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Ateliers d’écriture : des bulles de bonheur partagé

Apprivoiser les mots, les textes, emprunter la passerelle de l’écriture pour explorer la lecture, toutes écoutilles ouvertes… Delphine Regnard voit dans les ateliers d’écriture « un déclencheur pour que toute personne découvre et se mette en chemin, ouvre un sillon ». Rencontre avec une semeuse de mots.


Alors enseignante de lettres, Delphine Regnard découvre les ateliers d’écriture grâce à trois animatrices, également écrivaines. « Elles m’ont ouvert un autre continent. » En pratiquant, elle mesure l’écart entre des exercices d’écriture donnés aux élèves, rendus factices par les intentions fixées, et l’écriture en atelier où « il n’y a pas d’autre intention que de chercher le texte que l’on a sous les doigts à partir d’une consigne ». Elle devine une autre façon de partir à la rencontre des auteurs et de leurs écrits. « Je suis arrivée au métier de professeure de lettres par la lecture plutôt que par l’écriture, dans l’idée de partager le bonheur de lire avec les élèves. »

Elle envisageait la Littérature avec ce L majuscule qui la confinait presque dans un musée. La découverte pour le plaisir des ateliers change sa perception. Pour rédiger, elle « pique des trucs » aux auteurs, une structure syntaxique, des « à la façon de » Perec ou Cendrars, se réjouissant du bonheur de la trouvaille. Elle fait quelques essais avec ses élèves avec l’idée qu’« en faisant écrire, on fait mieux lire ou différemment ».

Et puis, elle change de métier. Après quelques années au ministère de l’Éducation nationale, elle intègre en septembre 2019 la Mission laïque française (MLF), dans un poste où elle est chargée d’accompagner les établissements du second degré sur le volet pédagogique, en lien avec la mise en œuvre des réformes ou pour des projets. Les écoles, qui ressortent du privé, sont réparties un peu partout dans le monde, dont une à Wuhan, fermée dès janvier sous le coup du Covid. La pandémie se propage, avec dans son sillage des fermetures d’établissements qui se multiplient. Les équipes locales doivent faire face, organiser les cours à distance, maintenir un bon niveau de qualité pédagogique avec l’enjeu vital de ne pas voir les effectifs baisser à la rentrée suivante. Elles sont isolées, avec parfois un seul établissement dans le pays. Faire du lien entre elles est nécessaire.

Tisser des liens en visio et avec l’écriture

Delphine Regnard utilise le forum pédagogique auquel tous les personnels de la MLF ont accès. Tous les jours, celles et ceux qui le souhaitent se retrouvent en visio sur une thématique donnée. Elle constate à la fois « une grande tension individuelle et un grand bonheur de se rencontrer ». De jolis moments partagés tissent les liens. « Les visios ont lieu à 19 h 30. Un soir, lors du premier confinement, j’ai prévenu que j’allais m’absenter à 20 heures pour applaudir les soignants. Les participants ont applaudi aussi depuis le Liban, l’Égypte et d’autres pays. » Elle pense alors aux ateliers d’écriture, à la récréation et au partage qu’ils pourraient offrir en s’immergeant dans la création. Elle lance l’idée avec une invitation. « Les ateliers sont conçus comme des moments où l’on va écrire et presque plus pour constituer un groupe bienveillant pour des instants de plaisir partagé. »

L’idée remporte l’adhésion, à tel point que deux sessions sont organisées par semaine pour accueillir toutes les personnes participantes. Les groupes sont des entités parfois éphémères où l’on écrit et où l’on écoute les écrits des autres. Au début de chaque atelier, Delphine Regnard donne un thème en ayant « l’obsession d’avoir des consignes qui ne tournent pas vers la mort qui rôde ». Les effets dévastateurs de la pandémie se vivent au sein de l’école et aux alentours, mettant sous pression les personnels et, en premier lieu, les chefs d’établissement. L’atelier est un temps où l’on écrit pour s’évader.

Les ateliers d’écriture vus par Delphine Regnard en sketchnote.

Les participants vivent dans des pays différents, et cet accent multiculturel lui permet de découvrir l’étranger depuis son bureau parisien. Certains sont originaires de l’endroit où ils enseignent, d’autres sont des expatriés. « Des gens ont souffert, ceux pour qui partir à l’étranger était un projet de vie et qui se sont retrouvés seuls, isolés, confinés loin de leurs amis. » Le rendez-vous sort de cet isolement, rapproche et crée des moments forts. La consigne « raconte ton quotidien à la Perec » a donné naissance à des textes drôles et émouvants, et même à un récit écrit en arabe. Les ateliers continuent, car l’envie d’écrire est encore vive, nécessaire échappatoire dans une période incertaine et anxiogène. Un atelier est organisé dans le cadre du réseau de la MLF, l’autre au sein d’un groupe privé dont les membres sont choisis par cooptation avec « des profs de français, des profs doc, mais pas seulement ».

Une classe culturelle numérique

Elle a aussi en tête l’idée de « vivre quelque chose qui serve de protocole à faire vivre auprès des équipes et des élèves ». Elle s’est réjouie de voir des enseignants libanais adapter les consignes pour proposer un atelier d’écriture à leurs élèves. L’an prochain, une classe culturelle numérique va s’ouvrir avec une autrice qui déploiera le dispositif dans les classes des établissements volontaires. Delphine Regnard poursuivra ses animations auprès des adultes. Elle aime par-dessus tout être en coulisse, scénariser les consignes, puis voir les participants s’en emparer, se réjouir à leur tour de s’immerger dans l’écriture et de partager ensuite le texte. « Je veille aux conditions pour que les personnes se sentent sécurisées avec la possibilité de lire leur texte sans barrière, avec le plaisir de l’offrir. Ce n’est pas tant le texte d’une personne qui est beau mais le puzzle. C’est la collection des textes qui fait du bien. » Les thématiques sont variées : écrire avec des mots qui ont un « e » et un « i », écrire le silence ou encore retranscrire une recette avec un algorithme défaillant. « On arrive vite sur des trucs métaphoriques, délirants. »

Sur n’importe quel thème, l’humain est toujours là, et l’intime n’est jamais loin. « On le découvre en l’écrivant. On comprend mieux Flaubert, ce qu’il voulait faire avec le réalisme. » Les auteurs aussi sont proches, avec leur manière d’aborder la littérature, leurs interrogations, leur style où l’on pioche des idées et des tournures de phrase. « On ose toucher à la littérature comme on ose faire de l’aquarelle alors qu’on ne se sentait pas légitime de le faire » Et ce bonheur-là, d’avoir franchi la frontière invisible, de transgresser le sentiment d’un écrit réservé à d’autres mais pas à soi, se partage et se propage dans les ateliers, se vit et rejaillit comme une bulle de bienêtre.

Monique Royer


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N° 518 Enseigner, former : écrire

On n’y consacre guère d’attention. On se laisse bien souvent gagner par les facilités des formules toutes faites, ou encore le jargon du langage administratif. Regardons alors de plus près nos pratiques d’écriture et tentons d’en faire des opportunités de développement professionnel.