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« Quand on intègre les enfants, on intègre toute la population »

Photo de Charlotte Denis

Quelles sont les questions éducatives les plus aigües pour les villes aujourd’hui ? École inclusive, « ville à hauteur d’enfant », Conseil national de la refondation et restauration scolaire ont été au programme des rencontres nationales du Réseau français des villes éducatrices (RFVE), organisées à Montpellier les 28 et 29 septembre. Bilan de ces deux journées avec Émilie Kuchel, présidente du RFVE et adjointe chargée de l’éducation à la mairie de Brest.

Quel bilan faites-vous de ces deux journées à Montpellier ?

Nous avons eu quatre-vingt personnes présentes, soit une soixantaine de villes de taille différente représentées. Cela a permis un partage de pratiques et d’expertises stimulant. Après plusieurs années de distance forcée du fait de la pandémie, nous avions besoin d’échanger de nouveau entre nous sur les questions qui se posent aux élus locaux en matière d’éducation et sur les politiques que mènent les uns et les autres. C’était très enthousiasmant.

Quels ont été les principaux sujets sur lesquels vous avez échangé ?

Les questionnements les plus forts ont porté sur l’école inclusive, la « ville à hauteur d’enfant », ainsi que sur le fonds d’innovation pédagogique et le Conseil national de la refondation (CNR) lancés par Emmanuel Macron hier.
À propos de l’école inclusive, nous regrettons le manque de soutien de l’État. Il y a des baisses de moyens d’IME (instituts médicoéducatifs), mais pas de moyens supplémentaires pour accueillir les enfants dans les écoles, ni de vision globale de l’État pour organiser ces transferts.
Les villes ne sont pas associées aux PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés, nouvelle forme d’organisation des AESH [accompagnants d’élèves en situation de handicap]). Nous ne recevons pas les dossiers de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées). Les familles doivent donc se retourner vers nous pour signaler que leur enfant a besoin de quelqu’un entre 12 et 14 h, et c’est à nous de trouver, ou pas. Presque toutes les villes ont embauché des AESH pour le temps de la restauration scolaire. Mais lors de ces deux journées, nous avons découvert que, selon les départements, les CAF (caisses d’allocations familiales) financent certaines villes et pas d’autres pour ces embauches, selon leur politique interne. Ce qui interroge sur la rupture de droit.
Il y a aussi des besoins pour l’accueil du matin, le soir, les TAP (temps d’activités périscolaires) et les centres de loisirs. Et pour l’adaptation des locaux : salles d’ergonomie, mobilier adapté, isolation phonique, etc. Cela signifie qu’il faut avoir du personnel en responsabilité pour s’occuper de tout ça, accueillir les parents, suivre le mobilier (qui coute très cher).

Et sur le concept de « ville à hauteur d’enfant » ?

Plusieurs villes réfléchissent à des projets qui dépassent l’école et se questionnent sur la place des enfants dans les espaces publics. C’est évident qu’ils ont moins de place qu’il y a une vingtaine d’années. Les abords d’école sont réfléchis avec une plus grande piétonnisation. Les villes associent les enfants aux projets de transformation des cours d’école, et plus généralement aux aménagements qui les concernent. On se plaint des adolescents qui écoutent de la musique à fond dans la rue, mais on les a quasiment empêchés d’utiliser l’espace public jusqu’à l’âge de 15 ans, et ils devraient en connaitre naturellement les règles ?
En fait, quand on intègre les enfants, on intègre toute la population : les trottoirs plus larges sont plus inclusifs pour tout le monde. À Brest, on réfléchit aussi à accueillir les personnes âgées dans les restaurants scolaires, pour arrêter de ranger les gens par classe d’âge.
Ce sujet est plus enthousiasmant, parce qu’on est sur du projet positif et pas seulement en train de se dire qu’on manque de moyens. C’est une autre façon de penser et de voir la ville, et ça n’est pas forcément plus cher.
Par exemple, pendant longtemps, pour éviter tout danger dans les cours d’école, on a enlevé tous les obstacles. Elles sont devenues semblables à cours de prison entièrement bétonnées et destinées à la surveillance, complètement vides. Il faut pouvoir voir partout, il n’y a plus de nature ni d’endroits où se cacher. La prise de risque est rare chez les enfants, mais c’est aussi un besoin. Et, dans les cours « oasis » où l’on a remis des arbres et des plantations, des rondins de bois pour grimper ou sauter, ou à Brest où nous avons installé des petits murs d’escalade, on constate qu’il y a beaucoup moins d’accidents que dans les cours toutes nues, parce que les enfants font de nouveau attention et courent moins comme des fous. Ils se réapproprient l’espace et leur motricité instinctivement.

