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« Réussir l’école du socle » est sorti !

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Présentation du livre par Yannick Mével

 

Les sculpteurs sur ballons. Trois expirations, quatre torsions, un peu d’air, beaucoup d’imagination, ils vous fabriquent n’importe quel animal, léger et coloré. Magique ! Céline Walkowiak et Francis Blanquart le font avec le socle commun. De cet agglomérat de connaissances et de compétences, fruit des compromis entre des rédacteurs aux conceptions incompatibles, ces auteurs font la matrice vivante d’une révolution pédagogique.

Amateurs de réflexion théorique et de grand style, passez votre chemin ! Ici on agit.

Ce sont deux enseignants de lettres et de technologie au collège de Loos-en-Gohelle. Ils ont une idée par jour. Au moins. Leur livre en témoigne. Ouvrez-le à n’importe quelle page, vous trouverez une frise chronologique pendue à cinq fils dans le hall du collège ; une heure d’aide externalisée transformée en heure de débriefing, une grille d’évaluation de l’oral, un planning annuel de concertation autour de la mise en œuvre du socle, de ces idées dont on dit « c’est simple, il suffisait d’y penser ».

Ce sont les champions du recyclage. Surtout ne pas gâcher. Un principe qu’ils énoncent ainsi : « S’il ne reste, en définitive, qu’un bilan certificatif à la fin de la scolarité obligatoire sur des compétences que l’on n’aura pas explicitement construites avec les élèves, c’est qu’on sera passé à côté de quelque chose, d’une occasion unique d’apprendre à travailler ensemble dans les établissements, pour fédérer nos expertises professionnelles autour de l’acquisition des connaissances et des compétences de tous les élèves. »

Heure de vie de classe, conseil de classe, conseil pédagogique, PPRE (programme personnalisé de réussite éducative), projet d’établissement, histoire des arts, journées de prérentrée, de solidarité, etc. Sans chercher les effets, dans une écriture de l’urgence, ils recyclent la pédagogie du XXe siècle : éducabilité, travail de groupe, projet, tâche complexe, métacognition, évaluation formative et formatrice, etc. « Tout leur fait ventre », dit le proverbe provençal.

Les premiers chapitres abordent la dimension institutionnelle (établissement, formation, évaluation). Conclusion : rien n’est possible sans une mobilisation collective des enseignants. Il ne s’agit plus de se répartir le travail, mais de travailler ensemble à la conception de situations d’apprentissage qui mobilisent chaque discipline dans sa spécificité et construisent chez les élèves les compétences « de l’entredeux disciplinaire ». Celles-ci sont questionnées ensuite : maitrise de la langue, contenus disciplinaires, autonomie. Préparer l’oral d’histoire des arts, un projet théâtre, une étude sur les migrants clandestins, autant entreprendre un dialogue exigeant entre les disciplines. Les contenus du socle servent à questionner, à fixer des objectifs transversaux, à donner du sens.

Enfin, l’ouvrage aborde le travail des élèves. La démarche est la même : en prenant au sérieux les mots (attitude, stratégie), les auteurs donnent vie au socle qui devient le pivot de projets collectifs et de prise en charge des élèves en difficulté.

Le dernier chapitre passe du dialogue des disciplines à celui des acteurs : élèves, parents, enseignants des écoles et des lycées, pour rendre le socle véritablement « commun », c’est-à-dire partagé. C’est le message du livre : emparons-nous du socle dans ce qu’il recèle d’opacité, d’ambigüité, de contradictions. Faisons de ces trous noirs des attracteurs étranges, des objets du débat. Là où d’autres dénoncent les incohérences, construisent l’embrouille pour éviter de se mettre au travail, posons la seule question qui vaille : qu’est-ce qu’on fait avec ça ?

Rien d’étonnant dans cette optique, lorsqu’ils quittent leur collège quelques jours dans l’année pour contribuer à la formation continue dans les établissements de l’académie, que leur premier souci soit de tendre l’oreille aux doléances des enseignants pour leur permettre d’élaborer leurs propres solutions.

