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La Main à la pâte en éducation prioritaire, dans la durée

Dans les années 1990, j’ai choisi un poste de ce qu’on appelait alors « animateur ZEP (zone d’éducation prioritaire) ». J’ai travaillé avec un coordonnateur qui était par ailleurs responsable au sein des Cemea (Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active), donc très sensible aux pédagogies actives, que l’on rencontre aujourd’hui notamment dans les démarches d’investigation.

Je me suis lancé dans un projet d’expositions de travaux qui se faisaient en cycles 1 et 2 autour des sciences et techniques, et vu l’écho rencontré, j’ai eu envie d’aller plus loin. L’occasion s’est présentée après la venue de Pierre Léna pour une conférence sur ce qui allait devenir La main à la pâte. Rien n’était vraiment structuré, on a tâtonné, les premières mallettes pédagogiques nous ont permis de commencer à expérimenter. Une visite à Vaulx-en-Velin et notamment la rencontre de Renée Midol, alors inspectrice de circonscription, m’ont fait découvrir un dispositif efficace et innovant d’accompagnement des enseignants dans la mise en œuvre d’un enseignement des sciences fondé sur l’investigation (ESFI).

En 2001, le centre pilote fut créé, avec une visite mémorable de Georges Charpak qui nous a encouragés, en nous parlant aussi des expériences américaines (modules Insights) sur lesquels nous nous sommes appuyés au début.

Quelles ont été les réactions des enseignants ? A-t-on noté une adhésion progressive ?

On sait bien que beaucoup d’enseignants d’école primaire n’ont pas bénéficié de formation scientifique. Ils ont souvent peur de se lancer, craignant par exemple de ne pouvoir répondre aux questions d’élèves. Les ressources fournies par la fondation La main à la pâte sont à cet égard très utiles, même si, ensuite, chacun se les réapproprie à sa manière. Le fait d’être centre pilote nous a donné plus de crédibilité et nous sommes aujourd’hui soutenus par l’institution.

Bien sûr, l’autre obstacle, c’est la peur de ne pouvoir faire le programme si on consacre trop de temps à la démarche proposée. Celle-ci nécessite, en effet, un minimum de douze séances si l’on veut laisser le temps aux élèves de s’approprier la démarche d’investigation et de maitriser les notions abordées.

Pour cette raison, nous proposons aux enseignants de choisir des sujets d’étude (l’air, les changements d’état, l’astronomie, les êtres vivants, les ombres et la lumière, etc.) qui sont organisés en une suite de séquences structurées permettant de vivre une véritable investigation scientifique. Cette progression exige six à huit semaines, à raison de deux séances hebdomadaires, de manière à ne pas étaler les séances sur une durée trop longue pour éviter que les élèves ne perdent le fil du sujet d’étude.

Depuis la création du centre pilote, nous avons constaté une évolution dans la pratique et l’implication des enseignants par rapport aux sciences. En 2001, seulement 10 % des classes du REP (réseau d’éducation prioritaire) étaient engagées dans un projet en sciences. Aujourd’hui, 50 % des classes pratiquent chaque année, au moins sur une période, un ESFI.

Il est certain que cette réussite n’a été possible que grâce à la mise en place d’un accompagnement de proximité assuré par des ESAP (enseignant supplémentaire en éducation prioritaire).

Le centre pilote de Nogent possède deux ESAP sciences, sans oublier l’appui d’un étudiant polytechnicien, qui, dans le cadre du partenariat qui nous lie avec l’Académie des sciences et l’École polytechnique, accompagne, chaque année, les classes, du mois d’octobre au mois d’avril.

Une chose m’a fait très plaisir il y a quelques années : la proposition des enseignants de l’école où se situe le centre de ressources sciences de donner le nom de Georges Charpak à leur établissement.

Parlez-nous des projets : est-ce vous qui les proposez ? comment les enseignants s’y intègrent-ils ?

Dans l’ensemble, c’est nous qui élaborons le ou les grands thèmes de l’année. Cette année, nous avons proposé un sujet sur l’écomobilité dans le cadre de l’éducation au développement durable (EDD), qui est insuffisamment étudié à l’école et au collège. C’est d’ailleurs une des missions du centre pilote d’initier des projets pluridisciplinaires conformes aux programmes de l’Éducation nationale, visant notamment à renforcer l’EDD. Mais nous prenons en compte naturellement les projets d’écoles en veillant à leur donner une dimension de réseau. Ainsi l’an passé, plusieurs classes de diverses écoles ont travaillé sur l’eau et les changements d’état autour d’un projet commun. D’autres classes ont voulu bâtir un projet sur l’astronomie. Nous essayons d’ajuster offre et demande.

pano1.jpgUne exposition interactive sur les moyens de déplacement réalisée et présentée par des élèves de primaire.

Ajoutons que nous intégrons de nombreuses activités culturelles. En particulier le théâtre, dont vous avez parlé dans votre numéro sur ce thème avec l’opération « Sciences en scène ». Nous faisons aussi intervenir des personnalités scientifiques pour des conférences. Ce cycle de conférences scientifiques fête sa septième année. Ainsi l’an dernier, lors d’une soirée qui a accueilli un large public d’élèves, de parents, d’enseignants et de partenaires, la pièce de théâtre présentée par des élèves de CM1 a été précédée d’une conférence sur la science et l’art culinaire qui traitait des changements d’état en jeu dans la cuisine.

demartheimage4.jpgSciences en scène est un projet qui lie les sciences, la littérature et le théâtre.

