Microlearning : un encas discret

Pour son épisode de mars, Nipédu recevait Emmanuel Burguete pour parler microlearning¹, une modalité de formation granularisée en sections de très courte durée (quelques minutes), de forme variée (orale, écrite, vidéo, etc.), de caractère formel ou informel (dans un parcours de formation ou lors d’un apprentissage du quotidien).

Du côté des bases théoriques, il a été fait référence à la controversée taxonomie de Benjamin Bloom (qui hiérarchise des niveaux d’apprentissage), à la théorie de la charge cognitive (qui suppose de limiter le nombre d’éléments manipulés pour optimiser l’apprentissage) ou encore à la fatigabilité des neurones.

Côté allégorie, notre cerveau a été envisagé comme une voiture avec un compte-tour à préserver. Le savoir a, quant à lui, été comparé à une tablette de chocolat à déguster carreau par carreau pour éviter l’indigestion.

Il n’aura jamais été autant question de snacking dans un programme consacré à l’éducation ! Pourtant, si le nugget learning a pour ambition d’éviter l’indigestion, est-il suffisant pour nourrir l’apprenant ?

Ne nous en déplaise, le réel est continu en espace et en temps. Pour le rendre descriptible, c’est notre langage qui le découpe. Ainsi, ce qui est un flux continu de perceptions devient une multitude d’objets et de phénomènes clairement distincts les uns des autres. On parle d’unités discrètes. Ce difficile et très artificiel passage du continu au discret est au cœur des enjeux de la pédagogie. Il consiste à linéariser l’enseignement d’un contenu qui, dans le réel, ne l’est pas. Et pourtant, avec le microlearning, tout semble se passer comme si un découpage encore plus fin du réel permettait de contourner l’obstacle.

De récents travaux ont démontré que la relation entre la charge cognitive et les difficultés d’apprentissage n’est pas linéaire. Parler de « charge » ne veut pas dire que l’on peut appliquer à l’esprit une logique propre au monde physique. Rien ne prouve, par ailleurs, que le nombre d’éléments fatigue le réseau neuronal, comme le nombre de tours par minute fatigue un moteur.

Enfin, même s’il est difficile de remettre en question le caractère pratique de la taxonomie de Bloom, il demeure que les travaux en neurosciences soulignent un fonctionnement du cerveau bien plus unifié et continu que ce découpage en habiletés discrètes : connaitre, comprendre, appliquer, analyser, synthétiser, évaluer.

En somme, l’évidence doit toujours appeler à la prudence. Mais ne nous y trompons pas pour autant. À l’ère des tutos Youtube, le microlearning a toute sa légitimité ; à plus forte raison pour un apprenant expert capable de bâtir son environnement personnel d’apprentissage. D’ailleurs, Emmanuel Burguete n’oppose certainement pas le microlearning à l’apprentissage par des objets qui résistent.

En synthèse, on pense alors à Steph, bachelière protagoniste du plus célèbre roman de Nicolas Mathieu² qui « à force de bucher avait vu de drôles de trucs […] se produire dans sa tête […] Une fois que le gavage opérait, votre vision des choses se modifiait ». Lorsque le tout devient plus que la somme des parties. Lorsque le discret, appris, redevient continu.

Article paru dans le n° 577 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

Que nous apportent les méthodes ?

Coordonné par Céline Walkowiak et Grégory Delboé
Dans quelle mesure la méthode s’impose-t-elle pour apprendre ou au contraire constitue-t-elle un obstacle voire une impasse ? Les méthodes, faut-il les transmettre ou les laisser se construire ? Et finalement, une éducation qui vise l’émancipation des sujets peut-elle se priver de méthodes ?

1. Épisode S9E7 de Nipédu : Le microlearning c’est [pas] du poulet, bit.ly/Nipedu_S9E7.
2. Leurs enfants après eux, Actes Sud, 2018.