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Les risques et limites de l’humour à l’école

Recourir ou non à l’humour en classe, c’est un choix qui dépend de la posture professionnelle de l’enseignant ou de l’enseignante, de la capacité à accepter un certain lâcher prise.

Si les différentes recherches menées sur l’humour attestent de la pluralité de ses bienfaits, son usage semble encore peu répandu dans le monde de l’enseignement. La notion même d’humour ne trouve pas sa place au sein des Inspé, de même que la notion d’affect qui semble être à proscrire de la relation entre l’enseignant et ses élèves. Qu’est-ce qui empêche les enseignants de laisser entrer le rire au sein de leur classe ?

L’humour, outre ses qualités thérapeutiques développées par Rubinstein1 (réduction de la douleur et de l’anxiété, stimulation de la mémoire), possède une réelle incidence sur le climat scolaire : il permet d’instaurer une relation de confiance, accroit la motivation et suscite l’envie d’apprendre. Cette relation de confiance est due à la fonction libératrice de l’humour. En effet, le rire, qui permet « de voir au-delà des conventions sociales, ou d’en faire abstraction, et dévoile l’identité réelle de chacun2 », donne ainsi la possibilité de dévoiler les personnes qui se cachent derrière le masque de l’institution, derrière le statut de l’élève comme celui de l’enseignant, offrant alors la possibilité de tisser de vrais liens, entre les vraies personnes qui subsistent derrière les rôles attribués par l’école.

Postures professionnelles

Cette fonction libératrice interroge sur la posture professionnelle de l’enseignant. Celui-ci ne devrait-il pas garder cette distance avec ses élèves ? Si l’on affecte difficilement le trait d’humour aux professeurs des écoles, nous pouvons nous demander si cela est dû à une image persistante des maitres d’école, des instituteurs sévères, en tenue austère, ceux-là même qui étaient surnommés les « Hussards noirs de la République ». Si globalement les enseignants semblent avoir désacralisé cette image, l’usage de l’humour apparait plus controversé chez les jeunes enseignants, notamment parce qu’il questionne l’idée de spontanéité dont l’enseignant doit savoir faire preuve pour adapter le trait d’humour aux contextes scolaires. Or, cette spontanéité nécessite de sortir d’une posture de contrôle, grandement privilégiée par les débutants. Mais un enseignant peut-il se cantonner à une seule posture ?

Dominique Bucheton et Yves Soulé3 ont montré qu’un enseignant devait jongler entre différentes postures en fonction des élèves et des objectifs d’apprentissage : ils nomment cela « les modes temporaires de gestion de classe », et affirment que les jeunes enseignants, pour des raisons assez évidentes, privilégient la posture de contrôle à celles du lâcher prise ou du magicien, dont l’usage est un risque pour l’enseignant débutant, puisqu’il va avoir une incidence sur la gestion de classe, nécessitant une certaine fermeté pour mettre fin au moment du rire partagé, et recentrer le groupe sur la tâche.

Cette gestion de classe va donc de pair avec la question de la spontanéité, qui peut apparaitre comme un obstacle au néo-enseignant. Comment aider à s’autoriser l’humour en classe ? La sensibilisation aux fonctions et bienfaits de ce dernier pourrait permettre à certains de s’y risquer.

Sortir du cadre pour y rentrer

Au sein de cette fonction libératrice du rire, on peut également trouver les bienfaits du rire pour sortir du cadre. Une fonction qui comporte bien entendu des limites. Pour Daniel Sibony4, « le rire est une façon de se moquer du sens, de la loi, sans doute pour compenser le fait d’y être soumis et de devoir continuer. Par le rire, on en sort pour un instant – où l’on devient des hors-la-loi, […]. On brise le cadre pour supporter d’y rentrer et de le réclamer. » Une fonction qui trouve sens auprès d’élèves turbulents ; élèves qui éprouvent des difficultés à accepter l’autorité et les règles de l’école.

Le rire ainsi présenté permet d’une certaine manière de désacraliser une situation scolaire ; rire de l’école ou d’une injonction donnée par l’enseignant pour mieux s’y plier ensuite, accepter le cadre après en avoir ri, libérant ainsi l’élève du poids de l’école, et de l’autorité.

