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Vers les lycées des métiers

L’enseignement professionnel souffre d’un ensemble de confusions et d’idées reçues qui ne lui sont pas favorables, c’est le moins qu’on puisse en dire !
Présenter un dossier sur l’enseignement professionnel c’est d’entrée se heurter à des problèmes de vocabulaire et de représentations. Pendant longtemps l’enseignement professionnel s’est appelé technique. Les écoles pratiques du commerce et de l’industrie, fondées à la fin du XIXe, deviennent ensuite des centres d’apprentissage, puis des collèges techniques et c’est seulement en 1975 avec la réforme Haby que le mot professionnel apparaît avec le Lycée d’Enseignement Professionnel qui deviendra Lycée Professionnel par la suite. Aujourd’hui, le technique se nomme le plus souvent technologique et le professionnel est un système à l’intérieur du système éducatif. On passe donc à la fois d’un ordre d’enseignement extérieur au système éducatif à une formation identifiée comme faisant intégralement partie du secondaire, et d’un enseignement confondu avec le technique à une voie qui tend à s’en différencier en annonçant d’emblée sa finalité professionnelle.
Mais il semblerait que la tendance soit à nouveau de les réunir dans les lycées des métiers. Comme le démontre abondamment le rapport Descomps, la lisibilité du système est très proche de zéro !
La confusion vient aussi de sa place à l’intersection entre l’éducatif et l’économique. Dans un pays où la tradition intellectualiste voue aux gémonies tout ce qui est manuel et concret, le LP n’a pas bonne presse, d’autant qu’il est le lieu le plus visible des relations et parfois des contradictions, entre sphère de l’éducation et sphère de l’économique, et donc du politique. Si toute organisation de l’éducation a des répercussions sur l’économie d’un pays et vice versa, c’est dans l’enseignement professionnel que cette rencontre est la plus évidente. « L’enseignement technique (et professionnel) ne se définit pas à partir d’une conception a priori de l’éducation, mais en fonction de débouchés précis, il prétend insérer ses élèves dans un processus économique. Tributaire dans son développement même de l’évolution économique, il mérite une attention toute particulière : à la jointure du système éducatif et de l’économie, il ressent directement toute tension entre celle-ci et celui-là, et son orientation devient alors l’enjeu de conflits sévères. »
Les enseignements techniques et professionnels longtemps mélangés ont eu pour finalités d’abord de former des ouvriers qualifiés, puis des agents de maîtrise. Ils correspondaient donc à des débouchés relativement limités dans l’ordre hiérarchique, alors que l’enseignement général était censé ouvrir toutes les portes des plus hautes fonctions. De là à qualifier le professionnel de sous-enseignement il n’y a qu’un pas qui est vite franchi d’autant que, délivrant un diplôme qualifiant plus tôt, il attire souvent les enfants des couches populaires qui veulent entrer vite dans le monde du travail. Si l’économie a besoin de personnes ayant les qualifications données par le LP, l’idéal démocratique ne peut pourtant guère se satisfaire de cette coupure de l’école en coupure de classe et le qualificatif d’enseignement court qu’on lui a longtemps attribué n’a plus de raison d’être depuis la création en 1985 des bacs pro. Actuellement le LP mène aussi au bac et permet de continuer au-delà.
Il faut ajouter à cela que la crise et le chômage qui en découla ont marqué l’enseignement professionnel. Enfin, l’horizon 2005-2010 où il faudra remplacer les travailleurs actuels, issus du baby boom, qui partent à la retraite, et les mutations incessantes des techniques ont obligé les politiques à profondément rénover cet enseignement.
Ainsi, l’enseignement professionnel évolue vite dans les faits mais beaucoup moins dans les têtes, du moins de ceux qui n’y sont pas plongés. On continue à y aller par défaut : une sorte de recrutement involontaire, les filières y sont très hétérogènes, le niveau scolaire y est réputé inférieur aux LEGT et l’articulation entre monde scolaire et monde professionnel fait toujours peur.
C’est tout cet ensemble compliqué que nous essayons de mettre en scène dans ce dossier en examinant d’abord l’état des lieux et les enjeux du lycée professionnel, pour aller ensuite dans un certain nombre de ces LP voir ce qui s’y fait vraiment et comment les efforts des pédagogues, alliés aux réformes, peuvent faire de ces lycées des lieux de réussite. Car vivre en LP c’est rencontrer les problèmes habituels à tout établissement scolaire, et les problèmes spécifiques aux LP, mais c’est aussi y jouer une deuxième chance et retrouver une dynamique.
Les Cahiers Pédagogiques ont un double public : enseignement général, tous degrés confondus, et enseignement professionnel. Nous avions donc à relever ce double défi : apporter un éclairage aussi honnête que possible aux enseignants du général qui par leurs actions peuvent concourir ou non à « orienter en LP » et donner quelques pistes ou outils à ceux qui sont en LP, étant entendu que ces pistes peuvent aussi donner des idées à ceux qui travaillent dans un autre cadre que celui du LP.
Nous aimerions vraiment recevoir, venant du LP, des réactions à ce dossier, même et surtout si c’est pour pointer des erreurs ou des préjugés. Car nous croyons fermement que du dialogue des différents acteurs de l’éducation peut venir une amélioration de l’ensemble du système éducatif.

Elizabeth Thuriet, collège de Sisteron.