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Allophone, une hétérogénéité universelle

Le Français langue seconde (FLS) représente-t-il une discipline à part, réservée exclusivement à ceux, enfants ou adultes, qui arrivent en France sans maîtriser suffisamment la langue ? A la diversité des publics à qui il s’adresse, aux méthodes, aux ressources qu’il suppose, Catherine Mendonça Dias propose la différenciation pédagogique et gomme la différence dans l’idée qu’elle peut s’appliquer à tous. Rencontre avec une enseignante qui, d’une première expérience de vacataire dans un collège à l’université de la Sorbonne, destine son parcours au français langue seconde.

Elle avait environ 20 ans lorsqu’elle donne son premier cours dans cette discipline. Étudiante en histoire de l’art, elle faisait mention dans son CV d’une connaissance de la langue arabe. C’est sans doute cette ligne qui l’a conduite dans ce collège du Lot-et-Garonne pour 200 heures de vacation. Le groupe était homogène, composé d’élèves venus du Maroc. Elle se sent à l’aise, élabore les outils, travaille autour de la langue. « Mais c’était frustrant, au bout de 200 heures, ça s’est arrêté là, sans contact avec les autres enseignants, sans réunion sur l’inclusion des élèves dans leurs classes. Je faisais les choses dans ma bulle. »

Elle presse les barrières invisibles qui font de l’inclusion une étape mal préparée et pourtant essentielle, pour des jeunes venus d’ailleurs dont les compétences non reconnues vont amoindrir les perspectives d’orientation. Elle perçoit aussi l’obstacle que peut devenir la dimension culturelle lorsque les gestes, le langage corporel, les comportements, heurtent les attendus du système scolaire parce qu’ils sont incompris.

Elle poursuit ses études en histoire de l’art, se spécialisant dans l’art contemporain, et s’intéresse en parallèle aux sciences du langage et à la didactique du FLE. Elle travaille avec des adultes migrants en dehors de l’école. Et c’est le besoin d’utilité qui la guide vers le CAPES de lettres avec une idée en tête : enseigner le français langue étrangère dans une classe d’accueil.

Première affectation

Elle demande comme première affectation un collège de Creil en zone d’éducation prioritaire, dans l’académie d’Amiens, qu’elle obtient sans difficulté ; ce type de poste est peu prisé. « Le contexte d’enseignement était pour moi idéal. Le groupe était hétérogène, cosmopolite, avec des origines géographiques et des trajectoires différentes, certains arrivés avec leur famille, d’autres la retrouvant ou encore, des mineurs isolés. »

L’année suivante, elle devient également formatrice au CASNAV, service du rectorat chargé de la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs. Elle participe ainsi à l’évaluation des élèves fondée sur un entretien avec l’enfant et la famille et sur des tests de positionnement en mathématiques et en lecture dans la langue d’origine.

« C’est là qu’on prend connaissance de la trajectoire scolaire et de migration. » Les histoires sont parfois douloureuses, avec des changements de pays, de familles d’accueil, d’identité ou des fuites face à des situations graves. « Là, on peut parler de résilience car ils arrivent à être des élèves dans une classe et à poursuivre leur scolarité. » Chaque parcours est différent aussi par la familiarité variable avec la langue française, par l’alphabet de la langue d’origine, par le degré d’alphabétisation, par la maturité et l’appétence à l’apprentissage.

Différenciation pédagogique et inclusion

Les élèves arrivent en permanence tout au long de l’année, l’éventail des compétences est large, alors la différenciation pédagogique s’impose. Elle apprécie « les choses riches qui se mettent en place notamment à travers le multilinguisme ». Elle investit la pédagogie de projet en s’interrogeant sur les passerelles à mettre en place avec les autres élèves dans la perspective de l’inclusion en classe ordinaire.

Dans son établissement, le vœu d’un dispositif ouvert est partagé pour que l’apprentissage des codes scolaires passe aussi par une interaction avec des pairs, avec d’autres collégiens. « L’inclusion est une démarche pédagogique, l’ouverture doit être organisée pour prendre en compte à la fois les compétences en langue et les compétences disciplinaires de l’élève. » Les unités pédagogiques, avec des temps organisés en classe de FLS (français langue seconde) et des cours suivis en classe ordinaire, ont désormais pris le relais des classes d’accueil. Là encore, l’importance est d’assurer un dialogue, une relation continue entre les enseignants pour qu’on n’en reste pas à une juxtaposition des temps scolaires, des activités et acquisitions des élèves.

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Recherche

Le sujet l’intéresse tant qu’elle y consacre une thèse autour de la question de la pertinence et de la faisabilité d’un programme en FLS. Il n’existe en effet pas de programme spécifique et les progressions variables des élèves ne sont pas toujours visibles au regard de l’échelle du socle des compétences. Au début de sa recherche, elle interroge des enseignants de français langue seconde à travers un sondage qui recueille des avis mitigés.