Par exemple, une enseignante raconte comment elle a réglé un problème de langage d’un de ses élèves pour lequel l’autorité est difficile à accepter : « Par exemple ce matin, J*** je lui ai dit… en m’adressant à toute la classe, « je pense que J*** va changer de prénom, on va l’appeler « ça se fait pas » parce qu’il utilise toujours cette phrase ». Je lui ai dit « et en plus tu ne me mets pas la négation ! On va te changer de prénom et on va t’appeler comme ça, est-ce que ça te fera plaisir ? » Parce qu’il dit tout le temps « ça se fait pas madame » donc j’ai utilisé l’humour pour lui faire passer un message. »

L’humour apparait donc bien utile lors de certaines situations et, pour limiter ses risques, il est nécessaire à l’enseignant de faire des choix adaptés en prenant en compte les stades de développement de l’enfant. Il est alors question d’adapter la compréhension du rire pour chacun, bien entendu, mais également de réfléchir au type d’humour à adopter, si l’on sait que l’autodérision et l’exagération sont d’excellents moyens de dédramatiser les erreurs.

Risques

Cependant, certaines formes d’humour sont à éviter. Des entretiens menés auprès d’enseignants chevronnés comme débutants ont pu établir différents risques liés à l’usage de l’humour, certains remarquant que celui-ci peut heurter des sensibilités. Voilà pourquoi il doit être utilisé avec intelligence, ne jamais pouvoir être interprété comme une moquerie, voire comme un moyen de rabaisser l’élève, ou encore être trop personnel et s’immisçant dans l’intimité de l’enfant.

Certaines enseignantes ont constaté que l’humour était assez délicat à utiliser avec des élèves de cycle 3 qui sont, selon elles, beaucoup plus susceptibles. En effet, elles mettent en avant une certaine sensibilité des élèves qui, parfois, ne comprennent pas l’humour et se sentent attaqués personnellement, surtout dans des situations de comparaison avec des niveaux de classes inférieurs.

Une enseignante associe ce comportement à l’âge des élèves qui, pour elle, sont dans une période où le regard des autres pèse énormément : « Ils sont très dans le paraitre devant les autres et j’ai l’impression qu’ils commencent un peu à… à cet âge-là…voilà ! Moi je sais que j’évite à cet âge-là, parce que j’ai beaucoup fait de CM1 CM2 et… c’est compliqué. C’est le paraitre en fait… parce que devant les autres, je sais que si j’ai quelque chose à dire, même avec l’humour ça ne passera pas, parce que justement il y a les autres qui écoutent. »

Ainsi, une remarque, même faite avec humour, si elle est prononcée devant les camarades de classe, peut être très mal reçue par l’élève. Cependant, pour une autre enseignante, les difficultés énoncées ci-dessus ne sont pas uniquement dues à l’âge des élèves. Elle remarque que, même au CP, certains élèves apparaissent dépourvus d’humour. Pour ces derniers, faire preuve d’autodérision est impossible, et cela ne serait pas en rapport avec le regard des autres.

Le rire est donc à utiliser avec beaucoup de délicatesse, et il est important de connaitre ses élèves pour savoir de quoi il est possible de rire. Certains sujets peuvent être très sensibles, en fonction des expériences de vie de chacun et de leurs problématiques familiales. L’enseignant doit veiller à ce que l’humour ne blesse jamais mais bien au contraire fortifie, qu’il permette d’unir l’ensemble des membres du groupe classe et qu’il soit source de plaisir. Si les risques quant à l’usage de l’humour en classe sont multiples, ils peuvent être limités par les choix adaptés de l’enseignant. Même si les risques persistants semblent réservés aux débutants dans la profession, nous espérons convaincre nos collègues de s’engager dans cette voie prometteuse à laquelle notre contribution espère participer.

Farah Hamidaoui
Diplômée du Master 2 MEEF Professorat des écoles de l’Inspé d’Aix-en Provence
Guillaume Ponthieu
Enseignant du premier degré à Marseille, en service partagé à l’Inspé d’Aix-en-Provence

Sur notre librairie :

N° 582, L’humour à l’école
Coordonné par Aurélie Privé et Dominique Seghetchian

Dans un système scolaire construit sur la leçon, la concentration et l’écoute, l’exercice et le travail répétitif, vouloir introduire l’humour peut paraitre provocateur. Pourtant, on peut lui accorder une place dans les apprentissages. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est l’humour et savoir faire avec la dimension fortement culturelle (et interculturelle) de l’humour, y compris dans ses aspects générationnels. Comment apprendre l’humour et avec lui, et quels sont ses effets ?


Notes
  1. Henri Rubinstein, Psychosomatique du rire, rire pour guérir, Robert Laffont, 2003.
  2. Christine Reynier, « Virginia Stephen (Woolf) et le rire comme horizon », Études britanniques contemporaines, n°40, 2011, p. 5-18.
  3. Dominique Bucheton et Yves Soulé, « Les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe : un multi-agenda de préoccupations enchâssées », Éducation et didactique, vol. 3, 2009, p. 29-48.
  4. Daniel Sibony, Les Sens du rire et de l’humour, Odile Jacob, 2010.