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Un diagnostic partagé

L’échelon local semble le plus pertinent pour prévenir et lutter contre les violences à l’école. Nous postulons que toute démarche de réflexion et d’action à court, moyen et long terme, nécessite au préalable la pose d’un diagnostic partagé. Prendre la température, oui, mais comment et dans quel but ?

Un diagnostic par qui, pour quoi ?

Actuellement, pour faire un état de ce climat, on procède le plus souvent par déduction à partir des indicateurs contingents ou construits, tels que l’environnement social, les résultats scolaires, bien sûr, mais aussi les faits de violences signalés, l’absentéisme des élèves, celui des enseignants, le décrochage, le volume et la nature des punitions et sanctions distribuées, le nombre de passages à l’infirmerie, l’attractivité de l’établissement, la participation des familles, etc. Bref tout ce qui pourrait avoir de près ou de loin un lien supposé avec ce fameux climat scolaire.

Une nouvelle tendance est aussi aux autodiagnostics. Les personnels, chacun avec leur propre perception et le plus souvent à l’aune de leur travail respectif, tentent de dépasser les contradictions  et de déterminer la qualité de ce climat. Un peu comme si l’on demandait aux personnels d’un hôpital d’évaluer la vie dans celui-ci  sans se préoccuper de l’avis des patients… A la vérité, interroger des professionnels pour savoir s’ils pensent bien faire leur travail apporte assez peu d’éléments aux débats puisque la réponse est déjà connue…

Mais où est vraiment l’élève dans tout cela ? Cherche-t-on vraiment à avoir une connaissance fine de ce que vit et parfois même subit un enfant. Que vaut sa parole ? Pourrait-on même aller jusqu’à entendre les parents sur la question ?

Interroger les élèves et les personnels

En 2010, sous la tutelle d’Eric Debarbieux, se déroule la première enquête nationale de victimation dans le premier degré. Au printemps 2011, c’est au tour du second degré au niveau du collège. (18.000 collégiens, 300 collèges). Fin 2011, les équipes mobiles de sécurité (EMS) de l’académie de Lille adoptent et adaptent cet outil scientifique pour une utilisation au niveau local. Début 2012, les premières expérimentations se déroulent dans les collèges du secteur. En 3 ans,  ce sont 189 établissements qui sont concernés, plus de 60 000 élèves et 2500 personnels qui sont interrogés. Les enquêtes sont exhaustives (pas d’échantillonnage), l’exploitation et la restitution des données recueillies sont effectuées rapidement.

L’enjeu initial de ces premières enquêtes reste de dépasser la « pensée magique » pour déterminer et conduire une politique d’établissement fondée sur des « preuves raisonnables ». Mais, à l’échelon local, la priorité est bien de changer les représentations des acteurs de terrain  pour, à terme, changer leurs pratiques.
Cela peut certes paraitre ambitieux. Mais nous constatons que les acteurs du monde éducatif sont beaucoup plus sensibles à ce que disent les élèves dont ils ont la charge, qu’à n’importe quelle injonction institutionnelle.

Les objectifs sont alors les suivants :

  • Aider et accompagner le chef d’établissement dans une démarche« proactive » de prévention en responsabilisant les acteurs locaux.
  • Susciter une mobilisation collective : un programme global implique l’ensemble de la communauté éducative, comme les usagers de l’école et les partenaires.
  • Engager un processus long et commun de réflexion et d’action, ce qui n’empêche nullement la mise en place de dispositions urgentes.

Associer les enseignants à ce projet d’amélioration de la vie scolaire n’est pas seulement souhaitable mais essentiel. Encore faut-il leur faire comprendre qu’ils en seront aussi les bénéficiaires. Une plus grande sérénité dans l’école  permet de dépasser ces clivages persistants et stériles entre l’administratif, l’éducatif et le pédagogique et donc de  créer « des bandes d’adultes ». Avoir une vue plus globale de la vie scolaire de l’enfant, c’est aussi avoir une pensée plus large du rôle et des missions de chacun. Clarté et sens du projet, confiance, continuité sont les fondements de la  réussite de ce programme universel. A ces conditions, ces enquêtes apparaissent comme un puissant levier d’action pour faire autrement.

Quels premiers résultats apres ces enquêtes ?

Concrètement, s’il est avéré qu’un nombre conséquent d’élèves, et notamment des plus jeunes, éprouvent un réel sentiment d’insécurité dans les couloirs pendant les intercours, ou alors que près de la moitié des élèves ne donnent plus de sens aux punitions/sanctions qu’on distribue dans leur école, une obligation d’agir s’impose alors à tous. Repenser l’organisation de ces intercours, soutenir les personnels de vie scolaire, limiter aux maximum ces flux en attribuant des salles fixes aux 6èmes ou en faisant permuter non plus 600 élèves tous les 55 minutes mais une vingtaine d’enseignants, sont des expériences parfois très concluantes. De la même manière, éviter les règlements de classe propres à chaque professeur et donc réduire l’arbitraire des punitions posées et le sentiment d’injustice inhérent est tout à fait envisageable, à partir du moment où l’ensemble des personnels et des élèves connaissent, comprennent et donc acceptent les règles de vie  collective de l’école.

Dépasser la logique des joueurs, pour appréhender la logique du jeu

Au-delà de toute considération idéologique, force est de constater que la relation pédagogique a considérablement évolué : le « métier de l’élève »  a muté, les métiers des équipes éducatives aussi. Il s’agit donc de dépasser la seule logique des joueurs, logique des pré-carrés qui découpent les missions éducatives en tranches, pour tenter d’appréhender enfin la logique du Jeu. En cela le climat scolaire implique un vrai changement de paradigme : nous espérons qu’il marque la fin d’une époque et le passage progressif d’un processus descendant, pour enfin donner aux acteurs de terrain la capacité et le pouvoir d’agir.

Il s’agirait alors de pouvoir dépasser la méfiance parfois répandue vis-à-vis de l’institution et de la recherche, souvent considérées comme déconnectées des réalités de terrain, et les représentations des chefs d’établissements forcément vassalisés et réfléchissant plus en terme de moyens qu’en termes de qualité scolaire, des professeurs forcément corporatistes manquant d’ambition ou d’empathie, des élèves forcément consommateurs d’école et indignes de confiance et des parents forcément démissionnaires ou surprotecteurs.  Il semblerait que le principe de confiance soit la clef de la réussite de ce projet.

Et s’il « faut changer la manière de changer », mettre à disposition des établissements scolaires un outil scientifique fiable et éprouvé est une avancée importante. Mais l’enjeu essentiel reste l’amélioration du climat scolaire et donc de la construction de l’effet d’établissement. Il reste à savoir si c’est plutôt par l’amélioration des résultats scolaires que l’on assainit le climat, ou bien, s’il faut d’abord s’attacher au bien-être des jeunes et donc des personnels pour améliorer mécaniquement leurs résultats scolaires.

Michael Masson
Enseignant-chercheur UPEC EMS Lille