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Déconstruire le genre, éduquer à la sexualité

Parler de sexualité à l’école semble plus que jamais un impératif. Pourtant, plus de vingt ans après la promulgation de la loi de 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, qui rend obligatoire l’organisation d’au moins trois séances annuelles d’information et d’éducation à la sexualité pour tous les élèves, de l’école élémentaire au lycée, la France peine à mettre en œuvre une politique ambitieuse sur ce thème.

Depuis une circulaire de 2018 de l’Éducation nationale sur l’éducation à la sexualité (n° 2018-111), la sexualité doit être abordée auprès des élèves à partir de trois champs de connaissances et de compétences (biologique, psychoémotionnel et juridique), avec des contenus adaptés selon l’âge, et dans une démarche éducative transversale et pluridisciplinaire. Aujourd’hui, ce thème est principalement évoqué sous l’angle des risques sanitaires et de grossesses non désirées

Questions essentielles

D’autres questions, pourtant essentielles (plaisir sexuel, violences sexistes et sexuelles, consentement, viol), sont donc peu abordées. En effet, les réactions anxiogènes des familles, des enseignants, des médias et des gouvernements à propos de la sexualité juvénile, qualifiées de « panique morale » par le sociologue Michel Bozon1, ont souvent eu pour conséquence de réduire l’éducation à la sexualité à des séquences de prévention basées généralement sur les craintes des adultes plus que sur le questionnement des élèves. Cette résistance contribue « à stigmatiser les comportements, à construire la période de la jeunesse sexuelle comme une période à “risque” dont seuls les adultes auraient les clés pour “aider” ces jeunes qui seraient en péril »2. Dans ce contexte, comment assumer et assurer une éducation à la sexualité qui se donnerait pour objectif de fournir des repères qui feraient consensus au sein de la société tout en répondant aux besoins des jeunes ?

Penser cette éducation sous l’angle du concept scientifique et politique de genre, qui désigne les processus sociaux, culturels, historiques et psychiques par lesquels les identités sexuelles et les rapports de domination se construisent, permettrait de décoder la réalité des rapports sociaux entre femmes et hommes, de mieux en comprendre le caractère binaire et hiérarchisé, qui semble déterminer la place et le rôle de chacun dans notre société. Pour l’historienne américaine Joan Scott, le genre est utilisé pour normaliser, c’est-à-dire rendre « naturelle » cette classification des individus en deux groupes en fonction d’une différence anatomique et physiologique3.

Prendre conscience, en tant qu’adulte ou élève, des inégalités et des discriminations entre filles et garçons, y compris à l’école, favoriserait une réflexion critique sur l’imposition des normes liées au genre et la façon dont les individus intériorisent et reproduisent préjugés, attentes et stéréotypes sexués et sexistes. Ce travail de déconstruction semble encore trop négligé au regard des enjeux d’épanouissement ou d’orientation scolaire et professionnelle des élèves. La sociologue Marie Duru-Bellat4 interpelle : « comment se construire, à ces âges de définition de soi, quand le système de genre durcit toute différence, canalise toute expression personnelle et justifie par l’invocation de la nature toute contrainte sur les choix les plus intimes ? »

Cette autre éducation à la sexualité, qui ne concerne pas uniquement les jeunes, pourrait par exemple prendre appui sur la définition des droits sexuels, proclamés par l’Organisation mondiale de la santé en 2006, et être reliée aux valeurs démocratiques du vivre-ensemble et d’égalité5. Mais sa faisabilité soulève plusieurs questions, dont celle de la capacité des adultes à ne pas renvoyer aux seules normes de l’hétéronormativité et de la conjugalité, et donc à tenir compte de la diversité et de la complexité des orientations personnelles, et de ce qu’elles impliquent pour les interactions sexuelles entre partenaires.

Car « s’attaquer à tout ce qui fonde les stéréotypes, à la croyance d’une différence fondamentale basée sur le sexe, à la rigidité des normes de genre, à la complémentarité des sexes qui sert à conforter la hiérarchie entre les femmes et les hommes, c’est ça, éduquer à la sexualité »6.

Marie Gaussel
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)

Article paru dans le n° 577 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

Que nous apportent les méthodes ?

Coordonné par Céline Walkowiak et Grégory Delboé
Dans quelle mesure la méthode s’impose-t-elle pour apprendre ou au contraire constitue-t-elle un obstacle voire une impasse ? Les méthodes, faut-il les transmettre ou les laisser se construire ? Et finalement, une éducation qui vise l’émancipation des sujets peut-elle se priver de méthodes ?


Notes
  1. Michel Bozon, « Autonomie sexuelle des jeunes et panique morale des adultes », Agora débats/jeunesses, 60 (1), 2012, p. 121-134.
  2. Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux, « Sexualité juvénile et rapports de pouvoir : réflexions sur les conditions d’une éducation à la sexualité », Mouvements, 99 (3), 2019, p. 85‑95.
  3. Joan W. Scott, « L’énigme de l’égalité », Cahiers du Genre, 33 (2), 2002, p. 17-41.
  4. Marie Duru-Bellat, « Les adolescentes face aux contraintes du système de genre », Agora débats/jeunesses, 64 (2), 2013, p. 91-103.
  5. Maryvonne Charmillot, Caroline Jacot-Descombes et Agnès Földhazi, Droits humains et éducation sexuelle : Contexte, perceptions et pratiques, Éditions IES, 2021. Voir : https://books.openedition.org/ies/5000.
  6.  Marie Gaussel,« Le sexe, le genre et l’égalité (à l’école) », Dossiers de veille de l’IFE n° 140, ENS de Lyon, 2022. Voir : http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA/detailsDossier.php?parent=accueil&dossier=140&lang=fr.