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Petite histoire scolaire de la nature

Les représentations de la nature, du vivant, de l’humain, varient d’une époque à l’autre, d’une civilisation à l’autre, elles diffèrent selon les cultures et les religions. Qu’en est-il dans les programmes et pratiques scolaires en France ?

Pour définir ce qu’on entend par « nature », on peut remonter à la Bible où l’on « conçoit l’homme comme dès l’origine séparé de la nature, et celle-ci comme ce qui est posé devant lui, ce qui est fait pour lui et dont il est le maitre, offert à son pouvoir et à ses capacités manipulatrices1 ». Très vite, si l’on veut préciser la signification adoptée pour « nature », on se rend vite compte qu’il est impossible de le faire sans également travailler le concept de société : ces concepts deviendraient dès lors des enjeux, au lieu d’être considérés comme des états de fait2. Les travaux de sociologie des sciences mettent ainsi en avant une réification de ce que l’on nomme « nature » ou « société ». Sans trop entrer dans le débat, ce que je considèrerai ici comme « nature » à l’école, désignera simplement l’ensemble des êtres vivants, animaux et végétaux, ainsi que le milieu où ils se trouvent.

Observation d’une pomme coupée durant une leçon de choses, construction d’un terrarium en activités d’éveil ou classe de découverte à l’école primaire, étude de milieux en SVT (sciences de la vie et de la Terre) au collège, modélisation des réseaux trophiques (ensemble de chaines alimentaires) d’un écosystème en classe de sciences naturelles ou étude des enjeux de la biodiversité en SVT au lycée… La nature, en tant qu’objet ou lieu d’apprentissage, a été mobilisée dans des perspectives et des cadres éducatifs bien différents, selon l’âge des élèves et selon le contexte social et historique, en particulier avec l’évolution d’une société de plus en plus urbaine et avec l’évolution de la scolarité, des contenus d’enseignement et des finalités éducatives.

Leçon de choses, éveil, SVT…

À l’école primaire, l’introduction d’un premier enseignement des sciences au milieu du XIXe siècle a ouvert aux objets naturels, avec une triple visée de développement de valeurs rationnelles, de diffusion utilitaire de savoirs pratiques et d’applications directes à la vie quotidienne. Cette première initiation a, tout d’abord, eu lieu sous forme de récits et de lectures. Le célèbre manuel de lecture Le tour de la France par deux enfants, écrit sous le pseudonyme de G. Bruno par Augustine Fouillé en 1877, fut utilisé dans les classes jusqu’à la deuxième guerre mondiale. À travers les péripéties d’André et de Julien, les élèves découvraient les volailles de la Bresse, l’agriculture et les élevages du Jura, les secrets de fabrication du fromage… Ils apprenaient à différencier carpe, truite ou brochet.

À la fin du XIXe siècle, a aussi été mise en place une nouvelle doctrine « la leçon de choses » : apprendre par les choses s’opposait à apprendre uniquement par les mots. La leçon de choses articulait observation, dénomination et représentation des phénomènes ou objets naturels mis au programme. Une forme de botanique et de zoologie élémentaire permettait ainsi quelques manipulations par les élèves. L’approche ne visait pas à de la scientificité mais à rendre intelligible le monde qui entourait l’Homme et l’usage qu’il en faisait. La leçon de choses va s’imposer à l’école, avec quelques variations de méthode ou de contenus, jusqu’aux années 1970. Au cours des années 1950, des sorties, en forêt ou au bord de mares, soutenues par des mouvements de jeunesse (Ceméa, Jeunesse au plein air, les Scouts de France…), permettaient parfois de premières « études de milieux ».

Dans le prolongement de l’école primaire, l’enseignement du primaire supérieur et des cours complémentaires, filières de l’ordre primaire destinées aux meilleurs élèves du peuple, abordait la nature par l’intermédiaire de cours d’histoire naturelle ou de chimie, avec des visées utilitaires (mieux comprendre les attaques parasitaires des cultures ou les amendements indispensables aux sols, par exemple).

Dans les années 1970, quelques enseignants innovants, des professeurs d’École normale et des chercheurs de l’Institut pédagogique national mirent en œuvre l’expérience des « activités d’éveil ». Ces activités avaient pour ambition de dépasser les observations et les descriptions des leçons de choses, pour développer méthodes de travail et attitude scientifique des élèves.

Apparition du collège unique

Dans la même période, la réforme Haby de 1975 créa le collège unique. Tous les écoliers accédant dorénavant au collège, l’école primaire devint alors un premier échelon dans le cursus de scolarité obligatoire. Les programmes pour le primaire, envisageant alors la perspective de ce curriculum obligatoire prolongé par le collège, généralisèrent, de 1977 à 1980, les activités d’éveil. Les sciences naturelles entrèrent avec dynamisme dans cette réforme. Les élevages, les cultures et les sorties devinrent des supports pour inciter au questionnement, faire émerger des représentations, construire des problèmes scientifiques et les résoudre par une démarche adaptée, s’appuyant sur l’observation, l’expérimentation ou la documentation.

Des dissensus, principalement relatifs à la démarche jugée trop ambitieuse et à la formation des enseignants, émergèrent cependant très vite. Dès 1985, les programmes de Jean-Pierre Chevènement mirent fin aux disciplines d’éveil : l’école primaire devait revenir aux « fondamentaux » et à un enseignement rigoureux des connaissances, en particulier scientifiques. Sous des dénominations variant selon les cycles et les périodes (« Découverte du monde », « Sciences expérimentales et techniques »…), un programme notionnel fut proposé dès le cours préparatoire. La démarche scientifique était ramenée à une position moins centrale, avec une introduction progressive de ce qui sera désigné par « l’investigation ».

