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Le livre du mois du n°553 – Retrouver l’envie d’apprendre. Comment en arriver à une école de la réussite pour tous ?

Ce livre de Serge Boimare se situe dans la continuité des précédents (L’enfant et la peur d’apprendre ou Ces enfants empêchés de penser, chez le même éditeur), mais avec un côté pratique accru, l’auteur prenant appui sur des séances de psychopédagogie avec un enfant décrocheur. Le livre est structuré d’une manière très méthodique et progressive : d’abord la compréhension des éléments déclencheurs de difficulté chez l’enfant, et ensuite des pistes de pratiques pour la médiation culturelle en classe. De nombreux encadrés, à la fin de chaque nouvelle idée, présentent les éléments de synthèse, et cela guide clairement le lecteur dans la méthode adoptée.

On retrouve les grandes thématiques déjà développées par l’auteur. Tout apprentissage comporte en son sein une phase de doute. L’enfant qui n’a pas les compétences psychiques pour affronter le doute, l’inconnu, la frustration, les exigences, les déceptions et le moment inquiétant de l’apprentissage, et, plus précisément, pour admettre ses manques, supporter d’attendre, respecter les règles et affronter un moment de solitude, adopte alors une attitude de défense. Il déclenche des émotions excessives, des sentiments parasites et des comportements inadéquats envers lui-même et les autres (les copains et les enseignants, voire les parents). Les difficultés viennent souvent d’une initiation insuffisante à la frustration, d’un manque d’interaction langagière et d’absence de préparation à l’autonomie. Cela va rendre impossible le fonctionnement intellectuel efficace. L’enfant qui décroche ne sait pas écouter ni parler, il est phobique du temps de suspension.

Pour relancer la machine à penser chez les élèves, à fortiori chez ceux qui sont le plus en difficulté, il y a des leviers dans trois registres : le nourrissage quotidien avec le patrimoine des textes fondateurs de notre culture qui, d’ailleurs, font partie du programme ; l’entrainement à argumenter et à développer sa pensée réflexive ; les savoirs reliés au nourrissage culturel qui réveillent l’intérêt de l’enfant vers d’autres préoccupations que lui-même, et des savoirs qui prennent sens, car ils sont liés aux questions humaines essentielles.

On pourrait reprocher aisément à l’auteur que ce modèle n’est simple à appliquer que lorsqu’on se retrouve en dialogue avec un enfant dans une séance psychopédagogique. Mais Serge Boimare, qui a enseigné, présente une méthode, celle de la médiation culturelle, à ajuster aux pratiques de classe, comme une organisation de travail stable, quotidienne, même minutée, dans une démarche à long terme. Ainsi faut-il lire à haute voix les textes fondateurs, revenir sur l’écoute, sur la compréhension de l’histoire, sur le fait de s’exprimer sur l’histoire, par l’écrit ou à l’oral. De nombreux prolongements peuvent alors s’effectuer dans la plupart des matières ou dans une perspective transdisciplinaire ! Tous les élèves, même ceux qui sont le plus en difficulté, s’impliquent volontiers, et les enseignants retrouvent leur plaisir d’apprendre.

Dans le dernier chapitre du livre, l’auteur offre des pistes encore plus concrètes pour la classe, avec des propositions de récits (des contes ou des mallettes pédagogiques). Il décrit les cinq temps forts de la médiation culturelle : la lecture à haute voix, la vérification et l’amélioration de la compréhension du texte, la question propice au débat, l’écrit. Les enseignants peuvent s’appuyer sur une planification de séquences sur l’histoire de Pinocchio et sur « Les deux frères ennemis » (dans les Philofables de Michel Piquemal).

Serge Boimare conclut d’une manière forte son livre par des injonctions précises telles que : « N’ayons plus peur des mauvais élèves, ce sont eux qui vont nous aider à améliorer l’école. »

Andreea Capitanescu Benetti

Questions à Serge Boimare

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Avez-vous une idée de l’ampleur de la diffusion de vos idées à travers notamment les sollicitations qu’on vous adresse ?

