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Apprendre pour enseigner, enseigner pour apprendre

La vocation lui est venue tôt, sans trop savoir ce qu’il souhaitait enseigner. Au primaire déjà, il découpait les cahiers en deux pour fabriquer des livres d’histoire-géographie. Il aimait apprendre mais se heurtait à l’absence de réponses, surtout à l’Université. «Je questionnais beaucoup le pourquoi.» Alors, il a pris son temps avant de devenir enseignant. Il a été surveillant en établissement de réseau d’éducation populaire, a même remplacé une professeure pendant son congé maternité. « Cela m’a mis le pied à l’étrier, convaincu que c’était ce métier que je voulais faire.» Il a travaillé plus de quinze ans dans le secteur de l’animation comme animateur puis directeur, en France et à l’étranger, développant ainsi ses connaissances sur l’enfance et l’adolescence.

Il réussit son CAPES en candidat libre. Avant de se lancer dans ce métier qu’il lui savait destiné, il fait un dernier détour d’un an en suivant un DEA d’épistémologie et d’histoire des sciences à Nantes. «C’était une année pour trouver des réponses au pourquoi en questionnant l’origine des connaissances scientifiques.» Il apprécie la liberté, les activités de recherche, l’exploration bibliographique à la BNF (Bibliothèque nationale de France) ou aux archives de l’Académie des sciences. Il se sent prêt.

Des expériences différentes

Il effectue son année de stage au Mans, puis prend son premier poste de titulaire dans un collège du centre ville de Saint-Germain-en-Laye, banlieue plutôt huppée de la région parisienne. Le contexte était confortable avec des élèves qui semblaient obtenir de bonnes notes sans que l’enseignant ait à agir. Il s’interroge sur son rôle. «J’ai cherché en quoi je pouvais leur être utile, puisqu’ils n’avaient pas besoin de moi pour être performants.» Il explore la pédagogie de projet, les travaux de groupe comme support pour développer l’empathie, l’efficacité collective et développer les compétences psychosociales.

Il poursuit sa route dans l’académie d’Orléans-Tours, en milieu rural, avec un poste partagé entre un collège et un lycée éloignés, puis est nommé dans un collège de l’éducation prioritaire. Il engrange sur ce chemin des expériences différentes avec des publics variés. Chaque fois, il initie des travaux de groupe sans encore aborder la coopération. Son appétit pédagogique grandit, et son envie d’aller plus loin trouve un écho avec l’ouverture d’un poste à profil à Nantes.

Un projet et des compétences

Le collège Georges-de-la-Tour, en éducation prioritaire, recherche un enseignant pour initier un projet « Main à la Pâte » et travailler sur une approche par compétences. La situation est particulière. L’établissement est amené à fermer et céder sa place dans une poignée d’années au collège Sophie-Germain flambant neuf. «Cela m’a énormément plu, renforcé ma conviction qu’enseigner a du sens pour moi, là où je me sens le plus utile et dans un projet défini.»

D’interdisciplinaire, avec une juxtaposition des disciplines, le projet évolue progressivement vers un enseignement intégré des sciences en 6e et 5e tel que préconisé par l’Académie des sciences, puis vers un enseignement intégré des sciences, technologie et mathématiques (EISTM) cette année. Les disciplines scientifiques et les mathématiques sont enseignées par un même professeur, avec comme préalable un travail en commun pour cadrer les enseignements et de la coformation.

La coopération a commencé entre enseignants autour de la question « comment on fait ensemble ? » avant d’irriguer la pédagogie. «Pour les élèves en éducation prioritaire, ça a du sens. Ils sont à priori fâchés avec les maths, là l’étiquette est moins bloquante.» L’enseignant a une même classe sept à huit heures par semaine, et il peut par ce biais imprimer une façon de faire fonctionner le groupe en utilisant la pédagogie coopérative. Les élèves, eux, sont confrontés à une rupture moindre avec le fonctionnement de l’école élémentaire. Le dynamisme du collège, dont le projet sciences est un élément moteur, encourage l’arrivée de publics mixtes socialement. «C’est en se donnant une contrainte féconde que l’on parvient à dépasser certaines choses. On choisit tous cette contrainte et on va devoir s’approprier les outils à enseigner, la logique et définir le commun. D’habitude, on passe très peu de temps à montrer ce qui est commun entre les disciplines avant ce qui est différent.»

Classes coopératives

Tout fonctionne bien jusqu’à ce qu’une conjonction de circonstances néfastes (maladie d’enseignants et non remplacements, départ du principal) stoppe l’élan et amène une grande partie des familles les plus aisées à retirer leurs enfants. Stéphane Gort et quelques collègues s’interrogent pour trouver une solution pédagogique. Le projet sciences fonctionne bien, pourquoi ne pas aller plus loin et élargir la coopération à d’autres disciplines ? L’équipe propose la mise en place de 6e coopérantes.