L’idée est de donner le gout des sciences en proposant au public des thèmes très concrets comme la cuisine, la météo, les volcans, la science-fiction, etc.

En quoi votre travail dépasse-t-il largement la seule manipulation, brocardée par certains (dont un ancien ministre d’ailleurs) ?

Outre les aspects culturels que je viens d’évoquer, je mettrai en avant l’importance du langage dans notre pratique. J’avais été très sensible aux propos d’Yves Quéré qui, dans plusieurs ouvrages et conférences, note que les sciences peuvent être une occasion magnifique de permettre aux élèves de questionner le monde à travers la langue, orale ou écrite, à partir d’observations très simples, d’une curiosité par rapport au réel sous leurs yeux. Je cite souvent cette phrase d’Yves Quéré : « La science, ce n’est rien d’autre que des mots, un langage sur la nature. »

Comment ne pas évoquer les recherches de Jean-Pierre Astolfi qui voyait dans les sciences une chance pour l’écrit. L’argument était le suivant : « Le domaine d’activités scientifiques est une chance pour l’école car dans l’activité scientifique, on peut faire confiance à la capacité de penser de tous les élèves. Ils sont presque à égalité pour l’aborder, à la différence de l’histoire par exemple, où il peut exister une culture préexistante. »

Enfin, Viviane Bouysse souligne que « la science est un bon moyen de ramener vers un projet de lecture et d’écriture des élèves qui n’ont pas envie de lire, et qui ne voient pas l’intérêt d’écrire  ».

Dans nos activités, nous donnons toute leur place aux moments de réflexion collective, à la rédaction de carnets d’expérience et en particulier à l’écrit, souvent couplé au dessin, comme moyen d’anticiper l’action. Avant de faire l’expérience, avant de construire l’objet, on imagine ce qu’on va produire ; on mesurera ensuite l’écart avec ce qui sera réalisé ou avec le phénomène observé. Pour cela, j’observe que les filles réussissent mieux et certaines ont une capacité étonnante d’anticiper, même très jeunes, alors qu’on nous dit parfois que c’est impossible à cet âge !

Cette réflexion va dans le sens des récentes recherches en neurosciences et notamment de ce qu’Olivier Houdé appelle la « résistance cognitive », cette capacité à limiter (à inhiber) nos automatismes, nos heuristiques (ces opérations mentales rapides et intuitives), qui marchent très souvent mais pas toujours. En cela, ses recherches démontrent que beaucoup d’erreurs de raisonnement proviennent de cette difficulté à résister.

Le centre pilote La main à la pâte est un lieu d’expérimentation pédagogique et nous avons la chance de faire partie d’un réseau national (aujourd’hui international) qui abonde de projets innovants. Nous nous devons de partager, de mutualiser nos ressources, pour améliorer la qualité de l’enseignement des sciences à l’école.

Il existe partout des expériences formidables et je regrette qu’elles ne soient pas encore suffisamment diffusées.

Travaillez-vous également avec les collèges ?

C’est un peu plus difficile, mais nous tentons de les associer à des projets communs et nous allons profiter des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) l’an prochain et surtout du nouveau cycle 3 pour mener à bien des projets communs associant notamment les sciences physiques et le français autour de thèmes comme l’astronomie. Dans un des deux collèges, le développement de l’EIST (enseignement intégré de science et technologie) est un facteur favorable.

Nous favorisons également les rencontres entre écoliers et collégiens, qui ont l’occasion de participer à des visites guidées d’expositions comme celle que nous avons élaborée sur les écrans et le cerveau il y a deux ans ou l’exposition sur l’écomobilité cette année.

Pour terminer, je voudrais rendre hommage à Georges Charpak, Yves Quéré et Pierre Léna en citant cette phrase extraite du livre L’enfant et la science : « La science fait ce don superbe à l’enfant d’affiner son imagination, d’encourager sa curiosité, de stimuler ses talents manuels, de l’initier à la découverte, de l’entrainer à la rigueur intellectuelle, de conforter sa maitrise du langage et de l’ouvrir à l’universel. »

Nicolas Demarthe
Animateur de La main à la pâte, ancien professeur des écoles et formateur
Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

 

Les projets 2015-2016

 

En cycle 3 (et 6e), « Je suis écomobile : vers de nouveaux moyens de déplacement »

Ce projet a permis d’aborder la thématique des transports dans le cadre de l’éducation au développement durable : comment se déplacer en ville, quels impacts sur l’environnement, quelles alternatives à la voiture ?
Les élèves ont été amenés à expérimenter, à relever des défis (qu’est-ce qui est à l’origine des émissions de dioxyde de carbone dans une automobile, comment réaliser une voiture propre ?).
Ce projet a abouti à la réalisation d’un véhicule idéal. Il a mêlé sciences, technologies, arts visuels et français (écriture) et a débouché sur une exposition rassemblant les travaux des élèves. Un spectacle « Sciences en scène » a été également présenté dans ce cadre.
L’histoire des sciences et des techniques (de l’invention de la roue jusqu’à la voiture solaire) a également été étudiée à cette occasion, avec visite guidée au musée des Arts et Métiers à Paris pour quinze classes.

En cycle 2, « Les objets roulants »
Qu’est-ce qui permet à un objet de rouler ? Tests divers sur des plans inclinés. Puis, fabrication de petites voitures, observations diverses de leurs déplacements. Fiches techniques et cahiers d’expériences.