit d’imbriquer dans les programmations existantes les séquences pensées autour des CLB, sans ajouter du temps supplémentaire (c’était la crainte de départ, comme le raconte une enseignante de CM1-CM2 dans une interview audio). On peut utiliser par exemple les œuvres programmées en compréhension pour rédiger les premières chroniques. Une chronique bien construite est l’occasion d’évaluer compréhension et production écrite, etc.

Le projet des CLB participe à une belle transformation : celle d’« élèves qui lisent » à des « sujets lecteurs ». Oubliée « la lecture pour de la lecture » ! Les élèves ont eu l’occasion d’appréhender que la littérature ouvre aux mondes, le monde en général et son monde à soi : « Qu’est-ce que j’aime lire ? Qu’est-ce que j’ai envie d’explorer ? Qu’est-ce que j’ai envie de dire sur ce livre ? Quel lecteur je suis ? »

Les élèves avaient libre choix des livres à chroniquer. Beaucoup ont choisi un coup de cœur dans la sélection des Incos à laquelle ils sont inscrits ; d’autres, un des livres faisant partie des séances de compréhension proposées par les enseignants ; enfin, certains ont chroniqué un ouvrage « de chez eux », pour reprendre leur expression.

Pour réussir à concevoir une chronique, il faut avoir lu, bien évidemment, mais pas seulement… Il faut prélever des informations puis inférer, apprécier et être capable de donner son interprétation ; il faut s’approprier le média choisi pour partager ce que l’on a envie de dire sur sa lecture. À plusieurs, il faut décider, brouillonner, faire des écrits de travail, tisser le conducteur, argumenter et enfin s’exprimer de façon la plus claire possible. On sait à quel point c’est difficile.

Le projet permet de faire saisir aux élèves que, derrière les tâches scolaires, il y a des enjeux d’apprentissage. Créer des chroniques littéraires branchées, c’est travailler le dire-lire-écrire-comprendre dans sa globalité. De plus, les élèves font une découverte de taille : l’oral se prépare… à l’écrit ! Ils prennent conscience aussi que l’écoute est primordiale et que collaborer est un formidable levier.

Qu’en est-il de l’éducation aux médias ? Même si la présentation aux élèves du matériel d’enregistrement est essentielle et produit toujours son petit effet, l’enjeu de l’EMI ne se limite pas à la prise en main de l’outil. Un rétroplanning a balisé les étapes clés à franchir. Il faut commencer par questionner avec la classe la notion de média.

Peut émerger alors une définition commune : un média est un moyen de diffuser et communiquer l’information, qu’il soit traditionnel (presse écrite, radio, télévision) ou numérique (site web, réseaux sociaux). La première édition des CLB s’est concentrée principalement sur le média radiophonique, tout en abordant les spécificités des médias numériques.

En première période, les élèves ont commencé par une exploration approfondie de la radio. En s’immergeant dans cet univers, les élèves ont appris à aiguiser leurs capacités d’analyse grâce à l’écoute de formats variés : chroniques, billet d’humeur, interview. Cette exploration a rendu explicites les codes du langage radiophonique et a permis de s’accorder sur les critères de réalisation (durée, ton, structure d’une émission).

Parallèlement, les séances de prise en main du matériel contribuent à la compréhension des bases de la prise de son et des problématiques liées à la production médiatique. Les élèves ont saisi (et appris) la nécessité de rédiger un conducteur d’émission pour planifier le contenu de leur chronique.

La rencontre avec des journalistes partenaires, organisée à ce moment, leur a permis de bénéficier de conseils sur l’écriture journalistique et l’éthique des médias. Un enregistrement en direct, dans l’auditorium de la médiathèque Aragon de l’agglomération du Mans, est venu couronner le tout.

Les CLB interrogent l’acte de lecture et le sujet lecteur. Grâce à ce projet annuel, les élèves ont pu construire un triple parcours : leur parcours de lecteur autonome, leur parcours culturel littéraire et leur parcours citoyen – notamment numérique. Les CLB ont pris vie au sein de communautés plurielles : communauté de lecture, communauté de partage et communauté multipartenariale.

Notre expérimentation a dépassé le stade de la boutade et les élèves ont su apporter la consistance qu’on recherchait. L’aventure des CLB, fructueuse et heureuse, se poursuit cette année avec de nouvelles classes.

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