Elle poursuit par un état des lieux ciblé sur l’académie d’Amiens pour mieux caractériser les dispositifs mis en place et, selon le type d’enseignement, déterminer les bénéfices pour les élèves. Elle observe pendant trois ans une cohorte d’élèves sur leur profil individuel, leurs progrès, les types d’enseignement reçus. Les dispositifs sont variés avec de cinq à dix-huit heures de cours spécifiques dédiés.

Elle constate que « certains professeurs intègrent une sorte de programme, quel que soit le nombre d’heures du dispositif, comme si il y avait urgence à apporter le maximum sachant que l’année suivante, l’élève sera en classe ordinaire ». L’attention alors se porte sur des compétences scolaires, comme la grammaire, plus qu’à la familiarisation avec la langue telle qu’elle se pratique au quotidien. Le niveau de l’élève au départ, sa capacité à acquérir ces compétences sont dans ce cas peu questionnés.

L’obstacle de la loyauté à la langue natale

Or, beaucoup de paramètres entrent en jeu en dehors de la langue elle-même, comme celui des compétences scolaires antérieures, ou de l’âge, avec comme corollaire des attentes accrues à mesure que le niveau de la classe s’accentue. La question des enfants en grande difficulté se pose aussi lorsqu’ils sont en classe ordinaire. « On se retrouve avec des élèves qui ont passé un ou deux ans à l’école mutiques, passifs, non sollicités, car l’enseignant n’a pas le temps. » L’apprentissage du français en langue seconde peut rencontrer l’obstacle du conflit de loyauté avec la langue natale ou la certitude que la France est une terre provisoire d’exil. « L’élève se débat avec son exil, son adolescence, sa famille, lorsqu’il n’adhère ni au projet migratoire ni au changement de prédominance de langue. » Catherine Mendonça Dias axe la conclusion de sa thèse sur le fait qu’un programme est possible mais pas nécessaire pour tous les élèves, du fait de leur hétérogénéité.

Sa recherche se mène ensuite de façon pluridisciplinaire associant la sociologie, les sciences de l’éducation, les sciences du langage, les mathématiques, dans le cadre d’Evascol (Évaluation de la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs) financé par le Défenseur des Droits. Elle s’est étendue à plusieurs académies avec l’observation de 353 élèves. Des rencontres sont organisées avec les enseignants pour vérifier la cohérence des évaluations numériques passées par les élèves avec leurs propres observations sur les progressions tout au long de l’année. « On regarde les progrès mais aussi la cohérence des outils proposés. Quand on commence l’année, il faut avoir conscience que l’hétérogénéité évolue par rapport à l’échelle des compétences. Il faut anticiper, travailler sur des outils communs, intégrant une large échelle de niveaux. »

Des gestes simples à valoriser

Au cours de ses observations, elle a repéré des fonctionnements pédagogiques à valoriser autour de projets sur le plurilinguisme, le pluriculturel, partagés au sein de l’établissement. Elle a constaté aussi le manque de ressources et la nécessité d’en créer. Elle s’inquiète des élèves qui à la fin de l’année d’accueil ne sont toujours pas lecteurs et de leur devenir si les enseignants qui les accueilleront en classe ordinaire ne sont ni informés ni outillés pour les accompagner.

Elle souligne toutefois les choses simples à mettre en place à l’heure de l’inclusion de l’élève allophone : prendre le temps de parler à l’élève, le mettre devant pour favoriser l’appui sur le visuel, écrire les mots clés sur le tableau, aller dans la difficulté croissante. « Ce sont des gestes simples qui fonctionnent avec les autres élèves et là, facilitent l’inclusion. » Lorsqu’elle était formatrice, elle aimait placer les enseignants dans une situation où ils se retrouvaient allophones pour qu’ils vivent ces difficultés et trouvent les solutions simples pour y remédier. Aujourd’hui, elle enseigne la didactique du français langue seconde à la Sorbonne en particulier en Master 2, pour certains enseignants. Et elle constate avec eux, dans un certain effet de zoom, que les méthodes mises en place pour accueillir les élèves allophones ont toute leur place en classes ordinaires, là où l’hétérogénéité se vit aussi au quotidien.

Monique Royer

Le site de Catherine Mendonça Dias sur le français langue seconde

Le site Evascol


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N°526 – Inclure tous les élèves
Pour les élèves à besoins éducatifs particuliers, l’écart est parfois grand entre ce qui est prescrit et la réalité de leur scolarisation. Ce dossier vise à en pointer les freins et à proposer des leviers à même de faire vivre l’école inclusive refondée.

 

 

 

Hors-série numérique n°21 – À l’école avec les élèves roms, tsiganes et voyageurs
Un ensemble très complet de 65 articles partagés en quatre parties :
– Qui sont ces enfants ?
– Des dispositifs pour organiser la scolarisation
– Les méthodes pédagogiques ou comment faire réussir les élèves ?
– Ailleurs en Europe