Avec un peu de mauvaise volonté, il n’est pas difficile de faire du socle commun et du livret de compétences d’excellents instruments de torture des élèves et des enseignants. Saluons donc le livre de Céline Walkowiak et Francis Blanquart qui montre qu’avec de la bonne volonté, il est aussi possible d’en faire de formidables leviers de changement des pratiques, d’accompagnement des apprentissages et de développement du plaisir d’apprendre et d’enseigner ensemble !

Yannick Mével


 

Questions à Céline Walkowiak et Francis Blanquart

 

Vous n’en feriez pas un petit peu trop avec le socle commun ? Après tout, ce qui compte dans votre livre, c’est le dialogue des disciplines, non ?

walkowiak.jpgC’est vrai que si on nous demande de ne garder qu’une chose dans l’établissement, nous choisirons le dialogue des disciplines. C’est lui qui a dynamisé nos enseignements, la relation professionnelle entre collègues et la relation pédagogique avec les élèves. Mais l’instauration de ce dialogue a été possible grâce aux axes transversaux du socle commun et au changement de pratiques induit par l’approche par compétences. Les deux sont donc liés pour nous.

Le socle commun nous a obligés à tenir compte de la cohérence des différents programmes disciplinaires, en amont de nos apprentissages, et de ne pas en attendre une hypothétique liaison spontanée dans la tête des élèves. C’est le problème du transfert de compétences, ou de la mobilisation des ressources d’une discipline à une autre, qui a guidé en grande partie notre démarche collective de travail. Or, c’est bien le socle commun et la reliance disciplinaire qui en découle qui va permettre le changement de pratique pédagogique attendu. Ce qui est commun pour nous, c’est à la fois un bagage indispensable pour tous les élèves et des pratiques professionnelles partagées par toute l’équipe éducative.

Une pratique aussi complexe que la vôtre, issue d’une histoire dont vous montrez qu’elle n’a rien de linéaire, est-elle transférable dans d’autres établissements ?

blanquart.jpgNous avons accompagné beaucoup d’établissements de l’académie de Lille pour la mise en œuvre du socle commun. Nous les aidons à enclencher une réflexion collégiale sur les difficultés transversales des élèves, nichées dans l’entredeux disciplinaire. Nous ouvrons des réflexions sur l’acte d’évaluation ou sur la construction de l’autonomie des élèves. Nous accompagnons les équipes dans la création de projets interdisciplinaires qui vont permettre d’évaluer en situation les compétences travaillées. Nous privilégions les tâches complexes interdisciplinaires, pour obliger les équipes à croiser les regards et à prendre en charge la mobilisation des ressources qu’ils ont construites. Nous les aidons à évaluer autrement les acquis de leurs élèves, de manière à compléter l’évaluation traditionnelle qui en est faite. Ce n’est pas nous qui mettons le socle en place à la place des équipes : nous leur indiquons les pistes de réflexion collégiale à mener, pour intégrer les nouveaux enjeux du socle dans la culture de l’établissement.

Deux entrées sont possibles dans notre démarche : actionner une multitude de leviers existants ou accompagner une équipe d’enseignants volontaires dans une classe pilote, qui mette en œuvre les pratiques pédagogiques induites par l’approche par compétences.

Les modifications annoncées du socle commun dans la loi d’orientation de 2012 vont-elles rendre votre travail dépassé avant même qu’il soit diffusé ?

Les modifications annoncées portent pour l’instant sur la validation des domaines, et donnent ainsi aux items un statut de contenu d’apprentissage. L’approche par compétences n’est pas remise en question. C’est bien donc le même changement de paradigme qui est attendu, celui qui enclenche un changement réel dans les pratiques de classe et d’établissement, ainsi qu’un décloisonnement dans le temps pour les liaisons intercycles et dans l’espace pour les disciplines. Et ce qui compte pour nous, c’est que l’esprit du socle commun ne soit pas modifié.

Propos recueillis par Yannick Mével