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Le partage du plaisir : une morale sociale

Couverture du numéro 561, « L’éducation à la sexualité »

Le précédent dossier des Cahiers pédagogiques consacré à l’éducation à la sexualité remonte à 1974, presque un demi-siècle, au moment où se dessinait la fin de la notion de chef de famille et où les femmes acquéraient le droit à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse.

Ce qui nous a frappées au fil de la constitution du dossier, c’est l’ampleur des évolutions (la révolution ?) dont cette thématique témoigne.

Fonction vitale, biologiquement surdéterminée, elle participe (par l’éducation, l’acculturation) à la construction d’une éthique sociale. L’éducation à la sexualité vise à accompagner enfants, adolescents, jeunes adultes, pour leur permettre de passer de la quête individuelle d’un plaisir fondé sur la toute-puissance qui peut miner une société en broyant les plus fragiles de ses membres à un plaisir fondé sur l’attention à autrui, le partage, un plaisir qui fait société. C’est pourquoi, à l’école, elle doit être l’affaire de tous et commencer dès la maternelle. Les contributions rassemblées dans la première partie montrent comment de nombreux collègues s’en sont emparés et la placent effectivement, comme nous y invitent les textes, à la confluence des champs biologique, psychoémotionnel, et juridicosocial avec l’éducation aux médias et à la citoyenneté. Toutes les contributions émanant d’acteurs du terrain montrent leur créativité professionnelle, leur capacité à varier leurs postures et franchir le pas intellectuel du décloisonnement disciplinaire.

La science contribue largement à modifier le statut de la sexualité : la connaissance du système nerveux et les neurosciences légitiment une éducation à la sexualité qui fait la part belle au plaisir et ne se cantonne pas à la prévention des grossesses précoces et des maladies unies par la morale, dans la même condamnation d’une sexualité qui ne serait pas vouée à la reproduction.

L’évolution sociétale est de notoriété publique. Enquêtes et rapports mettent en évidence l’ampleur des violences sexuelles et sexistes et combien il est important de les battre en brèche. Transcrite dans les lois, cette évolution bouleverse l’institution familiale, les relations entre les sexes, le statut des minorités. Elle bouleverse aussi l’institution scolaire, car éduquer est plus exigeant qu’instruire et interroge les choix pédagogiques. Ces bouleversements sont étudiés par les contributions de la seconde partie : comment faire de l’école un espace qui donne du sens en multipliant les espaces de réflexion afin que chacun apprenne à utiliser sa part de liberté, satisfaire ses instincts de vie, faire ses choix, dans un environnement social non seulement sécurisant mais surtout épanouissant, pour que chacun se sente apte à prendre le risque de la rencontre.

L’éducation à la sexualité fait la part aux règles qui régissent la sphère publique, la loi, elle se frotte aux valeurs portées dans la sphère privée, qu’elles soient familiales ou religieuses, elle se confronte aussi à l’intime : celui des enseignants, des élèves, des familles. Cela peut faire peur. En tant qu’enseignant ou enseignante (notre genre n’est pas neutre en la matière), on peut se sentir désarmé, incompétent pour faire face aux confrontations de valeurs, aux sentiments, aux émotions, aux questionnements. Pourtant, l’école ne peut abandonner les jeunes à des réseaux sociaux qui ne sont pas toujours bien informés, ni fréquentés par des gens forcément bienveillants, au risque de sites pornographiques et d’expériences douloureuses. Dans cette mission, nous pouvons être assistés par des partenaires, dont plusieurs témoignent dans le dossier, et nous devons nous former en permanence.

Chantal Guitton
professeure de SVT en collège
Dominique Seghetchian
professeure de français à la retraite