Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

L’irruption du réel familial

1-scan_lettres_de_paul.jpg
Château Chinon, 22 novembre

Mon cher Paul

Ta lettre reçue hier m’a semblé moins gaie que d’habitude. Est-ce que mon Paul serait fatigué ? Il pourrait l’être à moins. Trois mois et demi de campagne sans repos, sans un bon lit pour se coucher, c’est certainement dur. Je plains mon cher petit de tout mon cœur et je voudrais pouvoir le soulager le plus possible.
Tu me dis que tu as reçu tous les paquets envoyés. As-tu touché les 50 frs que je t’ai adressés par mandat-poste-carte. Quel est le mode le plus facile pour que tu [les] reçoives le plus facilement. Dans ta prochaine lettre dis-le-moi. Aujourd’hui je te mets un billet de 20 francs sans recommandation, j’espère que tu le recevras.

Je vais te demander, mon cher Paul, de nous donner de tes nouvelles un peu plus souvent. Quand il y a huit dix jours que nous n’avons rien reçu, je commence à être inquiète, angoissée. Je me demande si tu n’es pas blessé. Quand on sent son enfant en danger on ne sait que penser – aussi je te demande, mon cher Paul, d’envoyer ne serait-ce qu’un mot.

Je t’ai adressé hier par poste, bas, chocolat, saucisson. Aujourd’hui en colis postal un paletot de cuir – ce que j’ai trouvé de mieux à Château Chinon – gants. Joseph y a ajouté un capuchon venant de Mr Perraudin. Puis thon et sardines. Dis-nous ce qu’on pourrait envoyer pour améliorer ton sort. Vois-tu quelques jeunes gens de connaissance ?

Après avoir reçu de la Croix Rouge un mot disant aux Ganthé que Victor était en traitement à Sarrebourg, ils ont eu un avis mortuaire. Dans leur angoisse Mme Gauthé jeune est partie avec une tante à Genève pour avoir des nouvelles. En sais-tu quelque chose ?

As-tu vu le fiancé de Melle Marie Guillaumot ? Nous n’avons pas reçu d’autres nouvelles d’Henr. Je lui ai adressé son colis de vêtements. Je vais lui écrire aujourd’hui et l’embrasserai de ta part. André Germain n’a pas donné signe de vie, mais de son régiment on a envoyé une carte [disant] qu’il était en Bavière à Ratisbonne.

Adieu, mon cher enfant, je prie pour toi de tout cœur. Je t’embrasse bien tendrement en te souhaitant bonne santé et courage.
Ta maman
Papa, frères et sœurs t’envoient d’affectueux baisers.

 

Je venais de dévoiler un fragment de mémoire familiale sacrée: la mort de Paul, le frère de mon grand- père, disparu alors qu’il venait de fêter ses vingt-six ans, en décembre 1914. L’écoute attentive a été donc appréciée. Les extraits des lettres que je venais de leur livrer, relataient la vie quotidienne de Paul, comme agent de liaison sur le front, avec le grade de caporal cycliste, auquel faisait écho, l’expression affectueuse d’une mère qui, par des envois répétés d’argent et de colis, tentait de soulager les souffrances de son fils.

Cette séance de lecture introduisit un travail d’écriture : adresser une lettre à un soldat de 1914 en endossant l’identité d’une mère, d’une sœur, d’une fiancée, d’un père ou d’un ami ; la situation d’énonciation devait s’inspirer des lettres lues en classe et les codes de la lettre respectés.

Extrait de l’article d’Isabelle Pasquet, à découvrir dans le hors-série numérique.

L’ensemble de la correspondance de Paul et de sa mère est disponible gratuitement sur : http://carnetsdestropiques.wordpress.com/education/