Hier a été mis en place le Conseil national de la refondation, associé, pour l’éducation, à un fonds d’innovation pédagogique. Comment l’accueillez-vous ?

Cela nous interroge, c’est le moins qu’on puisse dire. Les collectivités seront à priori invitées aux travaux du CNR, mais il n’y a pas de méthode annoncée. Comme cela s’organise au niveau des territoires, les collectivités seront invitées selon le bon vouloir des directeurs d’école et chefs d’établissement. Cela reste très scolarocentré, on ne pense pas l’école comme un lieu de la vie de quartier, un lieu qui doit s’ouvrir vers son territoire. Les collectivités auraient dû être beaucoup plus associées !
Quant au fonds d’innovation pédagogique… Là non plus, il n’y a pas de méthode réelle : comment les décisions seront-elles prises ? Y aura-t-il concurrence entre écoles ? Et puis, des équipes éducatives vont travailler sur un projet et obtenir des moyens, mais la pérennité n’est pas assurée. Vers qui les équipes vont-elles se tourner alors ? Les villes peuvent se retrouver avec des demandes de travaux à leur charge, sans avoir été associées au projet. Cela risque de recréer du conflit, là où on devrait travailler ensemble !
Donc, on ne sait pas comment tout cela va se mettre en place, ni comment les choix seront faits. Nous demandons au ministère de l’Éducation nationale de présenter la méthode de ces choix et ce que ça doit financer. Nous souhaitons le retour aux PEDT (projets éducatifs de territoire). Chacun y est dans son rôle, mais tout le mode est autour de la table. Les programmes scolaires ne nous concernent pas, c’est entendu, mais, souvent, ce n’est pas le ministère qui donne aux écoles les moyens de réaliser les projets, par exemple les embauches d’artistes ou d’intervenants, ce sont principalement les collectivités au côté des équipes enseignantes qui financent..
Et puis, il y a eu réforme sur réforme au dernier quinquennat et on aimerait en connaitre le bilan. Combien d’élèves en plus ont-ils été scolarisés avec l’obligation scolaire à 3 ans ? À rapprocher du nombre de collectivités qui ont été obligées suite à cette loi de financer les écoles privées. Nous attendons aussi des résultats sur les dédoublements de CP.

Y a-t-il eu des échanges sur d’autres sujets lors de vos rencontres ?

Oui, bien sûr. Il y a une forte inquiétude quant à la montée des prix pour la restauration scolaire, avec la question de la répercussion de ces hausses sur les familles. Il y a bien sûr aussi des questionnements autour des repas végétariens et du bio. Nous considérons la pause méridienne comme un temps pédagogique et éducatif essentiel. Il y a des enfants pour qui c’est le seul véritable repas de la journée et aussi le seul moment pour l’éducation au gout et à la santé.
On essaye de concilier la lutte contre le gaspillage, en proposant par exemple des portions « petite faim » ou « grande faim », tout en acceptant une part de gaspillage pour l’éducation au gout, afin de contrer les habitudes alimentaires du « facile à manger », notamment pour faire découvrir la mastication quand beaucoup d’enfants ne mangent que des aliments mous.
Et il y a encore tout ce qui est bâtimentaire, avec des grosses échéances sur les économies d’énergie.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

À lire également sur notre site :
« Une ville à hauteur d’enfant », entretien avec Fanny Dombre-Coste
Promouvoir des « cités éducatives », pour aujourd’hui et pour demain, entretien avec Damien Berthilier, président du RFVE
« Les CP et CE1 dédoublés ont encore davantage figé la géographie de l’éducation prioritaire », entretien avec Damien Berthilier, président du RFVE


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