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L’école des années noires

L’ouvrage est sous-titré : « Une histoire du primaire en temps de guerre », mais à vrai dire la partie consacrée aux années Vichy, donc les vraies « années noires » ne concerne que moins de la moitié du livre. On aurait aimé en savoir plus sur les politiques éducatives du régime de Pétain, avec les variations selon les ministres et les périodes (Carcopino ou Abel Bonnard, ce n’était pas forcément la même chose, au-delà de valeurs communes détestables), , sur ce qui se passait dans les classes sur le plan pédagogique, à travers des témoignages. Peut-être les documents manquent-ils, mais on peut ressentir quelque frustration du coup. L’auteur reconnait par exemple la difficulté à répondre à la question : « l’école a-t-elle protégé les enfants juifs ? » quand les archives semblent surtout garder des traces de sauvetages ou de protection (page 159-162).

En fait, ce qui frappe est sans doute la continuité de l’école, au-delà des changements de régime. Pour les autorités locales, il s’agissait, depuis la déclaration de guerre jusqu’aux lendemains de la Libération de résoudre d’immenses problèmes matériels : manque de moyens, de personnel (les mobilisés d’abord, puis les prisonniers de guerre), gestion devant prendre en compte les différences entre zone occupée et zone dite improprement « libre ». Une phrase d’un inspecteur primaire en juillet 40 est significative : « l’heure n’était pas propice aux initiatives pédagogiques particulières ; mais l’école a voulu faire sienne la devise des Pays-Bas : Je maintiendrai. Elle a maintenu. » Et même si beaucoup de rapports tendent à montrer que l’administration « maitrise la situation », des inquiétudes apparaissent : crise du recrutement, baisse de niveau des maîtres, délabrement de certaines écoles en dehors des grandes villes. On note aussi des innovations, curieusement dans la continuité des réformes de Jean Zay (ce que ce dernier souligne dans son magnifique ouvrage de captivité, Souvenirs et solitude), ainsi l’introduction d’activités sportives et manuelles, qui restent cependant peu pratiquées (pages 99 à 104).

Comme nous l’avons dit plus haut, une grande partie du livre est consacré au « rétablissement de l’école républicaine » après la Libération, même si l’auteur montre souvent la continuité des dix années étudiées(voir par exemple les pages consacrées à la naissance d’une inspection médicale scolaire, pages 251 à 258.) Il faut désormais réparer les dégâts en même temps que restaurer les valeurs républicaines. « Défi dantesque de la reconstruction des écoles », souci pour la santé des enfants souvent altérée par des années de privation, et toujours ce souci constant que la « machine » fonctionne. Une inspectrice note qu’il s’agit aussi de rétablir une certaine sérénité chez les enfants (« détruire dans l’esprit de l’enfant la certitude que la brutalité, le lucre, la rapine gouvernent le monde. »)

Un dernier chapitre aborde la question d’une école « nouvelle » qui préparerait mieux l’avenir. Question qui intéresse tout particulièrement notre revue, née d’une aspiration au changement, même si en l’occurrence il concernait le second degré, qui n’est pas abordé dans ce livre. Un sous-chapitre s’intitule significativement « Le consensus consumé sur les braises de la guerre scolaire » et un autre « Les hussards broient du noir ». Autant de signes d’un découragement des forces innovantes. Pourtant, avec le rapport Langevin-Wallon, des « appétits réformistes » s’expriment, parfois de façon audacieuse : un enseignant plaide pour « qu’un agrégé [ait] la possibilité de se consacrer, s’il le désirait, au développement  de l’enseignement du premier degré ». Mais le professeur Lablénie doit constater avec amertume : « nous avions espéré une révolution, c’est une restauration qu’on nous a peu à peu imposée. La grande rénovation de l’enseignement que nous préconisions s’est enlisée dans des réformes de mandarin. »

Dans sa conclusion, l’enseignant d’Histoire qu’est Matthieu Devigne, note ceci  à propos de ses consultations d’archives et qui résume au fond les grandes lignes du livre : « À rebours d’une histoire tragique, épique et exaltée de la guerre, je fus le plus souvent confronté à la banalité d’un quotidien dont la rudesse de l’époque a teinté l’ordinaire. »

Si on peut regretter parfois la dispersion et un certain désordre dans l’exposé des différents aspects d’une période peut-être trop vaste, on trouvera un grand intérêt à consulter un ouvrage qui s’appuie sur des réalités et non sur une construction mythologique qui encenserait l’école « résistante » ou au contraire la vouerait aux gémonies pour sa soumission au nouvel ordre vichyssois. On a bien besoin de ce travail patient d’archiviste pour mieux connaitre l’histoire de notre école

Jean-Michel Zakhartchouk