Il est difficile pour moi de connaitre le nombre exact de classes travaillant avec ce protocole. Je peux dire toutefois que plusieurs centaines de classes de l’enseignement spécialisé (ITEP (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique), Segpa (sections d’enseignement général et professionnel adapté), classes relais, ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire), etc.) utilisent avec bonheur la médiation culturelle. Les professeurs sont unanimes : ils trouvent, grâce à la lecture à haute voix des textes fondateurs et à l’entrainement à débattre, un moyen simple et efficace de mobiliser l’intérêt et la participation active des élèves réfractaires à l’apprentissage, ainsi qu’une cohésion du groupe autour de ce patrimoine commun.

Avec l’éditeur Bayard, nous avons mis en place une mallette pédagogique, Apprendre avec Hermès, pour guider les enseignants qui entrent dans cette démarche. Cinq-cents écoles ou collèges l’ont déjà achetée. Comment est-elle utilisée ? Je ne le sais pas trop. En tout cas, je constate que le nombre d’enseignants du primaire qui franchissent le pas augmente chaque année.

J’ai aussi l’occasion de communiquer avec une trentaine de collèges, plutôt en REP (réseau d’éducation prioritaire), qui ont choisi de remanier les emplois du temps des élèves et des professeurs pour commencer la journée par une heure de médiation culturelle. Les retours sont plus qu’encourageants : on y voit un moyen de lutter contre le décrochage, de redonner du plaisir d’enseigner aux professeurs et de favoriser le travail en équipe.

Les enseignants se sentent-ils suffisamment prêts et préparés à échanger autour des grandes questions humaines avec les élèves ? Quelle formation pour y parvenir ?

Le plus délicat dans cette démarche pédagogique ne se trouve pas, comme on peut le croire, dans le maniement des idées concernant les grandes questions humaines ni dans l’éclosion des problèmes identitaires des élèves. Avec quelques semaines d’entrainement, les professeurs apprennent vite à resituer les débats sur les personnages du récit. Ils évitent ainsi les préoccupations trop personnelles, qui ne sont jamais faciles à gérer dans la classe.

Le plus difficile dans la démarche est de réussir à obtenir la participation active de chacun tous les jours. En allant régulièrement dans les classes de collège, je constate que, de ce côté, il y a beaucoup à faire. Savoir mener un débat, savoir partir de ce que disent les élèves, savoir concerner chacun n’a rien d’évident. Se contenter de faire parler ceux qui lèvent la main, comme on le fait trop souvent, ne permettra jamais de faire progresser les élèves en difficulté. Si l’on parle de la formation continue des professeurs, c’est d’abord sur la conduite d’un groupe hétérogène et sur l’utilisation de la coopération entre élèves que nous devons concentrer nos efforts.

Dans le livre, je fais quelques propositions qui me semblent incontournables pour faire fonctionner une classe quand on ambitionne de ne laisser personne sur le bord du chemin.

Le retour aux fondamentaux ne fait-il pas craindre un recul de la médiation culturelle, qui passerait après le fameux « lire, écrire, compter » ?

Cinquante années de fréquentation des adolescents qui ont raté leur scolarité et qui sont sortis de l’école sans la maitrise des fondamentaux m’ont montré qu’ils auraient eu avant tout besoin de nourrissage culturel et d’entrainement à s’exprimer pour mieux apprendre à lire, à écrire et à compter. C’est comme cela que nous aurions pu les aider à remettre en marche leur machine à penser, afin de pouvoir les réconcilier avec l’apprentissage.

Notre école souffre de cet aveuglement. Nous ne voulons pas voir que certains enfants sont déstabilisés par l’exercice réflexif et nous continuons à courir derrière les manques et les troubles que cela provoque, plutôt que de s’attaquer au problème de fond. C’est en continuant à croire que nous allons lutter contre les inégalités du départ avec plus de rigueur ou avec un changement des méthodes de lecture que nous participons à aggraver la fracture scolaire.

C’est terrible et d’autant plus regrettable que la culture et le langage sont aussi des outils formidables pour faire étudier ensemble des élèves différents. On ne peut pas espérer mieux pour donner du sens et des racines aux savoirs et pour permettre à nos meilleurs élèves d’atteindre l’excellence. Ce travail avec la médiation culturelle a un seul défaut : il demande deux années pour porter ses fruits avec nos élèves les plus fragiles. Jusqu’à quand allons nous continuer de croire que nous ne disposons pas de ce temps ?

Propos recueillis par Andreea Capitanescu-Benetti et Jean-Michel Zakhartchouk