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Se dégager des entraves

C’est avant l’été 2019 que l’idée d’un nouveau dossier sur le métier s’est imposée au comité de rédaction. Sa préparation s’est donc concrétisée pendant l’année scolaire 2019-2020, année singulière qui démarre avec le suicide de la directrice d’école Christine Renon le 21 septembre, et se termine avec la pandémie du coronavirus et ses conséquences. Le recul n’est pas suffisant au moment de la publication de ce numéro pour juger des retombées sur la profession de cette situation inédite et bouleversante à plus d’un titre. Les articles qui constituent ce dossier ont été écrits avant le confinement. Seraient-ils identiques s’ils étaient rédigés aujourd’hui ? Leur lecture sera sans doute orientée par cette actualité, ce qu’elle aura mis en relief, ce qu’elle aura dévoilé, les initiatives qu’elle aura favorisées, les difficultés qu’elle aura exacerbées.

En programmant un dossier qui examine le métier et ses évolutions, nous avons cherché à comprendre (un quart de siècle après les interrogations de ­Philippe Perrenoud) si le métier d’enseignant s’était professionnalisé ou prolétarisé, si les acteurs, au quotidien, se percevaient plutôt comme des concepteurs ou comme des exécutants. À l’issue du parcours, nous n’avons pas la réponse, mais nous entrevoyons peut-être mieux ce qui pose question et ce qui peut ouvrir des pistes.

À écouter les ressentis des acteurs, il est indéniable que beaucoup se sentent entravés au quotidien par l’abondance, la fréquence, voire l’incohérence des prescriptions qui les envahissent. Mais à y regarder de plus près, il est clair que tous ne retiennent pas les mêmes et n’en font pas le même usage. Et de nombreux facteurs influent sur ce qui va être fait par les acteurs de ces prescriptions : leurs valeurs personnelles, la présence ou l’absence de collectifs d’appartenance, les modes de gouvernance rapprochée à l’échelon de l’établissement ou de la circonscription, les postures favorisées en formation.

Sans sous-estimer les problèmes vécus au quotidien dans certains contextes qui concentrent les difficultés, notre choix a plutôt été de mettre en relief ce qui permettait de mieux identifier ce qui pouvait rendre la pratique moins inconfortable, ce qui donnait les moyens d’investir les marges de manœuvre. Tout n’est pas de même nature selon l’échelle à partir de laquelle on se place : la classe, l’établissement, le système dans son ensemble. Même s’il y a quelque artifice à les cloisonner parce que tout fait système, nous avons choisi d’organiser notre dossier selon ces trois niveaux.

Nous explorons d’abord l’échelon « macro » : le système éducatif. Les contributeurs de ce dossier le présentent comme rigide, peinant à faciliter le travail de ses membres et à remplir sa mission de service public d’éducation.

Nous passons ensuite à l’échelon des établissements, là où des dynamiques collectives sont à l’œuvre. De quoi les équipes ont-elles besoin pour entretenir un développement durable ? Il suffit parfois de presque rien pour enrayer une dynamique collective ou la remettre en marche.

Nous observons enfin qu’à l’échelon « micro », avec les élèves ou les stagiaires, tous les professionnels ne font pas les mêmes choix au quotidien. Comment articuler au mieux le contexte, les situations, ses références et valeurs personnelles au service des élèves ? Qu’est-ce qui oriente ces choix ?

Au bout du compte, les leviers dont les acteurs vont disposer pour agir ont aussi à voir avec ces échelles. Si la voie est étroite, la question qui se pose à chacun demeure bien : « Là où je suis, quels moyens je me donne pour passer du cercle vicieux de la fabrique de l’impuissance au cercle vertueux du pouvoir d’agir ? »