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Que faut-il savoir, que faut-il ignorer pour devenir professeur des écoles ?
Les sujets zéro viennent donc d’être publiés sur le site du ministère. On y voit, à travers ce qui est demandé dans ces épreuves, quels sont les savoirs qui paraissent suffisamment importants au recruteur pour qu’il en vérifie la maitrise par un examen. On y voit aussi, en creux, ce qui lui parait inutile, superficiel, indigne de son intérêt.
Rappelons que jusqu’à présent le ministère de l’Éducation nationale, en tant que futur employeur, faisait en sorte que les étudiants désireux d’être professeursdes écoles se préparent intellectuellement à leur métier. C’est pourquoi l’épreuve d’admissibilité comportait une synthèse de documents portant sur des problématiques relatives à l’enseignement du français et des questions de langue importantes pour ce domaine.
Ainsi, le concours amenait les futurs professeurs des écoles à s’intéresser par exemple à l’enseignement de la lecture au CP ou au développement culturel et langagier des jeunes enfants. Les lauréats des concours disposaient ensuite d’une année pour se former professionnellement à partir de ces premiers acquis.
Apparemment, cela n’intéresse plus le ministère, comme le montrent les sujets zéro des nouvelles
épreuves.
Regardons ce qui est demandé aux futurs professeurs des écoles. Je me contenterai ici de commenter la
1re partie de l’épreuve de français histoire, géographie, instruction civique et morale, à partir du deuxième sujet fourni par le ministère.
La synthèse a pour support quatre textes d’écrivains qui décrivent leur passion pour la langue française. Il s’agit de beaux écrits littéraires rédigés par des auteurs contemporains qui évoquent ce que Claudel et Valéry, Musset ou Beckett apportent à la langue française et ce qu’eux-mêmes en tirent. Je suis sure que dans mon année de khâgne, j’aurais eu beaucoup de plaisir à traiter ce type de sujet. Mais la khâgne n’a pas pour finalité de préparer au professorat des écoles : le professorat des écoles exige des connaissances spécifiques, des compétences de haut niveau qui lui sont propres et que cette épreuve ne vérifie pas. Et par ailleurs, quel est l’intérêt, en terme de formation intellectuelle, d’une épreuve qui consiste juste à relever et ordonner des arguments, sans avoir la possibilité de les mettre en débat ? Or sur un tel sujet – la valeur de la littérature et de la langue française – l’impossibilité de convoquer des penseurs et des analystes qui ont réfléchi à cette question (je pense en particulier à Meschonnic) pour le problématiser et en faire un objet de débat fait que cet exercice est mécanique et ne vérifie guère que des habiletés rhétoriques.
On en vient à se demander si, par hasard, le concepteur du sujet n’avait pas en tête l’idée que la maitrise des techniques rhétoriques et la fréquentation des textes littéraires suffisent pour être capable de construire des situations d’apprentissages langagiers en maternelle ou d’évaluer les progrès rédactionnels d’élèves du cycle 3…
Les questions de grammaire compensent-elles cette carence ? Dans une certaine mesure, on pourrait
dire qu’elles compensent – mais pas dans le bon sens – la synthèse : si la synthèse est manifestement une épreuve destinée à valoriser l’érudition littéraire, les questions de grammaire sont d’un niveau accessible à un élève de troisième.
Encore que le corrigé quant à lui semble avoir été rédigé plutôt par un élève de 4e… Dans la première question, il s’agit de relever les verbes d’un texte, d’en préciser les temps et de justifier globalement leur emploi. Fastoche. Oui, mais dans le corrigé, le relevé en gras comporte çà et là également les « petits mots » qui vont avec les verbes : les pronoms personnels, les négations sont à l’occasion considérés comme des verbes. En CM, cela serait sanctionné, mais pour le professorat des écoles…
Le lecteur du corrigé publié sur le site du ministère sera également étonné d’apprendre que les pronoms « je » et « me » sont des pronoms de troisième personne. On n’arrête pas le progrès.
Sa surprise ne s’arrêtera pas là : nous connaissions le discours direct, le discours indirect, et d’autres catégories, mais pas encore le « discours relevé », c’est là une innovation linguistique intéressante, sans doute sur le modèle d’un plat relevé…
Rassurez-vous on vérifie d’autres savoirs capitaux pour l’enseignement : la capacité de réciter la règle d’accord du participe passé, employé avec l’auxiliaire être, avoir, etc., et de gloser le sens de quelques termes dans les textes du corpus.
Bref, les questions de grammaire et les réponses proposées dans ces épreuves de concours sont très en deçà de ce que savent actuellement les étudiants qui préparent le professorat des écoles. Or c’est pour
le moins paradoxal que la même autorité administrative proclame haut et fort son souhait d’élever le niveau de formation des enseignants en exigeant d’eux un master, et que, dans le même temps, elle renonce à leur formation intellectuelle en formulant des sujets de concours qui soient à la fois discriminants socialement – pour les réussir il faut connaitre les manières propres aux belles lettres – et vertigineusement orthogonaux à tous les savoirs sérieux disponibles sur la question.
J’ajouterai pour terminer que la dimension civique est bien présente dans les sujets zéro : célébration de la langue française dans le sujet 2, sujet d’histoire consacré à nos ancêtres les Gaulois dans le sujet 1… rédigés dans une période où le débat sur l’identité nationale constituait une préoccupation majeure, ces sujets n’ont rien d’innocent…
Ainsi, d’après le ministère de l’Éducation nationale, pour en enseigner dans le primaire, il est permis de ne rien connaitre à la langue et à l’analyse de la langue, pour peu qu’on puisse élégamment en disserter. Tout cela montre un mépris inacceptable pour les professeurs des écoles et pour tous ceux qui œuvrent à préparer à ce métier.
Lire également la réaction de Marie-Albane de Suremain sur les sujets d’histoire