Fay ce que vouldras
Automne 1534. « Vous convient être sages, pour fleurer sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse, légers au pourchas et hardis à la rencontre. Puis, par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l’os et sucer la substantifique moelle. » Rabelais s’attaque aux savoirs figés de la Sorbonne et vante dans Gargantua une éducation dont, depuis le temps, tous ceux qui cherchent les voies d’une pédagogie de l’émancipation se réclament. Jamais cette rubrique n’était remontée aussi loin dans le temps. Le lecteur attentif, voire tatillon, pourrait objecter que Rabelais n’a jamais écrit dans les Cahiers pédagogiques. Je ne cherche pas à le nier. C’est Jacques Drouet qui, en mars 1974, en proposait un pastiche à l’occasion d’une mini rencontre qui eut lieu au siège de l’association en octobre 1973 sur le thème « Autonomie des jeunes dans l’acquisition du savoir ». Pour comprendre quelque chose au propos, il faut décrypter constamment l’implicite : celui des références à l’abbaye de Thélème, celui du contexte de l’automne 73, celui de la réflexion pédagogique de ces années post68. Exercice difficile, sans doute, pour le lecteur d’aujourd’hui. Fallait-il alors retraduire ce texte dans une langue d’aujourd’hui, fallait-il signaler chaque référence, chaque allusion par une note explicative, fallait-il donner au lecteur, avant qu’il entre dans ce texte, les clés de la transcription dans « la langue de Rabelais » (du moins telle que notre auteur l’avait adaptée), pour éviter que tous ces implicites l’empêchent d’accéder à la « substantifique moelle » de la pensée de Jacques Drouet ? Les tenants d’une certaine pédagogie explicite auraient sans doute procédé ainsi. D’autres auraient choisi de faire confiance au lecteur, de l’autoriser à découvrir par lui-même quelques clés de lecture (« rompre l’os »), et même de lui permettre de renoncer à « tout comprendre » pour le plaisir de « fleurer, sentir et estimer » ce texte « de haute graisse ». Ai-je suffisamment explicité mon choix ?
YANNICK MÉVEL