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Instruction obligatoire à 18 ans : oui, non, peut-être

Disons-le tout net : oui, il faut prolonger l’instruction obligatoire à 18 ans. Parce que la complexité du monde exige de chacune et de chacun un haut niveau de formation. Parce que l’accès à l’abstraction est devenu indispensable pour faire face aux enjeux personnels et professionnels de la modernité. Parce que la pratique de la pensée n’est nullement incompatible avec une activité manuelle, bien au contraire : le travail exigeant de fabrication constitue une véritable « écologie de l’attention », nécessaire aujourd’hui à toutes et tous. Parce qu’une démocratie authentique, enfin, ne peut pas structurer son système éducatif sur le principe de la distillation fractionnée et laisser ses enfants se répartir naturellement en concepteurs, exécutants, chômeurs et gêneurs.

Mais non, il n’est pas possible, pour autant, de faire du lycée d’enseignement général le modèle explicite ou implicite de l’excellence. Il n’est pas acceptable de laisser se pérenniser l’orientation par défaut qui contredit dans les faits « l’égale dignité des voies de formation » sans cesse proclamée, jamais mise en œuvre. Il n’est pas possible, non plus, d’ignorer que des adolescents et des jeunes adultes peuvent avoir des manières différentes d’apprendre, des temporalités hétérogènes, des sensibilités particulières qui les rendent disponibles à certaines situations et réfractaires à d’autres.

Alors, oui, il faut un lycée pour tous et un lycée pour chacun. Oui, il faut, au sein des lycées, des unités pédagogiques à taille humaine sur le modèle des Microlycées. Il faut un enseignement par unités de valeur (certaines communes, d’autres spécifiques) pour permettre l’organisation de cursus différenciés. Oui, il faut transformer radicalement le baccalauréat pour qu’il soit le moyen, pour chacune et chacun, de faire la preuve de ses capacités à concevoir et à réaliser un chef-d’œuvre où s’éprouvera l’exigence de précision, de justesse et de vérité nécessaire dans toute vie professionnelle et citoyenne.

Mais peut-être ces mutations nécessaires ne seront-elles pas suffisantes ? Car aucune réforme ne résoudra jamais la contradiction constitutive de toute scolarisation : l’instruction est obligatoire, mais l’apprentissage ne se décrète pas. Autant dire que toute ambition institutionnelle doit être accompagnée d’une ambition pédagogique : celle de permettre aux enseignants d’inventer sans cesse des situations et des médiations nouvelles. Avec une obstination sans faille. Mais avec la conscience, aussi, que nulle recette miracle, qu’elle vienne des neurosciences, du management ou d’ailleurs, ne viendra jamais clôturer l’interrogation pédagogique.

Alors oui à l’instruction obligatoire à 18 ans, non à l’hégémonie du lycée d’enseignement général et, en pédagogie, restons dans l’obstination du « peut-être ». Car la pédagogie est toujours une entreprise risquée. Ce n’est pas sa limite, c’est sa grandeur.

Philippe Meirieu est chercheur en pédagogie et professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Lumière-Lyon.