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Ni vous sans moi, ni moi sans vous

Les Francas retiennent la définition de l’éducation proposée par Roger Gal et Gaston Mialaret : « L’éducation est l’ensemble des influences d’origines et de natures diverses qui s’exercent volontairement ou non sur l’individu et que l’individu exerce sur son environnement et qui, en se conjuguant, contribuent à la création et au développement de sa personne.
L’éducation a un caractère global et permanent parce qu’elle est de tous les instants de la vie, parce qu’elle implique la personne humaine dans toutes ses dimensions et qu’elle résulte de l’ensemble des influences reçues par chacun. L’éducation, au sens du processus et du résultat de ce processus, participe à la construction de l’unicité et de la singularité de la personne. Elle concerne à la fois la dimension individuelle et la dimension sociale et citoyenne de la personne. Elle permet de se découvrir en construisant ses rapports aux autres, de faire l’apprentissage du monde humain. »

Les Francas distinguent l’éducation de l’action éducative, qui en est la partie volontaire et maitrisable. Les influences volontaires relèveraient de l’explicite, là où les influences involontaires ne seraient qu’implicites. Mais les influences involontaires peuvent aussi être le fait d’espaces éducatifs et d’acteurs éducatifs. Elles existent dans les temps scolaires, les temps péri- et extrascolaires. Parmi les influences involontaires, on peut lister par exemple les espaces numériques pour partie, intégrer les relations sociales dont les relations entre pairs, entre copains, structurantes du quotidien des enfants et des adolescents.

Influences complémentaires

L’éducation est faite de complémentarités. Elles sont d’évidence et sont nécessaires dans la construction d’une identité, sociale notamment. Construire son identité nécessite des relations à un environnement, à l’autre, aux autres, ce dans des dynamiques (ou parcours) qui vont permettre d’expérimenter différentes places et différents espaces, où se joue y compris l’incertitude.

Même si les adultes ne se préoccupent pas de la complémentarité des influences éducatives, volontaires et involontaires, l’enfant fait la synthèse de toutes celles qui s’exercent sur lui. Il est de fait le premier éducateur, parmi tous ceux qui participent à son éducation. Mais si l’enfant n’est pas accompagné dans son parcours éducatif, il peut ne pas tirer profit de tous les possibles qui lui sont offerts.

La complémentarité des influences éducatives est souvent oubliée, au bénéfice de la complémentarité entre les acteurs éducatifs. Il ne s’agit pourtant pas de la limiter ni aux relations instituées entre l’école et les parents, ni à une division sociale du travail éducatif, telle une partition entre travail scolaire, travail éducatif des familles et interventions réalisées par le milieu associatif ou d’autres acteurs des politiques publiques.

Il s’agit pour les coéducateurs (parents, familles, personnels d’éducation et intervenants des temps de loisirs, notamment ceux du centre de loisirs éducatif, deuxième structure d’accueil après l’école) d’identifier de façon « micro » les besoins éducatifs spécifiques de certains territoires et de façon « macro » les besoins éducatifs des enfants du XXIe siècle.

Penser l’action éducative, c’est d’abord analyser les influences à l’œuvre. Et pour ce faire, les acteurs éducatifs, ou coéducateurs, ont une première question à traiter : quelles influences de l’environnement importe-t-il de dynamiser, de renforcer ou de contrebalancer ?

Partager le sens d’une éducation à la vie (énoncer quoi apprendre et comment apprendre à apprendre) avec le plus grand nombre d’acteurs éducatifs, dans un processus démocratique (au sens de Paul Ricœur[[Paul Ricœur, « La démocratie n’est pas un régime politique sans conflits, mais un régime dans lequel les conflits sont ouverts et négociables selon des règles d’arbitrage connues », 1990.]]), est une façon de favoriser cohérence et continuité éducatives. Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture sera ici un outil du dialogue entre coéducateurs.

Écosystème éducatif

Il existe une interaction de fait entre les projets des espaces éducatifs et entre les acteurs qui les façonnent et y agissent. Leurs projets s’adressent aux mêmes territoires et aux mêmes enfants, adolescents et parents. Les différents espaces et acteurs éducatifs expriment plus ou moins explicitement des attentes à l’endroit des autres coéducateurs. Le projet de chaque espace éducatif va influencer le projet d’un autre espace, notamment ses contenus éducatifs, son organisation temporelle, etc. Installer une interdépendance choisie plutôt que subie entre les coéducateurs, génératrice de convergences éducatives, passe par l’explicitation du projet de chaque espace éducatif et, dans le même temps, des ambitions, des objectifs qui font sens commun. Ce processus étant en œuvre, on pourrait alors parler d’« écosystème éducatif ».

Une approche globale de l’éducation ne vise pas à gommer les spécificités des différentes interventions, ni à les fondre en un tout. La recherche de complémentarité ne signifie pas qu’il n’y ait pas tension, juxtaposition. Simultanément, à vouloir être (trop) cohérents, on risque de glisser vers des actions éducatives homogènes, voire uniformes.

