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Marie-Christine Blandin : « Si déjà on appliquait à la lettre les pépites qui sont dans la loi ! »

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Photographie : ©Jean Luc Cornu

Marie-Christine Blandin est sénatrice et très investie dans les questions d’éducation. Lors de l’examen par le Parlement du projet de loi de refondation de l’école, elle était présidente de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, aux premières loges, donc, pour pousser le texte un peu plus loin que prévu par le Gouvernement. Entretien avec une militante affichée de l’école.

Vous êtes très investie au Sénat sur les questions d’éducation. Cela tient-il seulement au fait que vous avez été enseignante auparavant ?

Cela n’a pas grand-chose à voir. Mon parcours professionnel avant d’être élue m’a apporté de l’expertise d’usage dans mon traitement des sujets d’éducation en matière de politiques publiques, au Sénat comme à la région Nord-Pas-de-Calais, mais ce n’est pas une clé de motivation pour me concentrer sur ces sujets. Cette expertise d’usage ne porte pas tant sur l’organisation du système éducatif en France, car j’enseignais dans un grade qui n’existe plus et y étais minoritaire ! Il s’agit davantage de mon intime conviction à priori et à postériori de l’importance du désir d’apprendre dans les acquisitions et du travail en équipe des élèves (et des enseignants), pour que tout le monde trouve son chemin pour apprendre. Je m’en souvenais très bien lorsque j’étais présidente de la commission au moment du débat sur la loi de refondation.

Votre parcours d’élève a-t-il contribué à votre intérêt pour l’écologie et la politique ?

Pas du tout ! Mes parents étaient d’origine très modeste et tétanisés par la nécessité de l’ascenseur social que représentait l’école. Le matin, je partais déguisée en gosse de riche, alors que c’était tout juste si on pouvait finir le mois. Il y avait chez eux une foi, il était impossible de faire autrement que d’être la meilleure élève, avec des consignes pour m’assoir au premier rang, être première de la classe, totalement dans le moule. J’étais timide, affolée, tétanisée. Pas terrorisée parce que les notes suivaient. Pas du tout heureuse à l’école en tout cas, me sentant comme un cheval avec des œillères. J’avais bien compris que je n’aurais pas beaucoup d’autonomie. Mes parents me rêvaient ingénieur en informatique. Le concours de l’École normale me sauva en 3e. Avec deux ans d’avance.

Quel est votre état d’esprit par rapport à la refondation de l’école ? La considérez-vous comme achevée ? Si non, selon vous, quelles semblent être les priorités ?

Les intentions du texte de loi du Gouvernement étaient excellentes, portées par un ministre que je regrette. Mais cela n’avait déjà pas l’ambition d’une refondation. C’était une sérieuse amélioration, une dynamisation, une réorientation, mais pas une refondation. Le texte voté à l’Assemblée n’avait pas beaucoup évolué. À son arrivée au Sénat, la loi était promise au même sort, mais nous avons recouru à la démocratie participative pour transformer le texte. Nous avons fait passer cette loi en y inscrivant le plaisir d’apprendre, la coopération entre élèves, le fait que chaque élève doit être capable d’apprendre, la place des parents. Il était nettement amélioré même si, au final, ce n’était toujours pas une refondation.

Et puis, une fois le texte voté, ont commencé les désillusions. La mise en œuvre du texte s’est faite à marche forcée, sur ce qui plaisait à la Dgesco (Direction générale de l’enseignement scolaire) et au Gouvernement, avec des oublis significatifs sur ce qu’ils n’avaient pas introduit eux-mêmes. Par exemple, nous avons introduit le principe de la formation à la médiation non violente des conflits dans tous les ESPÉ (École supérieure du professorat et de l’éducation). Mais dans les ESPÉ, cette obligation n’est pas connue ou, quand ils sont plus volontaristes, ils n’ont pas le temps ou les moyens de le mettre en place. Quand on a voté ça, on aurait sabré le champagne, on croyait avoir transformé l’école ! En réalité, c’est dans la loi, mais cela reste lettre morte.

Il n’y a que très peu de lois concernant l’éducation qui sont votées. Pensez-vous qu’il devrait y en avoir plus ou que les réformes relèvent plus de l’action du seul ministère ?

Si déjà on appliquait à la lettre les pépites qui sont dans la loi, même si ce sont de petits apports, pas de grands élans d’ambition, cela irait déjà mieux ! Françoise Cartron avait introduit l’obligation d’avoir des locaux pour les parents d’élèves : mieux vaut ne pas aller voir. Et l’indifférence avec laquelle le ministère considère nos doléances sur le sujet me met en colère. S’ils ne comprennent pas que c’est là que ça se passe, dans des méthodes pédagogiques, du professionnalisme, dans l’écoute et l’orchestration des échanges contradictoires entre élèves, la différenciation entre vérité et croyance, après tous les attentats, alors c’est grave ! Ce n’est pas en faisant chanter La Marseillaise dans les écoles qu’on va faire cesser les attentats ! Cela me dérange profondément qu’ils croient que cela suffit : en la matière, la méthode Coué est aussi stérile que les graines non arrosées. Ce sont des valeurs parachutées, alors que les valeurs doivent être adoptées, par adhésion. Si on veut convaincre de l’amabilité de la République, il ne faut pas faire réciter les valeurs, mais les rendre aimables.

Propos recueillis par Cécile Blanchard


article paru dans notre n°530, Former les futurs citoyens, coordonné par Laurent Fillion et Pascal Thomas, juin 2016.

Mise en place du nouveau socle commun, de l’enseignement moral et civique : l’éducation à la citoyenneté, thème souvent abordé par les Cahiers pédagogiques, revient au cœur des préoccupations. De quelle éducation à la citoyenneté parle-t-on ? Comment ne plus la confondre avec une éducation au civisme et à la civilité ?

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/643-former-les-futurs-citoyens.html