Dans l’enseignement secondaire, les sciences n’avaient trouvé une place qu’à partir de 1902, avec une filière scientifique mêlant connaissances scientifiques théoriques et travaux pratiques d’application, et un enseignement de « sciences naturelles » de la 6e à la terminale, puis uniquement de la 6e à la 3e à partir de 1925. Elles sont réintroduites en terminale, en 1945, avec la création de la section de « sciences expérimentales », entre les classes de Philosophie et de Mathématiques élémentaires. Au collège et au lycée, l’enseignement de sciences naturelles, après avoir été brièvement dénommées biologie-géologie, devient sciences de la vie et de la Terre (SVT) en 1994.

Nouvelles missions, nouveaux objectifs

Depuis le début des années 2000, l’enseignement des sciences connait des turbulences. Les missions éducatives traditionnelles (formation du citoyen, de futur scientifique, culture commune…), en particulier, se sont élargies à de nouvelles (protection de l’environnement, éducation à la santé, questions socialement vives, développement et épanouissement personnels…).

La nature est présente dans tous les programmes officiels de l’école primaire et des cours de SVT du secondaire, en tant qu’objet à étudier et de moyen d’étude. En tant qu’objet, elle se retrouve sous les vocables d’écologie, d’environnement ou de biodiversité. Les programmes recommandent, à tous les niveaux d’enseignement, des rencontres effectives avec la nature, dans des modalités diverses dont la mise en place de « coins nature » dans les établissements scolaires.

Au cycle 1 (3 à 6 ans), l’élève découvre le monde et le vivant par l’observation de « la nature (plantes, animaux), de l’environnement proche, d’espaces moins familiers ». Au cycle 2 (6 à 9 ans) et au cycle 3 (9 à 12 ans), la pratique d’élevages, les jardins scolaires et les cultures en classe sont recommandés, ainsi que l’observation des êtres vivants dans leur milieu et la découverte des plantes typiques de la région. Au secondaire, des sorties de terrain sont préconisées dans les programmes de SVT en classe de 6e (étude de milieux et d’une grande diversité des formes vivantes avec observations régulières en dehors de l’établissement scolaire), puis au lycée (sortie géologique et étude de terrain).

Sorties naturalistes

Ces sorties de terrain du secondaire sont présentées uniquement comme des outils d’acquisition de connaissances. Les observations naturalistes visent à une « dureté » des sciences de la nature, avec un enjeu de « mise à distance » envers l’objet étudié. En effet, « l’homme peut considérer la nature de deux façons. D’abord il se sent un enfant de la nature et éprouve à son égard un sentiment d’appartenance et de subordination, il se voit dans la nature et il voit la nature en lui. Ou bien, il se tient face à la nature comme devant un objet étranger, indéfinissable3 ». Or, « il faut rendre étrangers les objets naïfs de ses questions vitales pour en mériter la science ».

Comment alors réintroduire la personne humaine à l’école, en particulier dans les études de sciences ? Comment articuler « se sentir enfant de la nature » et « se rendre étranger à la nature » ? Guy Rumelhard4 propose d’emprunter un trajet pédagogique qui parte du vécu, pour aller vers la science (distanciation) pour ensuite revenir au vécu : un trajet rarement emprunté en totalité.

Les éducations à

En plus des enseignements disciplinaires, l’école met en œuvre des actions éducatives, désignées comme des « éducations à ». Une partie de ces actions concerne l’éducation à l’environnement, principalement abordée sous la forme d’études de milieu. Cette forme, majoritaire tant dans le cadre scolaire (cours de SVT et de géographie) que dans le cadre associatif (structures d’éducation et de culture scientifiques ou de protection de l’environnement), se traduit le plus souvent par une approche écologique des milieux naturels. L’éducation pour l’environnement est un moyen pour responsabiliser les acteurs sociaux, afin qu’ils se transforment en écocitoyens et que le développement humain devienne écologiquement soutenable.

En 2004, dans les textes officiels de l’Éducation nationale, l’éducation pour l’environnement devient une éducation pour l’environnement et le développement durable (EEDD) puis, plus récemment, une éducation au développement durable (EDD). Par exemple, pour le cas de l’enseignement de la biodiversité (SVT et EDD), les programmes mettent en relief deux dimensions fondamentales aux apprentissages relatifs à la biodiversité : les savoirs nécessaires et les comportements attendus, sous le postulat qu’une meilleure connaissance entraine de meilleurs comportements. L’accent est alors mis sur les savoirs nécessaires, qui relèvent surtout de la biologie et de l’écologie, et un peu sur la gestion de la biodiversité.

Maryline Coquidé
Professeure honoraire à l’IFE (Institut Français de l’Éducation)

Dans ce même dossier, lisez l’article « Regards changeants sur la nature » de Michel Develay pour compléter celui-ci. (accès payant)


La classe promenade

« Au lieu de somnoler devant un tableau de lecture, à la rentrée de la classe de l’après-midi, nous partions dans les champs qui bordaient le village. Nous n’examinions plus scolairement autour de nous la fleur ou l’insecte, la pierre ou le ruisseau. Nous les sentions avec tout notre être, non pas seulement objectivement mais avec toute notre naturelle sensibilité. Et nous ramenions nos richesses : des fossiles, des chatons de noisetier, de l’argile ou un oiseau mort. »
Célestin Freinet, « Les techniques Freinet de l’école moderne », Carnets de pédagogie pratique, éditions Bourrelier Colin, 1964.

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Notes
  1. André Pichot, Petite phénoménologie de la connaissance, Aubier, 1991.
  2. Serge Moscovici, Essai sur l’histoire humaine de la nature, Flammarion, 1968.
  3. Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, Vrin, 1965, p. 88.
  4. Guy Rumelhard, La biologie élément d’une culture, ADAPT Éditions, 2012.