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Promouvoir l’usage du brouillon

« N’oubliez pas de faire un brouillon avant de passer au propre ! » Qui parmi nous n’a pas entendu cette phrase annonçant une activité d’écriture ? Même si nous étions de jeunes écoliers, nous étions conscients de la particularité des brouillons, qui est de préparer un écrit à venir ou un devoir imposé par les enseignants. Le brouillon représente un écrit incontournable, à travers lequel l’enseignant cherche en premier lieu à inculquer dans l’esprit de ses élèves l’art du travail méthodique. Généralement, ceux qui font un brouillon sont des apprenants stratégiques qui ont le sens de l’élaboration progressive de leurs écrits et l’organisation de leurs travaux.

Le brouillon, c’est sale

Malgré ces considérations, nombreux sont les élèves qui arrivent au lycée sans vraiment savoir faire un brouillon, ni même en voir l’utilité. Pour eux, c’est gaspiller du temps. Selon Yves Reuter[[Yves Reuter, Enseigner et apprendre à écrire, ESF, 2002.]], les élèves considèrent le brouillon comme un signe d’incompétence : ils l’associent à quelque chose de sale, d’illisible, empli de taches et de ratures. Une des raisons évoquées à cette représentation négative est liée au fait que les élèves sont habitués à lire et à analyser des textes dans leur version définitive, propres et exempts de toute trace de leur fabrication. Par conséquent, ils imaginent que l’écrit se réalise en un seul jet, immédiatement propre, organisé et sans rature, et ne comprennent pas l’intérêt de le corriger. Cela dit, si le brouillon est souvent déprécié par les élèves, il est également peu considéré par les enseignants.

Il est nécessaire de promouvoir l’utilité du brouillon dans le processus d’écriture (en classe comme ailleurs) et d’expliciter en quoi il permet d’aboutir à un texte final de qualité. « Faire un brouillon permet de ne pas affronter toutes les difficultés, à la fois en hiérarchisant les tâches, en négligeant délibérément, dans un premier temps, les problèmes de surface », comme l’explique Marie-Claude Penloup[[Marie-Claude Penloup, La Rature n’est pas un raté, plaidoyer pour le brouillon, Rouen, MAFPEN, 1994.]]. En d’autres termes, il permet d’amoindrir la charge cognitive.

Utiliser le dialogue

La rétroaction est l’une des voies permettant d’accompagner les élèves dans leurs activités d’écriture. Elle consiste en un dialogue entre l’enseignant et les élèves : elle concerne l’information qu’un élève reçoit à propos d’une action, de ses forces et de ses faiblesses, de l’exactitude d’une réponse, et suggère des pistes de correction en vue d’améliorer la performance et l’apprentissage. Elle permet non seulement de faire progresser l’expression écrite des élèves, mais aussi d’augmenter leur confiance en eux lorsqu’ils sont en situation de rédaction. Pour cela, la rétroaction doit prendre la forme de suggestions, d’observations et de questions ouvertes, plutôt que d’instructions et de critiques.

Effet positif de l’annotation

L’objectif de notre recherche visait à vérifier le degré d’amélioration des productions écrites des élèves observés, soit à partir des annotations des enseignants sur les textes (groupe A), soit à partir de grilles de relecture et d’autocorrection du brouillon (groupe B). Nous avons mis en place un dispositif expérimental qui consiste à faire écrire et réécrire à deux groupes d’élèves de troisième année secondaire un texte argumentatif dans deux contextes différents. Les scripteurs du premier groupe ont retravaillé leur brouillon lu et annoté par leur enseignant, et ceux du second groupe ont révisé et réécrit leur premier jet en s’appuyant sur une grille d’autoévaluation. Nous avons ensuite procédé à une comparaison du degré d’amélioration des productions écrites de ces élèves.

D’une part, nous avons constaté que l’annotation du professeur amène l’élève à un travail guidé de réécriture plus efficace que la révision-correction menée par l’élève lui-même via l’utilisation d’une grille d’autoévaluation. La comparaison des versions initiales et finales des écrits des deux groupes a montré que la réécriture a été moins fructueuse et moins efficace chez les élèves du groupe B, qui avaient comme seul outil d’étayage une grille d’autoévaluation pour relire et corriger leur brouillon. Pour accompagner les élèves dans la production d’écrits, la grille d’autoévaluation semble donc moins adéquate que les annotations du professeur.

Travailler le brouillon

Les concepteurs du guide pédagogique du manuel de troisième année secondaire, destiné aux enseignants de français, insistent sur la mise en œuvre d’ateliers d’écriture où le travail effectué, du brouillon au texte final, ne s’accomplit pas d’un seul mouvement, mais en séances successives ou interrompues par des pauses d’écriture et des retours sur le « déjà écrit », faisant ainsi du premier jet un objet mobile, évaluable, qui prépare au texte final. Ils proposent le déroulement suivant :
– rédaction du premier jet (chaque élève, individuellement ou en groupe restreint, rédige une première version) ;
– mise en texte (le texte est soumis à ses pairs dont les remarques et observations aideront à prendre conscience des effets de lecture produits par chaque texte) ;
– évaluation du premier jet (le texte est confronté à la liste des critères pour guider l’amélioration du premier jet) ;
– finalisation (une réécriture ou plusieurs réécritures successives vers une rédaction finale).

Les constats que nous avons faits en classe de 3e secondaire nous ont permis d’avancer que les consignes des enseignants se limitent souvent à l’écriture directe ou au simple passage du brouillon au propre, sans porter une attention particulière à la révision-correction et à la réécriture des écrits. Ainsi, seul le résultat final de la production écrite est valorisé, présenté, exploité et évalué. Les différentes étapes du processus d’écriture ne sont pas suffisamment travaillées, le regard réflexif n’est pas assez développé chez ces élèves qui jugent trop rapidement leurs écrits satisfaisants et correspondant aux exigences rédactionnelles.
Or, accompagner les élèves dans leurs productions d’écrits implique d’organiser son enseignement de façon à les engager dans les différentes phases du travail d’écriture : planification, mise en texte, révision et réécriture. Accompagner l’élève dans ses productions d’écrits, c’est l’amener à faire régulièrement un brouillon, à pratiquer la révision et la réécriture en évitant d’en donner une vision linéaire. L’enseignant peut aider l’élève à corriger son texte en alternant les méthodes d’autoévaluation et de confrontation collective, et en l’engageant à consulter au besoin les ressources didactiques disponibles (dictionnaires de langue, correcteurs informatisés, etc.). Le travail d’écriture peut se poursuivre par une évaluation collective de la démarche par les élèves, afin de dégager leurs réussites et leurs difficultés à écrire. Accompagner l’élève, c’est également changer de posture : c’est permettre à l’élève de comprendre le processus rédactionnel en commentant son texte plutôt qu’en le corrigeant.

Les résultats de cette recherche ne sont pas une finalité en soi. Il parait essentiel de poursuivre pour comprendre comment aider les enseignants à intégrer la pratique du brouillon comme outil didactique supplémentaire permettant progressivement aux élèves d’améliorer leurs écrits, de développer leur regard réflexif sur la pratique de l’écriture comme processus et non seulement comme produit final. Et puissent ces données recueillies auprès d’élèves et d’enseignants de FLE (français langue étrangère) du secondaire dans le système scolaire algérien permettre de questionner les pratiques pédagogiques et didactiques d’ici et d’ailleurs et de fournir des pistes de réflexion pour la formation.

Souad Benabbes
Maitre de conférences, Université Larbi Ben M’hidi, Algérie


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