Une éducation démocratique nécessite des intervenants aux statuts et aux rôles différenciés.

Les coéducateurs, avec leurs singularités, chacun dans ses responsabilités, vont rechercher un croisement d’approches éducatives différentes et de modalités d’apprentissage aux objectifs distincts et spécifiques. Une approche globale de l’éducation va donc conforter chacun des acteurs éducatifs, et notamment les parents, favorisant une action éducative pertinente.

Tisser des relations entre les différents éducateurs, c’est, in fine, prendre en compte le fait que les compétences se construisent dans l’école et hors de l’école. L’école a un rôle éducatif central, mais elle ne le réalise pas seule. « L’éducation sort de l’école d’une manière inédite », note la sociologue Anne Barrère en 2011. Ce mouvement est amplifié par la montée en puissance d’une société de la connaissance qui permet une accessibilité aux savoirs de façon quasi immédiate et qui « favorise la collaboration des individus »[[Roger Sue, « Les projets éducatifs territoriaux, une opportunité pour l’éducation et l’action éducative au XXIe siècle » (francas.asso.fr, 2014b).]].

« Il se peut que les compétences soient plus liées aux pratiques sociales et aux situations de la vie, donc donnent plus de sens aux apprentissages scolaires »[[Philippe Perrenoud, « Quelle éducation pour préparer à la vie au XXIe siècle ? » (francas.asso.fr, 2014b).]]

Sophie Dargelos
Fédération nationale des Francas, directrice nationale du programme Projet local d’éducation-école


En complément

Lors de leurs journées d’études « L’enfant dans la cité » en 1964, les Francas font leur cette idée que « l’éducation de l’enfant se réalise par la somme des influences conjuguées de la famille, de l’école, du milieu social et naturel ». Ils soulignent que « cette complémentarité s’effectue très mal ». Ils récusent ainsi la vision morcelée de l’éducation qu’ils qualifieront plus tard d’éducation « en miettes ».  Cette analyse devient alors le fil rouge qui structurera leurs réflexions.

Une série d’exemples : https://municipales2020.francas.asso.fr/#ancre3

Dont des focus très concrets : https://youtu.be/vfNxhSPfiAQ http://centredeloisirseducatif.net/node/1036

 

Coéducation : et si les enfants étaient leurs premiers éducateurs ?

 

Parce que la construction des compétences est buissonnière, que les parcours éducatifs sont des itinéraires de découverte qui se vivent aussi hors des temps de l’élève, dans des temps informels et sur la toile, ils ne relèvent pas que des adultes ou des institutions, voire ils relèvent de moins en moins des seuls adultes et des seules institutions.

Un travail qualitatif conduit par le laboratoire Experice 13, à partir de propos d’enfants et d’adolescents recueillis depuis avril 2019 par les Francas, sur le site www.enfantsacteurscitoyens, donne des indications sur la place faite aux enfants et aux adolescents dans leurs temps éducatifs et sur leurs relations aux coéducateurs.

La notion d’« ambigüité de l’enfance » proposée par Lee (1999) demeure contemporaine. Elle reste prégnante dans le cadre d’institutions qui prennent en charge les enfants, avec des professionnels formés et qualifiés pour en prendre soin et les éduquer : école, centre de loisirs, structures éducatives des temps de loisirs, famille. Même si l’ambition des coéducateurs est de favoriser leur autonomie et leur émancipation, nombre de ceux-ci sont empreints de deux conceptions de l’enfance et des enfants (antinomiques), enfants en tant qu’êtres au présent (beings) et enfants en devenir (becomings).

Ainsi, alors que les enfants et les adolescents identifient clairement les enjeux de leurs parcours éducatifs, de leurs parcours scolaires, nombre de coéducateurs agissent sans les associer. Ce que pensent les enfants et les adolescents ne correspond pas à ce que les coéducateurs projettent de leurs attentes, pour autant ils ne sont pas invités à s’exprimer sur leur quotidien, sur leurs pratiques et leurs besoins. Leurs habiletés sociales et leurs savoirs sont souvent laissés à la porte des institutions éducatives ; la densité des échanges entre pairs, leur pertinence en termes éducatifs sont ignorées.

La participation des enfants et des adolescents, acteurs de leur propre éducation et de celle de leurs pairs, s’impose pourtant, c’est un enjeu politique et pédagogique. Toutes les formes de participation, dans tous les espaces éducatifs, doivent être encouragées, animées, prises en compte, afin que ce qui s’élabore pour les enfants et les adolescents s’élabore avec eux. C’est ainsi que les coéducateurs construiront avec eux de véritables découvertes et apprentissages des relations sociales, de la vie sociale et des compétences inhérentes à celles-ci.

Toutefois, la mise en place d’espaces de participation associant les enfants et les adolescents demande aux adultes coéducateurs de partager, voire d’abandonner une partie de leur pouvoir. Ce changement de relation qu’implique pour les adultes la reconnaissance du fait que les éduqués sont aussi des éduquants reste encore à développer. C’est pourtant ainsi que la coéducation sera pleinement aboutie.

Sophie Dargelos