Expérimenter à plusieurs

Expérimenter à plusieurs


À nouveau, une dynamique opère, s’impose et donne naissance à d’autres dispositifs, comme des heures d’accompagnement multiâges en cycle 4 regroupant des élèves de niveau différent par groupe de douze. Le groupe est suivi par le même enseignant référent pendant trois ans, avec des séances hebdomadaires de deux heures dégagées par la marge d’autonomie de l’établissement et des dons disciplinaires.

L’accompagnement porte sur le comment apprendre, la coopération ou encore l’orientation. L’entraide joue à plein entre les élèves, une entraide protéiforme, surprenante. «Elle existe dans les deux sens, pas seulement une aide des grands envers les petits. C’est intéressant en particulier pour les élèves qui sont précoces dans un domaine et fragiles dans un autre. C’est aussi plus naturel, les élèves ne se regroupant pas nécessairement par classe d’âge en dehors des activités scolaires.»

Sylvain Connac, chercheur en sciences de l’éducation, est venu observer, former pendant une journée et accompagner la démarche. Jean-Michel Zakhartchouk a aussi amené son éclairage. La coopération est inscrite dans le projet d’établissement. La structure est solide portée par un collectif d’enseignants qui n’exclut pas les méthodes pédagogiques diversifiées et même classiques, laissant ouvertes les portes et les discussions aux professeurs pour qui la transmission reste le point d’orgue de leur métier.

Un public mixte

La mixité des publics est à nouveau de mise avec des familles qui choisissent d’inscrire leurs enfants dans un collège REP+ avec dérogation. Selon les années, 35 à 50% des collégiens sont extérieurs au quartier. «Le collège est attractif pour les familles qui recherchent des pédagogies diverses. Nous avons par exemple des enfants qui n’étaient pas scolarisés avant la 6e.» La relation avec les parents est aussi privilégiée avec des réunions quatre à cinq fois par an avec l’enseignant référent permettant des contacts individuels pour faire le point côté école et côté famille.

Les contacts en ont été facilités pendant le confinement avec des liens déjà noués et une connaissance des éventuelles difficultés matérielles ou sociales pour suivre dans de bonnes conditions l’école à la maison. L’entraide initiée dans les groupes d’accompagnement personnalisé a joué aussi un rôle important.

Les résultats se mesurent également avec l’augmentation de 15 % du taux de réussite au brevet pour les premières cohortes ayant goûté à la 6e coopérante. De quoi essaimer au sein de l’établissement et ailleurs. Stéphane Gort intervient dans des formations académiques sur le thème de « apprendre à coopérer, coopérer pour apprendre » et constate l’émergence de micro-projets, «un mouvement rhizomique» avec parfois des difficultés à entraîner un collectif dans l’initiative. Or, le collectif est indispensable. «Tant qu’on est sur des pratiques individuelles, on peut faire des choses bien mais avec des effets limités. En collectif, on définit ensemble l’étendue de la liberté pédagogique, les objectifs et on choisit les moyens. On partage le projet tout en ayant des pratiques différentes.» La cohérence se vit et se lit par les élèves aussi.

La coopération pour apprendre plutôt que réussir

Pour lui, l’enjeu de la coopération est avant tout cognitif «Coopérer pour faire mieux apprendre les élèves, sortir du moule gagnant/perdant de l’éducation prioritaire où la réussite est perçue avant tout comme individuelle et où réussir prime sur apprendre.» Les effets bénéfiques sur le climat scolaire par exemple sont collatéraux. Il voit dans l’aspect collectif, coopératif, au sein de l’équipe pédagogique, l’essence de la réussite d’un projet «qui reflète le principe de réciprocité, base de la coopération. Je ne suis jamais seul. Si je ne suis pas là, si je n’y arrive plus, quelqu’un compensera et je ferai de même par la suite. Il y a une confiance réciproque.»

Lui qui ne s’est jamais senti à l’aise dans un moule, qui dit «si je n’apprends plus, je ne pourrai plus enseigner», enrichit ses pratiques et sa réflexion pédagogique dans l’évolution constante d’un projet qui a pris le chemin coopératif. Il le fait auprès de ses collègues mais aussi en regardant ailleurs et dans un compagnonnage avec la recherche. «J’ai changé ma façon d’appréhender les choses entre le moment où je m’appuyais sur ce que je voyais, sur mes erreurs, et le moment où j’ai élargi mon spectre de questionnements en regardant ce qu’il se passe ailleurs, du côté de la recherche et avec l’accompagnement d’intervenants pour découvrir que mes questionnements n’étaient pas que les miens, qu’ils étaient communs et que nous étions une multitude pour y réfléchir, élaborer des propositions.» Apprendre pour enseigner, enseigner pour apprendre, telle pourrait être sa devise.

Monique Royer


Pour en savoir plus:
Une vidéo sur les classes coopérantes du collège Sophie-Germain sur le site de Canopé